Fukushima, terra incognita nuclei

© Denis Delbecq
© Denis Delbecq

[Mise à jour mardi 12:35] Inutile de le nier, les dernières dépêches de ce début de nuit française en provenance du nucléaire japonais ne sont pas réjouissantes. Rien qu’à la centrale de Daiichi (Préfecture de Fukushima), trois des six réacteurs sont toujours à la dérive, et pour cause: les trois autres étaient stoppés bien avant le séisme pour des raisons de maintenance. Bref un sans faute jamais vu dans le nucléaire: trois réacteurs d’un même site à la dérive.

Alors que je prends ma plume, je découvre une dépêche qui annonce une nouvelle explosion, dans la centrale de Daiichi, vers 22h (heure de Paris, 6h locales). Elle semblait inévitable: il s’agit cette fois du réacteur numéro deux de la centrale, dont l’état s’est aggravé depuis que certains équipements nécessaires au refroidissement ont été endommagés par les deux explosions survenues dans son voisin numéro trois la veille. Officiellement, bien sûr, il y a une douzaine d’heures, telle explosion était impossible. Mais, sans doute, en attendant la confirmation officielle, l’explosion de l’hydrogène produit par l’effet de la chaleur et de l’eau sur le métal qui enrobe le combustible, comme dans les bâtiments des réacteurs 1 et 3 qui ont connu la même série d’événements. Des dépêches soulignent que le personnel a été évacué en raison du niveau élevé de radioactivité dans l’enceinte.

Radioactivité alarmante ce mardi

Ça se corse. Selon l’agence Kyodo, la cuve du réacteur numéro deux semble avoir été endommagée après une explosion, et des niveaux de radioactivité très élevés ont été relevés sur le site. 400 millisieverts près du réacteur numéro 3. Hier encore on parlait de micro-sieverts, ce changement d’ordre de grandeur (un facteur mille entre les deux unités) n’est pas de bon augure.

Le réacteur 4, l’un de ceux qui étaient officiellement à l’abri, parce qu’en cours de maintenance et sans combustible dans le réacteur, donne désormais des sueurs froides aux responsables de la sécurité nucléaire. Un incendie (désormais éteint) semble avoir endommagé les installations de refroidissement de la piscine où sont stockés les combustibles usagés, le temps que leur niveau de radioactivité redevienne acceptable. Selon NHK, qui cite l’opérateur Tepco de la centrale, l’eau dans les piscine a grimpé à 84°C au lieu de 40°C habituellement. Et le bâtiment qui englobe le tout montrerait de nombreuses brèches.

Dans la série des mauvaises nouvelles, un anticyclone pointe le bout de son nez sur l’archipel japonais, il devrait s’y installer. Avec des vents quasi nuls et de quoi piéger la radioactivité près du sol…

Ah, une bonne nouvelle quand même: Tepco annonce que tous les réacteurs de sa seconde centrale (Fukushima 2) sont désormais correctement refroidis, à une température inférieure à 100°C.
Mise à jour à 12:35 le 15 mars 2011

D’après les informations tombées, près de la moitié du volume des assemblages de combustible nucléaire se sont retrouvés, un moment donné, privés d’eau de refroidissement. Faute de mesures fiables (du moins officielles) personne ne peut dire si le contenu fissile et métallique des crayons de combustible est en fusion ou pas, même si plus personne, dans les organismes japonais concernés en tous cas, ne semble en douter.

Le plus dingue dans cette histoire, c’est qu’il est désormais officiel que les opérations d’injection d’eau de mer dans le réacteur #2 ont un moment cessé lundi en raison d’une panne de carburant dans les réservoirs des pompes de secours. Comme quoi, dans l’industrie la plus High tech du monde, un problème de baignoire mal remplie peut changer la face du monde.

Toujours est-il qu’en raison d’une dépressurisation volontaire de la cuve du réacteur #2, qui libère vers l’extérieur de la vapeur chargée de substance radioactives, les niveaux relevés à proximité de la centrale ont grimpé lundi jusqu’à 3130 micro—sieverts par heure (trois fois plus que samedi et que la dose maximale annuelle pour le public, mais l’équivalent d’un simple examen tomographique par PET-Scan, faut-il le rappeler), avant de redescendre.

