L’histoire remonte à fin 2009. Dans un atelier en cours de démantèlement de l’usine de la Hague, un opérateur —employé d’un sous-traitant d’Areva— se pique avec une aiguille métallique contaminée par de la radioactivité. Ses jours ne sont pas en dangers, mais il a subi une contamination interne. «Il y a eu un contrôle médical immédiat, détaille Christophe Neugnot. Mais pour connaître la dose de contamination dans un cas de ce genre, il faut deux mois à deux mois et demi. Or nous avons 48 heures pour le déclarer aux autorités.» La raison, pour Areva, du coup de griffe donné par l’Autorité de sûreté, soulignant qu’Areva a tardé à déclarer cet incident que l’ASN a placé au niveau 2 sur l’échelle internationale de sûreté INES. Le cas était-il grave? «Nous n’en savons rien, seuls le médecin du travail et l’employé concerné connaissent la dose exacte, et l’IRSN qui vérifie les calculs du médecin, évacue Neugnot. Cela relève du secret médical.» Renseignements pris auprès de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), cet organisme n’intervient qu’à la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire, et non pas de l’industriel. Il avait été saisi pour cet incident survenu fin 2009. «Dès qu’un employé a reçu une dose supérieure à la limite d’exposition annuelle des travailleurs du nucléaire (20 mSv), l’employeur doit le déclarer à l’Autorité de sûreté, à l’inspection du travail, ainsi qu’au CHSCT de l’entreprise, explique-t-on à l’IRSN. C’est vrai que dans un cas comme l’incident de contamination survenu à la Hague, le délai de déclaration de 48 heures n’est pas vraiment pertinent. D’ailleurs, certains radio-éléments peuvent nécessiter un délai de six mois avant d’avoir une estimation correcte de la dose reçue.» Dans le cas présent, la limite annuelle a été dépassée, et le salarié a été déclaré inapte à pénétrer en zone de radio-protection, le temps que la contamination disparaisse.
L’an dernier, l’usine de la Hague a connu 58 événements significatifs, dont 18 concernent l’environnement, et 40 la sûreté. Comme souvent, la publication du rapport d’activité annuel de l’ASN a été l’objet de joutes entre Areva et l’Autorité, par presse interposée. Mi-mai, la conférence de presse annuelle de la division de Caen de l’ASN n’a pas échappé à la règle, à propos des incidents survenus à la Hague en 2010. «Il n’est pas normal que pour environ un quart d’entre eux, l’ASN soit quasiment obligée de se fâcher pour obtenir une déclaration», a ainsi expliqué un dirigeant de l’ASN-Caen, selon l’Agence France Presse. Lors de notre visite du site de la Hague, Christophe Neugnot, le directeur de communication de l’industriel a insisté: «Il n’est pas de notre ressort de classer les événements, nous ne faisons que des propositions. Les dysfonctionnements sont de trois niveaux. Quand la notion de sûreté n’est pas en cause, on appelle cela des constats, qui sont répertoriés dans nos registres, mais pas adressés à l’ASN. Elle y a accès lors des visites de contrôle.» Ensuite, des dysfonctionnements, des «écarts» dans le jargon nucléaire, peuvent survenir, qui ne sont pas classables sur l’échelle de sûreté INES. «Nous en informons l’ASN, mais nous ne faisons pas de déclaration formelle pour cela», précise Neugnot. Enfin, les événements significatifs, notamment ceux qui mettent en cause la sûreté ou l’environnement, sont déclarés par Areva, qui propose un classement provisoire sur l’échelle INES, qui doit être confirmé ou infirmé par l’ASN. «La presse a confondu absence de déclaration et absence d’information de l’ASN», regrette Christophe Neugnot.
A l’ASN de Caen, on nous fait comprendre à mots couverts que l’AFP a un peu malmené les déclarations d’un membre d’autorité lors de la conférence de presse. «Nous n’avons jamais dit “dans un quart des incidents“. L’AFP a calculé qu’il y avait eu 3 événements reclassés par l’ASN, et 5 écarts découverts lors d’inspection du site, sur 40 événements de sûreté, d’où ce fameux quart attribué par l’AFP à notre porte-parole, bien qu’il ne l’ait jamais dit. Quand à l’emploi du terme “se fâcher”, cela fait partie du jeu d’autorité entre un industriel et l’autorité de contrôle.» Et si Areva se défend d’avoir manqué à ses obligations, l’ASN insiste sur le manque de rigueur du suivi pratiquée par l’industriel: «Les procédures qui permettent d’identifier les événements sont insuffisamment écrites, et insuffisamment appliquées.» D’un côté un industriel qui se plaint des petits tracas imposés par l’administration, et de l’autre, une autorité qui rappelle que son rôle est de «faire progresser les installations nucléaires». Qui se plaindrait d’une administration trop tatillonne à propos de nucléaire?
Lire l’épisode I: A la Hague, visite très encadrée dans un des temples du nucléaire.
Lire l’épisode II: Une piscine peu ragoûtante.
Lire l’épisode III: «Tout ce qui entre ici est un déchet, sauf vous.»
Voir le volet photographique du reportage.
4 commentaires