Prudence est mère de sûreté. L’étude publiée cette semaine dans Environmental Science and Technology (EST) devra être interprétée avec précaution. Deux chercheurs américains y annoncent que les polluants émis par la flotte de commerce tueraient jusqu’à 60 000 personnes chaque année sur la planète. Grosso modo, chaque navire aurait donc un mort sur la conscience chaque année…
L’essentiel de cette pollution se concentre le long des côtes européennes, ainsi qu’au sud et à l’est de l’Asie, bref dans les régions où le trafic maritime est le plus intense. En France, les nuages frapperaient aussi dans l’intérieur du pays, compte-tenu de l’importance du trafic à ses portes et des vents dominants. Les fumées de navires provoquent maladies cardiopulmonaires et cancers du poumon.
Comme je l’ai déjà écrit dans ces colonnes, les navires de commerce brûlent du déchet pétrolier. Un épais résidu de la fabrication de carburants légers (essence, kérosène, etc.) qui contient notamment des quantités astronomiques de soufre. Ce dernier est recraché sous forme de sulfates, connus pour provoquer pluies acides, et acidification des océans. Comme souvent, la communauté maritime a jusqu’à présent été incapable de définir des normes antipollution, ce qui arrange tout le monde, à commencer par les raffineurs de pétrole qui trouvent un débouché à leurs déchets lourds.
Je ne suis pas épidémiologiste, et encore moins moins spécialiste des modèles de circulation des aérosols, mais j’ai du mal à prendre les chiffres d’EST au pied de la lettre. Certes, les vieux moulins de navires crachent d’épaisses fumées. Il suffit de fréquenter les eaux de la Manche, véritable autoroute à navires, pour s’en rendre compte. Mais déterminer le nombre de victimes de ces fumées reste une gageure. Dans les ports, sans doute, les populations doivent en prendre plein les narines, et les alvéoles de poumon. Après, difficile d’attribuer telle ou telle cause dans l’augmentation des pathologies pulmonaires. D’abord parce que la première cause reste et restera longtemps le tabac. Ensuite, parce que l’air qu’on respire dans les villes est bien plus propres qu’il y a un demi-siècle, quand le monde occidental se chauffait encore au charbon.
Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut jeter aux orties les travaux de Corbett et Winebrake. Que la réalité se situe au niveau de 60 000 victimes, ou trois fois moins, ils montrent que —hausse du commerce maritime oblige— les victimes de la combustion du goudron devraient être 40% plus nombreuses d’ici cinq ans. Et vu les conséquences de l’acidification des côtes et des océans, il est plus qu’urgent d’agir pour obtenir des navires qu’ils brûlent plus propre, ou plus exactement moins sale.
Cette semaine s’ouvrent des discussions à l’Organisation maritime internationale, à Londres. Une vénérable institution qui a souvent servi de pilier de défense d’un business — le transport maritime — aussi opaque que les fumées qu’il recrache. Espérons cette fois que l’intérêt général primera sur les intérêts des armateurs. Oui, brûler moins sale fera grimper le coût du transport. Et pourra aider aussi à relocaliser des industries qui, sans cette véritable subvention à l’export qu’est le transport à bas prix, seraient restées plus près des lieux de consommation.
Image. Dans le port de Dunkerque © Denis Delbecq 2007