Savoir-faire. La bonne nouvelle, pour peu qu’on puisse croire ces relevés sous contrôle, c’est que ces variations importantes semblent confirmer qu’en dépit de la déliquescence des réacteurs, la radioactivité mesurée dans l’environnement n’est encore dûe qu’aux opérations volontaires conduites sur les trois réacteurs endommagés. Un signe que le contrôle revendiqué par les autorités n’est pas si contestable que les antinucléaires pourraient l’espérer. Mais il est un signe qui ne trompe guère: en dépit de son savoir-faire reconnu, le Japon a officiellement demandé à ses alliés nucléarisés de lui apporter de l’aide.

Selon CNN, la marine américaine, qui ne rôde jamais loin dans le Pacifique, a relevé des niveaux de radioactivité inhabituels sur des pilotes d’hélicoptères de retour de mission au Japon. Même si une simple douche aurait suffi à régler le problème. La dernière dépêche CNN que je lis explique qu’il n’y a pas de risque que les Etats-Unis soient touchés par les rejets radioactifs japonais. Je peux me permettre d’affirmer que l’Europe ne subira pas de graves effets sanitaires quoi qu’il arrive. Mais au Japon, alors que le retour de vents de secteur nord semble acquis, l’inquiétude règne à juste titre. Selon les informations dont je dispose, plusieurs médias occidentaux (dont français) auraient demandé à leurs envoyés spéciaux de se mettre à l’abri, loin de Tokyo. Non qu’ils soient mieux informés que d’autres. Juste qu’ils ont la trouille, ce qui est assez normal, somme toute.

En début de soirée, un ex-stagiaire sympathique m’a demandé quoi conseiller à ses amis japonais qui ont quitté Tokyo pour se réfugier à l’extrême sud de l’archipel. Quitter le Japon pour un autre continent? Rester? Franchement, je n’ai pas su quoi lui répondre.

Il se fait tard, après 48 h de veille permanente. Une dernière dépêche tombe, en provenance des Etats-Unis: l’enceinte du réacteur numéro 2 aurait été endommagée dans l’explosion du jour. Une étape de plus vers l’enfer nucléaire? No lo se.. Mais les trois mille et quelques micro-sieverts ont grimpé à huit mille. A bon entendeur…

24 commentaires


  1. Bonjour Denis,
    D’après les dernières nouvelles, il y aurait
    a/ des soucis au réacteur N° 4, un des ceux qui étaient stoppés (et censés être hors danger),
    b/ des graves soucis autour des « piscines » de refroidissement; apparemment, ces piscines poseraient un danger plus grave de contamination que les réacteurs, car beaucoup moins protégées. Le bâtiment abritant ces piscines autour perdu sa structure et ses grues de (dé)chargement.
    (à noter que l’Europe a abandonné ces piscines il y a longtemps pour éviter précisément ce risque).


  2. Pour ceux qui veulent suivre l’évolution de cette catastrophe de près, j’ai déniché deux sources japonaises mais qui publient en anglais:
    * Kyodo News: http://english.kyodonews.jp/news/ (site d’un journal)
    * Japan Atomic Industrial Forum: http://www.jaif.or.jp/english/

    Je ne peux certifier l’exactitude des données fournies, ni l’indépendance des sources (mais je préfère cela à une traduction en français d’une dépêche américaine d’une source japonaise)

  3. « Un signe que le contrôle revendiqué par les autorités n’est pas si contestable que les antinucléaires pourraient l’espérer. » Pourquoi dîtes-vous une chose pareille ? Votre article est très intéressant mais ne le finissez pas sur une énième attaque contre les antinucléaires. Il existe des antinucléaires passionnés par la technologie mais j’en connais peu qui espèrent un contrôle contestable d’un accident sur une centrale nucléaire.

