La sous-traitance, face exposée et irradiée du nucléaire

Des ouvriers dans la salle de contrôle des réacteurs 1 et 2 © Nuclear and Industrial Safety Agency
Des ouvriers dans la salle de contrôle des réacteurs 1 et 2 © Nuclear and Industrial Safety Agency

On en sait un peu plus sur les conditions de l’accident de contamination, qui a exposé trois ouvriers jeudi dans la salle de turbine du réacteur 3. Selon le Daily Yomiuri, les responsables de la centrale ne soupçonnaient pas la présence d’une forte radioactivité. La veille, une inspection de la zone avait repéré la présence d’eau, mais en faible quantité, et constaté un niveau de radiations supportable. Les responsables de la sécurité ont calculé que les ouvriers chargés d’installer des câbles électriques recevraient une dose de radiations inférieure à 20 milli-sievert (mSv). Ils n’ont donc pas fait accompagner les trois sous-traitants d’une personne chargée de suivre la radioactivité pendant l’opération. Mais une importante quantité d’eau hautement radioactive les attendait —4 giga-becquerels d’activité par litre (1)—, et les trois hommes ont reçu une dose d’environ 180 mSv (2). Selon Tepco, ils ont ignoré l’alarme de leur dosimètre personnel, mais certaines dépêches évoquent une défaillance du dispositif.

Vendredi, le responsable d’une entreprise de sous-traitance a appelé Tepco a renforcer les conditions de sécurité pour les ouvriers et ingénieurs appelés à intervenir sur le site de la centrale. «Je ne peux pas dire à mes employés “soyez prêts à donner votre vie”», a expliqué le chef d’entreprise au Mainichi.

Analyse de l'eau dans le bâtiment "turbine" du réacteur 3, qui a contaminée trois ouvriers le 25 mars © Effets de Terre
Analyse de l'eau dans le bâtiment "turbine" du réacteur 3, qui a contaminée trois ouvriers le 25 mars © Effets de Terre

Depuis jeudi, les effectifs en activité ont fortement grimpé, selon le journal japonais. 581 techniciens et ingénieurs se relaient pour tenter d’éviter la catastrophe. La plupart travaillent pour des sous-traitants de Tepco. Selon la direction de l’entreprise qui gère la centrale, «il appartient à chacun de décider s’il continue ou pas», explique une dépêche de Kyodo samedi. Une vision très optimiste, selon un expert cité par l’agence de presse: «La réalité est que les sous-traitants ne sont pas en position de refuser une offre qui ne leur plait pas, parce qu’ils savent que cela compromettrait leur activité à l’avenir.» Marche ou crève, en quelque sorte, pour des ouvriers parfois recrutés à la va-vite: il y a quelques jours, le Guardian racontait qu’un jeune homme, agriculteur de son état, a été embauché pour intervenir dans la centrale. «On les appelle des samouraïs parce qu’ils sacrifient leur vie pour réparer les fuites, a expliqué le grand-père du jeune homme à ma consœur britannique. Mais les gens comme mon fils sont des amateurs: il ne peuvent pas servir à grand chose.»

Les personnels disposent d’une protection bien frêle face à la radioactivité, et notamment aux rayonnements gamma émis par l’iode 131 et le technétium 99m: une combinaison en tissu indéchirable (Tyvex) et un masque de protection respiratoire. «On ne peut guère supporter de rester plus de deux heures dans ce type de combinaison», me confiait vendredi un expert du nucléaire. Depuis le 11 mars, 17 sauveteurs de la centrale ont été irradiés au delà de la limite annuelle légale d’exposition des travailleurs du nucléaire (2). Selon Kyodo, les bâtiments de turbine de quatre réacteurs sont désormais envahi d’eau radioactive: avec un niveau de 40 cm pour le réacteur 1, un mètre pour le réacteur 2, 1,5 mètres pour le 3 et 80 cm pour le 4. Dans l’océan Pacifique, près de la centrale, les rejets radioactifs sont confirmés. «C’est évident, m’expliquait hier l’expert du nucléaire que j’ai interrogé. Toute cette eau déversée sur les réacteurs et celle qui, probablement, s’échappe des réacteurs, doit bien aller quelque part: dans le sol et bien évidemment vers la mer.» Près du canal de décharge des réacteurs 1 à 4, les analyses de Tepco ont relevé, entre autres, la présence de 50 000 Bq/litre d’iode 131 vendredi, soit 1250 fois plus que la normale au même endroit. De quoi inquiéter les pêcheurs de la région sur leur avenir.

Il y a bien un employé de Tepco qui ne craint pas d’être irradié. Dimanche dernier, Reuters expliquait que le PDG de l’entreprise Masataka Shimizu, a disparu de la circulation. Il a tout juste daigné présenter ses excuses le 13 mars, et n’a pas été revu depuis. Ce que confirmait hier Michel Temman, le correspondant à Tokyo de Libération. Officiellement, le PDG est enfermé dans le siège de l’entreprise, où il travaille sans relâche… A Tokyo, bien a l’abri des radiations de la centrale ou travaillent des irradiés à qui il n’a même pas daigné rendre visite.

(1) Le becquerel mesure l’activité d’une source radioactive. Un becquerel correspond à une désintégration atomique par seconde.

(2) La limite annuelle d’exposition des professionnels au Japon est en principe fixée à 100 mSv; elle a été relevée à 250 mSv pour permettre les interventions dans la centrale accidentée.

6 commentaires





  1. « La réalité est que les sous-traitants ne sont pas en position de refuser une offre qui ne leur plait pas, parce qu’ils *NE* savent *PAS* que cela compromettrait leur *RADIO*-activité à venir. »

    C’est Tchernobyl qui se rejoue devant nos yeux mais je ne vois plus les militaires loyaux à leur gouvernement et qui ne se plaignent pas. À mœurs différentes, tactiques différentes et puis c’est l’heure de la globalisation du monde, de la sous-traitance privée, de l’esclavagisme moderne.

    Il faudra toujours des « héros » pour que les puissants fassent un golf ou taï-chi avec le dragon tranquillement le lendemain.

    En pensant à ces gens qui donnent leur vie et pourquoi il la donne je me dis : nous sommes tous un peu « Américain » aujourd’hui : alors j’imagine qu’il y aura des discours, une stèle, une mémoire nationale, et puis du fric, un tas de fric pour soulager les douleurs à grand coup d’égoïsme et de consommation.

    Ça parait dégueulasse mais c’est le monde que nous avons laissé se fabriquer.

  2. Pour comprendre et découvrir le monde secret des invisibles du secteur nucléaire, je vous invite à lire : « Je suis décontamineur dans le nucléaire ». Le seul et unique ouvrage écrit par un sous-traitant, un témoignage authentique et incontournable. Plus que des révélations, secrets et non dits, ce récit vous raconte sans fioriture ce qu’il y a derrière ces grilles : la vie, les tâches, les doutes, les risques, les contraintes de ces gars qui oeuvrent chaque jour pour faire tourner la machine, ces héros de notre électricité journalière. Un livre d’actualité, d’utilité public, qui vous fera voir le nucléaire d’une toute autre façon…

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