Le boîtier de la discorde électrique

© Denis Delbecq
© Denis Delbecq

Vue de loin, l’affaire Voltalis pourrait faire sourire. Ce petit boîtier destiné aux logements «tout-électriques» est commandé à distance par l’industriel, pour alléger la consommation électrique sur le réseau français. RTE adore le principe, elle qui doit en permanence réguler l’offre et la demande électrique pour maintenir l’équilibre sur le réseau électrique. Quand c’est difficile, RTE contacte Voltalis, qui actionne à distance ses boîtiers et contribue à effacer la pointe de consommation.

Sur le papier, tout le monde y trouve son compte: le client qui voit sa consommation baisser (ça reste à prouver, voir plus loin), RTE qui gère au mieux son réseau, et Voltalis qui est rémunéré par RTE pour sa performance. Tout le monde? Et bien non, puisqu’EDF fait si bien la gueule qu’elle vient d’obtenir de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) que Voltalis l’indemnise pour le manque à gagner. Parce que bien évidemment, chaque kwh effacé n’est pas acheté et fait baisser le chiffre d’affaires d’EDF (et de ses concurrents).

Et c’est bien là toute l’ambiguité. EDF tolère que ses clients baissent le radiateur. Certes il y a un manque à gagner, mais pas d’industriel pour en profiter, et donc personne à punir (si ce n’est d’une hausse du prix du kwh qu’affectionne EDF par les temps qui courent). Mais la firme de Gadonneix, qui vient de réclamer une forte hausse des tarifs pour financer ses gamelles dans le nucléaire et dans l’électricité britannique, ne saurait accepter qu’une petite boite se fasse du pognon sur son dos. Ce que réclame EDF suffirait probablement à mettre Voltalis à genoux. Faut quand même pas déconner, les économies d’énergie (et surtout d’effet de serre) ne doivent pas amputer la soif de rachat et d’OPA de Gadonneix et de ses sbires.

Cette histoire est d’autant plus absurde que le boîtier de Voltalis préfigure (en version low-tech) ce qu’un réseau de distribution intelligent pourrait être: un réseau dont les équipements sont capables de retarder leur démarrage pour effacer une pointe, et donc éviter le démarrage de centrales à gaz ou à charbon qui rejette du gaz carbonique. En version low-tech seulement.

Finalement, le dindon de la farce dans cette affaire, ce serait plutôt le consommateur. Qui croît économiser de l’argent quand seul Voltalis fait recette. Car retarder un radiateur de 15 minutes dans un logement régulé, c’est simplement retarder la consommation, pas la supprimer (pour ça, il y en a qui ont inventé l’interrupteur, c’est très efficace). De la même manière pour un chauffe-eau, qu’il faudra bien chauffer sous peine de se geler sous sa douche. Et donc le manque à gagner ne serait pas si élevé pour EDF. (1)

Alors pour mettre tout le monde d’accord, voici une clé de répartition de la petite manne financière. On oublie EDF qui n’a qu’à mieux travailler avec RTE. Ça lui évitera d’acheter du gaz. On rémunère Voltalis parce que la firme contribue à la cause climatique, et on en reverse une partie au consommateur qui après tout participe à l’affaire. Et pour finir, on met à la retraite les membres de la CRE, en leur offrant le dernier opus de Jancovici, un DVD d’Arthus ou d’Al Gore, et le compte-rendu complet du Grenelle de l’environnement.

(1) Vu à une échelle plus grande, le ministère des finances pourrait instaurer un nouveau mode de rémunération des services de l’Etat (puisqu’il parait que ce que veut imposer la CRE n’est pas une taxe). Quand vous évitez d’acheter un produit, vous versez une partie de la TVA que vous auriez payé en délestant votre porte-monnaie. Avec ça, fini le déficit budgétaire!

5 commentaires

  1. Étant un peu choqué par les titres racoleurs de la presse à l’encontre d’EDF (ces temps-ci, taper sur EDF ça a l’air de faire vendre), je me suis un peu plus renseigné et suis tombé sur le .pdf de la délibération de la CRE ( http://www.energie2007.fr/images/upload/090709effacementsdiffus.pdf ) , et qui explique très pédagogiquement, dans ses pages 3 et 4, la réalité économique du problème.

    Je ne vais pas refaire la démonstration ici parce que c’est très clair dans le lien précédent, mais l’effacement diffus pratiqué par Voltalis sur des consommateurs d’EDF n’implique pas que les kWh produits par EDF ne sont pas achetés et utilisés, bien au contraire, il sont utilisés par des consommateurs concurrents, et sur ces kWh, EDF ne touche rien.Je ne m’explique peut être pas très bien mais lisez le lien précédent : )

    Après je ne sais pas à quel point me fier à cette explication, manquant de connaissances sur le marché de l’électricité, mais la réalité est surement plus complexe que « EDF est une ordure capitaliste etc etc… »

  2. C’est pas avec ce genre de décision que la CRE va se débarrasser de sa réputation internationale d’incompétence…

    (bon je fais du recyclage de post)

    Explication de la démarche de la CRE.