  4. ce qui est plus grave c’est que les réacteurs qui étaient en maintenance et à l’arrêt ont des problèmes.

    ceci souligne qu’en cas de dérive on est incapable de stopper la machine nucléaire infernale. Je souriais jaune lorsque j’entendais Dimanche les propos lénifiants de NKM et un point qui m’étonne. Pourquoi l’AIEA parle de niveau 3 dimanche mais n’indique pas qu’il y a risque de dérive vers le niveau 5 ou 6

    1. Nous sommes (ou plutôt, ils sont) déjà au niveau 6 d’une échelle qui compte 7 marques.
      Si je ne me trompe pas, Superphénix, arrêté il y a une dizaine d’années, baigne toujours dans son sodium liquide, car on n’a aucune idée comment arrêter la machine infernale.
      Je suis assez convaincu qu’on n’arrêtera pas brutalement le nucléaire (cela arrêterait les trains et le chauffage de trop de personnes pour être digeste), mais je suis aussi convaincu qu’on ne plantera pas de 3e EPR sur le sol français; peut être même qu’on ne démarrera pas les travaux du 2e (quelqu’un a une idée où ils en sont, avec ce 2e EPR, je me suis arrêté à son approbation par le gouvernement ‘Ollier’?).
      J’espère que tout cela va permettre d’avoir un débat serein sur le futur énergétique en France et ailleurs.

    2. Exemple typique de réaction lénifiante et pleine d’âneries (c’est fou ce qu’on peut en dire en si peu de mots).

      (1) Les réacteurs à l’arrêt n’ont pas plus de problèmes qu’ils n’en avait avant le séisme : ils sont toujours arrêtés. C’est la piscine de refroidissement à côté du réacteur 4 qui en a un. Dans cette piscine, refroidissait du combustible usagé, sorti du réacteur, et l’eau de ce type de piscines doit être elle aussi refroidie (puisque le combustible qui s’y trouve est encore chaud, donc l’eau chauffe, et si elle chauffe trop, elle se met à bouillir, ce qui n’est pas le but de la manœuvre). Or depuis le tsunami, les opérateurs japonais à Fukushima sont obligés d’utiliser des générateurs électriques pour refroidir les différents réacteurs qui se sont arrêtés automatiquement au moment du séisme, puisque la centrale n’est plus reliée au réseau électrique. Et il semble qu’ils aient dû faire face à une limitation du carburant pétrolier à leur disposition pour alimenter ces générateurs. Du coup, il leur a fallu privilégier le refroidissement de ces réacteurs au refroidissement de la piscine voisine.

      (2) L’AIEA parlAIT (avec un verbe au passé) dimanche de niveau 3, parce que cela correspondait à la situation à ce moment-là. Depuis la situation a changé, donc le niveau de gravité de la situation a lui aussi changé. S’il fallait mettre le moindre incident directement au niveau 7 «parce qu’on ne sait jamais», ce serait quoi, l’utilité d’une échelle comme celle-là, franchement ?

      Bon, je m’arrête là, sinon, je vais encore faire une réaction de six pieds de long…

      1. «Exemple typique de réaction lénifiante et pleine d’âneries» : je précise, je parlais de la réaction d’Enthalpie, pas de celle de toxymoron (publiée entre temps)

    1. Author

      Il marche au MOX c’est sûr. Mais pas d’info sur ce que cela change. Areva dit que cela n’a aucune incidence, mais à vérifier of course… J’essaierai de regarder cela ce soir…

      1. Wikipedia (pour autant que c’est une source fiable 🙂 dit ceci: « Une dizaine de compagnies électriques japonaises gérant des centrales atomiques ont des projets d’utilisation de MOX, à partir de mars 2011 pour la plupart, décembre 2010 pour Kyushu Electric Power Company dans la 3e tranche de la centrale nucléaire de Genkai[2]. Areva a signé des contrats en 2006 puis 2008 avec quatre de ces sociétés pour la fabrication du MOX[3].
        Vu l’état de la catastrophe là-bas, je n’ai pas l’impression que MOX ou pas MOX change beaucoup la donne.

        J’avais une autre question. Est-ce que quelqu’un a une idée de combien de gasoil ils consomment dans cette centrale. Cela doit être un chiffre en camions-citernes par jour, mais je ne sais pas combien (et on peut s’imaginer les problèmes pour venir X camion-citernes par jour à travers un pays détruit et en manque de carburant).

  5. DDQ pourquoi utiliser des microsieverts plutôt que des millisieverts?

    1. Je crois qu’à l’heure où Denis écrivait/préparait son papier, les µSv étaient encore d’actualité. Depuis on est passé au mSv (millisieverts), mais c’est la faute à l’actualité qui avance plus vite que les média.

      1. dans toxymoron, il y a ‘moron’, un mot anglais pas loin du ‘pauvre c*n’ présidentiel.

