Au pays des toros, l’effet de serre se porte bien

Le soleil et le vent, c’est bien, mais rien ne sera possible sans mettre la priorité sur l’efficacité énergétique. Ce credo, je vous l’ai souvent martelé. Mais cette fois, il sort de la plume d’une équipe de chercheurs qui s’est penchée sur l’avenir énergétique de l’Espagne. J’ai pu mettre la main sur leur papier, même si je ne peux le rendre public pour respecter les droits de l’éditeur (1).

Le mix de production d’électricité de notre ibère de voisin n’est pas durable. C’est la conclusion de Linares, Santos et Pérez-Arriaga, trois chercheurs de l’Université Pontifica Comillas, à Madrid. Ils ont soigneusement étudié les données de la production et de la consommation d’électricité, dessiné des scénarios pour le futur, et calculé leur effet sur les émissions de gaz carbonique, mais aussi sur l’indépendance énergétique de l’Espagne. Le pays pourrait réduire ses émissions liées à la production électrique de 37% d’ici 2020, tout en réduisant la dépendance vis-à-vis de l’étranger.

Un petit rappel, pour ceux, comme moi, qui ne connaissent pas le mix espagnol par cœur. L’électricité de nos voisins provient à 20% des barrages (suivant la météo, of course). Un petit tiers vient du nucléaire (30%), le charbon fournit 35% et le gaz 15%. Les énergies renouvelables (vent, biomasse, soleil) ne représentaient que 7% de la production électrique espagnole. Il y a deux semaines, le pays a sorti son chéquier pour acheter des droits d’émission représentant six millions de tonnes de gaz carbonique, et rentrer dans les clous de ses engagements liés à Kyoto.

Trois scénarios, donc, pour cette étude riche d’enseignements. Le premier, business as usual, on prolonge ce qui se fait aujourd’hui. Le second prévoit un renforcement des politiques actuelles, mais sans changements radicaux. Le troisième s’appuie sur une véritable politique d’incitation aux économies d’énergie et de développement des énergies renouvelables, soutenu par un prix élevé des permis d’émission de carbone, et le maintien de primes aux producteurs d’énergie verte. Le quatrième est une variante du précédent, avec au passage une baisse de 50% de la production nucléaire en une dizaine d’années. Les chercheurs ont aussi estimé la capacité d’investissement des producteurs de courant. (2)

Et alors, il accouche le blogueur? Désolé pour tous ces détails, mais comme nos lecteurs-experts vont les réclamer, autant les donner tout de suite. J’arrive aux résultats…

En 2020, les émissions totales du secteur électrique espagnol atteindraient 40 à 118 millions de tonnes de gaz carbonique suivant le scénario, contre 92 Mt en 2003. Si l’Espagne se contente de renforcer sa politique, ses émissions avoisineraient les 75 mégatonnes de gaz carbonique. En conservant son nucléaire, en investissant lourdement dans les économies d’énergie et dans les énergies renouvelables, ses émissions diminueront jusqu’à 40 millions de tonnes de CO2. Et dans le même scénario, mais en fermant la moitié de la capacité de production nucléaire, l’Espagne afficherait 50 mégatonnes, le nucléaire étant compensé par du gaz. Dans ces deux cas, les espagnols devraient payer leur électricité 22% plus cher.

Bref, selon nos quatre chercheurs, l’Espagne —et doit— renforcer ses capacités d’énergies renouvelables (et la cogénération) tout en investissant pour réduire la consommation. Commencer une sortie du nucléaire dans l’intervalle amputerait la baisse des émissions de dix points entre 2003 et 2020 (qui passerait de 56% à 46%). Pour être complet, les chercheurs auraient du prévoir un autre scénario: un développement de la capacité nucléaire, en fonction de la capacité d’investissement des industriels. Nous resterons donc sur notre faim même si ces travaux confirment que l’essor des énergies vertes doit nécessairement s’accompagner d’investissements pour la réduction de la demande d’électricité. Et ça, ce n’est pas gagné!

(1) P. Linares et al. / EnergyPolicy 36 (2008) 4057–4068

(2) De ces scénarios dépend la croissance de la demande en électricité. Elle s’échelonne de 3% par an (si rien ne bouge), à 2% (l’Espagne renforce sa politique énergétique) et 1%, pour les deux scénarios à prix élevé du carbone. Et bien évidemment, plus on renforce la capacité de production des énergies renouvelables, plus les prix de l’électricité grimpent. Logique puisque les sites les plus productifs sont les premiers équipés… Parallèlement, le prix de la tonne de gaz carbonique dépend du scénario. Jusque 30 euros en 2020 pour les deux scénarios « ambitieux ». A noter que les chercheurs considèrent que le développement de l’éolien offshore —le plus onéreux— n’est pas nécessaire pour les scénarios les plus ambitieux en terme d’efficacité énergétique.