    La gestion de l’équilibre du réseau est assuré par RTE, de manière disons… un peu opaque (la réputation de RTE étant qu’il s’agit de très bons techniciens qui connaissent très bien leur sujet mais qu’au niveau commercial ils se font arnaquer assez facilement), donc je prendrais avec des pincettes les explications économiques en annexe…

    EDF n’est qu’un fournisseur d’électricité comme les autres (Poweo, Electrabel, Direct Energie, CNR, etc.).

    Les fournisseurs d’électricité doivent pouvoir présenter des capacités de production électriques suffisantes pour assurer les besoins électrique de leurs clients, si les fournisseurs d’électricité produisent trop ou pas assez il y a des mécanismes de compensation ou de pénalités qui apparaissent. C’est comme ça que ça marche partout dans le monde depuis très longtemps qu’on pratique l’effacement et je ne vois pas en quoi est-ce que la France serait une exception (la nouveauté de voltalis ce n’est pas l’effacement de pointe qui est quelque chose qui est utilisé par toutes les industries consommatrices de courant mais l’aggrégation de plusieurs sources diffuses pour pouvoir les mettre sur le marché). D’ailleurs l’effacement diffus n’est pas non plus une nouveauté puisque des offres se montent un peu partout dans le monde (USA, Espagne, Allemagne, UK…)

    Donc en fait ce qui se passe dans le cas 1 (utilisation des centrales de pointe)

    RTE doit acheter sur le marché électrique ou faire appel à ses contractants de quoi combler les besoins de pointe
    Le producteur 1 -> pas d’impact
    Le producteur 2 -> pénalisé par RTE
    centrale de pointe -> rémunéré par RTE

    La circulation d’argent :
    payeur : producteur 2
    bénéficiaire : centrale de pointe

    cas 2 (effacement) :

    l’opérateur 1 produit plus que ce que ces clients consomment : il est rémunéré en fonction de la surproduction
    l’opérateur 2 produit moins que ces clients consomment : il est pénalisé en fonction des cout du responsable d’équilibre, il doit donc payer à la fois pour la surproduction du producteur 1 et pour l’action de l’effaceur
    l’effaceur a permis d’équilibrer le réseau : il est rémunéré d’une somme inférieure à ce qu’il aurait couté d’augmenter la production d’une centrale de pointe.

    circulation d’argent
    payeur : producteur 2
    bénéficiaire : producteur 1 + effaceur

    Comme l’effaceur coute moins cher que d’augmenter les capacités d’une centrale de pointe le prix du MWh baisse. Les producteurs sont également incités à pratiquer eux même l’effacement diffus pour optimiser leurs couts.

    CE QUE DEMANDE LA CRE

    Le producteur 1 n’est pas rémunéré pour sa surproduction
    Le producteur 2 est pénalisé pour sa sous production mais il ne doit payer que l’action de l’effaceur
    L’effaceur est rémunéré pour son service mais doit rémunérer également le producteur 1 pour sa surproduction.

    Circulation d’argent :

    payeur : producteur 2 et effaceur
    bénéficiaire : producteur 1 et effaceur

    Les conséquences :
    Le responsable du déséquilibre (producteur 2) paie moins cher car il n’a plus à payer le producteur 1 qui lui est rémunéré par l’effaceur.
    L’effaceur doit payer une partie des frais imputables normalement au producteur 2 : IL Y A DONC BIEN UNE TAXE SUR LES ECONOMIES D’ENERGIE AU BENEFICE DES PRODUCTEURS D’ENERGIE

    Pour EDF l’offre de Voltalis lui pose plusieurs problèmes :

    – EDF a investi dans des parcs de centrales à flamme pour assurer les pointes de consommation (de plus en plus importantes avec l’arrivée de l’électronique et des besoins de climatisation), pour que ces investissements soient rentables il est nécessaire qu’il y ait effectivement des pointes de consommation. Tout dispositif qui réduit ces pointes est donc problèmatique pour leurs investissements. C’est typiquement le cas des opérateurs qui sont en situation de force sur le marché.

    – EDF a également ce genre de solutions en test et voit donc d’un mauvais oeil l’idée qu’une PME puisse lui couper l’herbe sous le pied (il y a d’énormes enjeux financiers autour des compteurs intelligents).

    – EDF a défini sa stratégie comme étant celle d’un producteur d’électricité en opposition au modèle de fournisseur de service à l’énergie donc tout ce qui permet de transférer de l’argent des acteurs du service à l’énergie vers les producteurs (comme c’est le cas de cette taxe) est une bonne nouvelle.

    Dans tous les pays de l’OCDE Voltalis jouerait le rôle d’aggrégateur et devrait être considéré comme un fournisseur de service à RTE quelque soit le fournisseur d’électricité qui a contractualisé. La philosophie étant que c’était au distributeur d’électricité de savoir s’adapter et qu’il n’y a pas lieu de protéger les investissement d’un fournisseur d’électricité établi (qui dispose déjà d’un avantage concurrentiel important) et de vieilles technologies par rapport à un nouvel entrant et à des innovations.