  6. J’avais trouvé des informations du NY Times sur les réacteurs pour ne pas me laisser intoxiquer par les infos distillées ou frelatées que l’on entend de la bouche des divers intervenants sur les médias; officiels, experts, politiques, représentants d’Areva et j’en passe. Connaissant les contraintes liées à l’hydrogène, à la vapeur haute pression, aux alternateurs de production électrique je voulais connaître mieux la partie concernant le combustible nucléaire. Donc un grand merci à vous pour le « petit cours », clair et complet pour aller à l’essentiel, ainsi que pour les analyses des évènements successifs qui me conduisent au même conclusions. Vu votre niveau d’information (journaliste indépendant oblige) j’aimerai savoir si vous avez connaissance d’expertises dans le cas de la fusion totale du combustibles au cœur d’un réacteur. Vous avez très bien expliqué le processus thermochimique, je parle en terme de conséquences concrètes:
    Quels sont les niveaux maximum de radioactivité pouvant être atteints et dans quel périmètres? Quelles seraient alors les capacités d’intervention humaine dans de tels environnements pour continuer à gérer les réacteurs? Les équipes pourraient-elles accéder aux salles de contrôle encore en état de marche? Enfin le périmètre peut il aller jusqu’à concerner la deuxième centrale de Fukushima Daini qui semble être revenue à la normale? Je redoute un effet domino de plus grande envergure en espérant que mon analyse s’avère totalement fausse, à contrario de ce que j’ai envisagé et vu jour après jour jusqu’à maintenant.

    1. Author

      Non, je n’ai pas trouvé d’informations sur cette fusion de combustible. Dès que j’aurai trouvé (si ça existe), je les mettrais en ligne. Je n’ai hélas pas le temps d’appeler des spécialistes, étant occupé à bien autre chose pour plusieurs journaux.

      1. Merci de la prise en compte de mon message. M Thierry Charles, Directeur de la sûreté à l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), invité à l’émission de C dans l’air (regardée sur TV5 Asie), a émis des hypothèses qui m’aident à cerner un peu mieux les perspectives du moment. Les mots, le ton et le visage de cet homme n’étaient pas les mêmes que lors de ses interventions précédentes que j’ai eu l’occasion d’entendre. Ils ont malheureusement conforté les craintes que je soumets à la fin de mon article, édité la veille de l’émission TV, que vous pourrez parcourir si votre temps vous le permet:
        http://artsomdede.over-blog.com/article-nucleaire-au-japon-69372286.html
        Vous passerez sur la petite polémique du début. Il faut bien lâcher un peu de vapeur avant qu’elle ne soit saturée de bile radioactive. Mon blog n’atteint qu’un tout nombre d’amis en principe.

        Depuis l’éventualité de la rupture de l’enveloppe même du caisson de confinement d’un réacteur a été émise officiellement. Cette annonce, faite au conditionnel, m’amène à vous donner ces quelques informations techniques, que vous pourrez reprendre, vérifier, détailler, si elles vous sont utiles pour mener vos enquêtes. Tout réacteur (nucléaire ou non) travaillant sous hautes pressions et températures élevées est muni de nombreux capteurs de peau qui permettent de détecter toute anomalie de fonctionnement, toute dégradation de structure et anticiper les risques de fissure ou de rupture. Je ne peux imaginer un réacteur nucléaire et ses caissons de confinement sans ces équipements. Dans le cas où les capteurs sont en état de marche et lisibles depuis la salle de contrôle, un diagnostic doit pouvoir être établi, émis avec avec une marge d’erreur réduite qui permet de définir une réaction adéquate. Si aucune de ces mesures n’est visible, la conduite devient aveugle et explique le conditionnel de tous les communiqués.
        Comme vous l’avez si bien souligné dans l’article « urgent d’attendre », il n’est pas encore temps d’entamer les débats. Néanmoins, les éléments que je soulève aujourd’hui devront prendre une part importante dans la réflexion à mener avant d’entamer toute discussion. Au final il faudra bien trouver ou placer le curseur à propos de la spécificité du nucléaire sachant que dans toutes les activités humaines le risque zéro n’existe pas.
        Excusez la longueur des messages. Je ne voudrais pas abuser de votre temps précieux. Amicalement.






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