6 commentaires

  1. Bel article, mais je vais râler quand même 😉

    Pour moi, c’est une étude biaisé par les préférences des auteurs pour la décroissance d’une part, et l’antinucléaire d’autre part. Pas besoin de discuter du deuxième, tu as déjà mentionné cette faiblesse.

    Par contre j’insiste sur la confusion induite par le passage de « il faut réduire les émissions » à « il faut réduire la consommation d’électricité ». Pas d’accord: l’essentiel des émissions n’est pas du à la production d’électricité, et certaines des stratégies les plus payantes sont de transférer la consommation de fossile en consommation électrique. Exemple: passer du chauffage fossile au chauffage électrique (avec une préférence pour la pompe à chaleur), passer du transport par camion au transport par train électrique, passer du transport en voiture au transport en tram, passer du transport aérien au transport en train, etc etc etc.

    Toutes ces politiques impliquent à la fois une augmentation de la consommation électrique et une diminution des émissions CO2 (du moins si l’.électrique est nucléaire, renouvelable, ou géothermique). En prenant le problème par le petit bout de la lorgnette « production électrique », on en vient à conclure que « l’essor des énergies vertes doit nécessairement s’accompagner d’investissements pour la réduction de la demande d’électricité ». C’est se tirer une balle dans pied.

  2. L’Espagne est une péninsule électrique qui peut quasiment être considéré comme un réseau électrique isolé du reste de l’Europe et de l’Afrique du Nord. Je ne vois donc pas trop comment ils pourraient réussir à développer le nucléaire plus qu’actuellement, ce ne serait plus de la science mais de la science-fiction. Ensuite si l’Espagne a mis en place les investissements sur le réseau pour produire 20% de son électricité à partir d’éolien, je n’ai pas connaissance d’investissements dans ce sens pour aménager des nouveaux sites nucléaires, étant donné qu’il s’agit d’un scénario pour 2020, l’intervalle de temps est trop proche pour envisager le développement des capacités nucléaire (il faudrait au moins 10 ans)… Enfin, ne pas oublier que la centrale nucléaire est la centrale qui nécessite de consommer le plus d’eau pour le refroidissement et que ce pays en est réduit à importer de l’eau par tanker de Marseille, ça joue aussi…

    Enfin bon, si rappeler des évidences c’est être pour la « décroissance » (il ne doit même pas y avoir d’équivalent en espagnol) et « anti-nucléaire »…

    Par rapport à la baisse de la consommation… Qu’est ce qui consomme le moins : une passoire avec une pompe à chaleur ou une maison passive ? Un tram ou une ville piétonne ?

    En plus il y a un truc que beaucoup de monde semble oublier c’est la dette écologique (et financière)… La question ce n’est pas : « qu’est-ce qu’on va construire comme centrale pour nos nouveaux besoins » ? C’est « comment on va faire pour remplacer toute notre infrastructure actuelle ? », plus on rajoute de nouveaux besoins pour l’électricité et plus ça va être difficile de remplacer les anciennes centrales…

  3. Sur l’Espagne, chiffres de 2006:
    production électrique: 300TWh
    production éolienne: 23 Twh (7.6%)
    production nucléaire: 60TWh
    production hydro: 29.5 TWh
    production charbon: 68 TWh
    production gaz: 90 TWh

    Vos croyez vraiment qu’ils produiront un jour 20% de leur électricité avec de l’éolien? Ils ont déjà dû donner un coup d’arrêt à la gabegie solaire…Je crois que pour l’instant, ils sont en train d’espérer en la nouvelle interconnection avec la France, et que la crise économique ne va pas trop faire…baisser leur consommation! C’est un handicap dans cette situation d’avoir une électricité trop chère. Je vous rappelle que le développement espagnol depuis 10 ans s’est fait avec le gaz, l’éolien étant marginal:
    http://www.iea.org/Textbase/stats/pdf_graphs/ESELEC.pdf
    vous le confirmera.

    Mais il est évident que la consommation électrique espagnole va baisser. C’est probablement ce que Hervé Kempf appelle de ses voeux: la décroissance enfin! Mais je ne suis pas sûr que les Espagnols apprécient la chose à sa juste valeur!