    En France les lois ont plutot l’objectif de retarder l’arrivée de nouveaux entrants et de nouveaux services de restreindre l’arrivée des nouveaux entrants (marché protégé : les intérêts nationaux passent avant les intérêts individuels et européens) dans le but de créer des « grands champions de l’énergie ». Avant d’avoir des réseaux intelligents en France il faudra donc attendre qu’EDF ait une offre et que leurs investissements dans les capacités de pointes soient suffisamment rentabilisés…

    (on se souviendra que le développement d’internet en France avait connu le même sort à cause de France Telecom…)

  3. Bonjour Tilleul, merci pour votre réponse, mais j’aurais encore quelques questions ou remarques à apporter.

    Selon moi, et la lecture du document de la CRE, ils invoquent une loi au début de l’annexe, la loi du 10 février 2000, et particulièrement un paragraphe, le II de l’article 15 :

    « Le gestionnaire du réseau public de transport assure à tout instant l’équilibre des flux d’électricité sur le réseau, ainsi que la sécurité, la sûreté et l’efficacité de ce réseau, en tenant compte des contraintes techniques pesant sur celui-ci. Il veille également au respect des règles relatives à l’interconnexion des différents réseaux nationaux de transport d’électricité.
    Dans ce but, le gestionnaire du réseau public de transport peut modifier les programmes d’appel. Sous réserve des contraintes techniques du réseau et des obligations de sûreté, de sécurité et de qualité du service public de l’électricité, ces modifications tiennent compte de l’ordre de préséance économique entre les propositions d’ajustement qui lui sont soumises. Les critères de choix sont objectifs, non discriminatoires et publiés.
    La Commission de régulation de l’électricité veille à la régularité de la présentation des offres et des critères de choix retenus. » (désolé pour le pavé)

    Donc selon moi, après déséquilibre du réseau, la CRE fait appel à des offres d’ajustement, soit par un surplus de production, disons des centrales à flamme d’EDF pour illustrer, ou bien un opérateur d’effacement diffus, Voltalis. Deux possibilités alors : soit le producteur défaillant paie à la fois le coût d’ajustement et la rémunération du premier producteur, option (1), soit soit ce producteur ne paie que le service d’ajustement et Voltalis paie le premier producteur, option (2).

    Si l’option (1) est choisie, l’offre d’ajustement de Voltalis entrainera un surcoût au niveau des producteurs d’électricité vis à vis de l’offre de thermique à flammes, et étant obligé par la loi de préséance économique (??? quelle est la nature de l’obligation ? Vu que le données ont l’air d’être publiées, ça doit être assez sérieux, mais je ne m’y connais pas niveau droit) la CRE devrait choisir l’offre de surproduction d’EDF, et donc faire marcher ses centrales thermiques à flamme. Si l’option (2) est choisie, alors Voltalis est compétitif au niveau de ses offres, vis à vis de la CRE.

    Conclusion : la décision de la CRE va dans le sens de rendre compétitif, vis à vis des lois actuelles, les offres d’effacement diffus. Choisir l’option (1) reviendrait à couler ces offres, au profit de la surproduction.

    Bref, le noeud du problème réside sur cet article de loi, et je ne sais pas en quelle mesure il est applicable (la producteur B peut-il attaquer la CRE si l’option (1) est choisie, et que la CRE préfère Voltalis à la surproduction, entraînant un surcoût pour ce producteur ?). Mais je suis d’accord avec vous, en l’état c’est une taxe sur le économies d’énergie au bénéfice des producteurs. Mais je reviens à cette loi : la CRE a-t-elle le choix ?

    Et une dernière remarque, je ne suis pas totalement convaincu par votre argument qu’EDF a peur de ne pas rentabiliser son parc de thermique à flamme, on est quand même leq plus gros importateurs européens d’électricité de pointe non ? Dans un parc avec autant de base / semi base qu’est le parc français, je ne vois pas comment ces centrales pourraient ne pas être rentables, même avec un développement important d’effacements diffus. Enfin c’est assez qualitatif ce que je raconte, mais je maque de chiffres à l’appui (puissance installée d’EDF en thermique à flamme, importation d’électricité de pointe, efficacité des effacements diffus …)

    Merci pour les éclairages que vous voudrez bien apporter.

  4. Connaissant un peu les ordres de grandeurs des business plan : il n’y a aucune chance pour que le thermique à flamme soit inférieur à la rémunération de Voltalis + premier producteur.

    Par contre le cas où Voltalis devrait rémunérer le producteur 1 (option 2) ça ne va pas du tout dans le sens d’une meilleure compétitivité, au contraire même ! Dans l’option 1, Voltalis ne met que ses frais de fonctionnement et sa marge, dans l’option 2 Voltalis doit mettre dans son prix ses frais de fonctionnemment + sa marge + la taxe sur les économies d’énergie au bénéfice du producteur 1.

    Pour la dernière remarque : comme tous les producteurs d’électricité EDF se comporte comme un vrai rat, c’est à dire s’ils peuvent gagner ne serait ce qu’un euro (ou empêcher un concurrent de gagner un euro) en faisant ch… le monde ils vont le faire…


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