    Karva

  4. Evidemment qu’ils vont produire 20% de leur électricité avec de l’éolien… Pour vous donner une idée les chiffres de 2007 ça donne ça :

    Nucléaire : 52,7 TWh (vieillissement des centrales, comme quoi heureusement qu’il y avait l’éolien pour compenser la production intermittente des centrales 😀 )
    Fossile : 157,7 TWh
    Hydro : 29,8 TWh
    Autres renouvelables : 31,8 TWh
    (dont éolien : 26,9 TWh)
    Importation 8,8 TWh
    Exportation 14,1 TWh
    Balance : – 5,7 TWh
    (ref ucte.org)
    Il suffit de voir ce qu’à fait la Navarre en 10 ans ( http://www.mediapart.fr/journal/france/130608/en-navarre-ah-comme-elle-est-belle-mon-eolienne ) pour se rendre compte que le déploiement des EnR est ce qui se fait de plus rapide.

    L’objectif de l’Espagne pour 2010 c’est de produire 12% de son énergie primaire par des énergies renouvelables et 29% de son électricité par des sources renouvelables. A ce moment là on sera à environ 15% d’éolien pour l’électricité…

    Les objectifs préliminaires pour 2030 c’est de produire 40% de l’électricité avec du renouvelable (essentiellement solaire et éolien).

    L’Espagne n’a donc pas du tout l’envie d’arrêter le développement du solaire ! Ils ont simplement été surpris par la baisse des prix de l’électricité photovoltaïque qui a rendu leur feed-in tariff extrèmement intéressant et préfèrent maintenant inscrire le développement de l’énergie solaire dans une démarche industrielle.

    Un autre point de désengorgement du réseau ça va être le renforcement de la ligne Maroc/Espagne. Au passage l’interconnexion avec la France va plus profiter à l’éolien espagnol qu’au nucléaire français.

  5. Tilleul : « Enfin, ne pas oublier que la centrale nucléaire est la centrale qui nécessite de consommer le plus d’eau pour le refroidissement et que ce pays en est réduit à importer de l’eau par tanker de Marseille, ça joue aussi… »
    ———————
    D’un une centrale nucléaire ne consomme pas plus d’eau qu’une centrale au charbon à puissance équivalente.
    De deux, une centrale nucléaire se refroidit très bien à l’eau de mer qui comme vous ne le savez pas sans doute possède AUSSI la merveilleuse propriété de s’évaporer. Des centrales en bord de mer (impact visuel minime puisqu’il n’y a aucune tour réfrigérante), il y en a des tas dans le monde, la centrale espagnole de Vandellos est justement de ce type.
    Allez visiter une par ex. celle du Blayais, ça vous évitera de raconter des énormités.

    Pour l’Espagne au contraire, une centrale nucléaire serait on ne peut pas plus adapté étant donné l’abondance de sa surface maritime d’autant plus qu’on peut en profiter pour dessaliniser l’eau.
    Du reste, l’Espagne se dépanne en eau par tanker qu’occasionnellement et en quantité minuscule ramenée à sa conso nationale. Et ce juste en été de qq années les plus sèches en attendant justement d’avoir fini de construire les usines de déssalement nécessaire qui pour l’instant tourne à l’électricité d’origine fossile. Donc monter ça en épingle pour dire que l’Espagne manque d’eau pour des centrales nucléaires, c’est franchement ridicule.

    Vous êtes d’un tel extrémisme anti-nucléaire que vous ne reculez devant aucune ineptie. C’est franchement pathétique. Ouvrez les yeux mon vieux. Le nucléaire est de retour et en force, que vous le vouliez ou pas. Le monde ne vous attend pas pour avancer. Plus vite vous vous en rendrez compte, moins grande sera votre frustration !

  6. « D’un une centrale nucléaire ne consomme pas plus d’eau qu’une centrale au charbon à puissance équivalente. »

    Faux, l’efficacité de la centrale dépend de la différence entre la température d’évaporation et la température de condensation, les centrales charbon opèrent à une température supérieures aux centrales nucléaires on les refroidit donc moins pour une même efficacité…

    http://www.sandia.gov/energy-water/docs/121-RptToCongress-EWwEIAcomments-FINAL.pdf

    p38 tableau V-1…

    http://www.sandia.gov/energy-water/docs/121-RptToCongress-EWwEIAcomments-FINAL.pdf

    « impact visuel minime puisqu’il n’y a aucune tour réfrigérante) »

    Et vous allez me dire qu’il n’y a aucun réseau de transport aussi ? Un petit détail qui n’est pas qu’esthétique puisque si vous voulez mettre des centrales au bord de mer là où il n’y a personne il faut aussi développer le réseau électrique puisqu’il n’est pas installé là où il n’y a personne…

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