Le prix du pétrole, c’est élastique

Enfin, la consommation de carburant réagit à la hausse du prix du baril! En 2006, Libération avait publié un supplément sur les vertus du pétrole cher, dont j’avais co-signé l’édito avec Vittorio de Filippis. Au même moment, parce que l’essence commençait à flamber, le Parisien caressait ses lecteurs dans le sens du poil. Un contraste qui m’avait valu un passage télé, devant l’audience confidentielle de France 4 si je me rappelle bien. Et je m’étais fait copieusement engueuler par des lecteurs, des journalistes de Libé et des copains.

Mais je persiste et je signe: la hausse du prix des carburants a bien des vertus. Selon l’UFIP (qui regroupe les principales compagnies pétrolières en France), la consommation a chuté en juin de 10% par rapport à la même période de 2007. Pour l’essence, la baisse est de 15% (7,48% sur six mois) quand elle est de 8,7% pour le gazole (hausse de 0,65% sur 6 mois). Vu que l’écart de prix entre les carburants  subit une cure d’amaigrissement accélérée, c’est sans doute que les particuliers ont tempéré leurs déplacement tandis que les camions continent de rouler. Parce qu’évidemment, on ne repense pas une politique des transports en quelques mois. Mais au train de sénateur choisi par l’équipe du lider maximo verde, il y a peu de chance que les choses changent!

Pour la peine, je vous redonne l’édito qu’on avait écrit à quatre mains dans le supplément de Libé du 29 mai 2006. Deux ans plus tard, on dirait qu’il n’a pas pris une ride.

«La fin du pétrole n’est pas pour demain. Mais la fin du pétrole bon marché est avérée. Le baril à trois cents dollars n’est plus un mythe. Experts, banquiers, militants, militaires, planchent déjà sur ce futur possible, pour ne pas dire proche. La difficulté croissante à étancher la soif planétaire en pétrole est chaque jour plus évidente. Le Nord pompe à tour de bras depuis près de cent cinquante ans, et le Sud aspire logiquement à le rejoindre.

La consommation mondiale, les formidables tensions géopolitiques, tirent le prix du baril vers le haut dans une spirale infernale. Cette situation provoque des raisonnements en noir et blanc. Les optimistes parient que la technologie, l’argent dégagé par un pétrole cher, doperont l’exploration et la découverte de nouveaux gisements. Les autres voient le compte à rebours déjà enclenché, le monde consommant presque autant en vingt ans qu’il ne l’a fait depuis la construction du premier derrick: technologie ou pas, d’ici deux décennies, peut-être même une seule, l’or noir aura quasiment disparu. Et bien avant cela la carte politique du monde risque d’être profondément bouleversée, car les pays assoiffés d’or noir n’assistent pas les bras ballants au désastre annoncé.

Nous réagirons. Aujourd’hui? Demain? Une seule certitude, ce sera sans doute tard, et notre inertie risque fort de gripper les rouages d’une mondialisation triomphante. Sans même parler des autres conséquences de cette fringale d’or noir –pollution, réchauffement du climat, montée des océans– considérées en général comme quantité négligeable. Qui se soucie des populations les plus vulnérables, de celles qui, par centaines de millions, seront les premières victimes d’un pétrole toujours plus cher, qu’elles ne pourront plus s’offrir? Qui, hormis les scientifiques, économistes, anthropologues, écologues, agronomes, physiciens de l’atmosphère et ONG, s’inquiète de la facture des coûts externes engendrés par une planète shootée au pétrole? Pas les politiques. Pourtant, dès la conférence de Stockholm en 1972, l’environnement s’est invité dans les débats, et les Etats ont été confrontés à la réalité de leur interdépendance planétaire. Certes, en 1992, la conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement de Rio de Janeiro a débouché sur nombre de conventions d’importance majeure, sur le climat par exemple, ou encore la biodiversité. Enfin, le sommet de Johannesburg en 2002 a tenté de considérer le développement social comme la clé de voûte du développement durable. Mais tout cela avec les résultats qu’on sait: trois fois rien. La prise de conscience est réelle, mais les actes tardent. Et le pétrole n’en finit pas de s’envoler sans autre conséquence que de durcir la vie quotidienne. Et si, pourtant, ce baril hors de prix avait des vertus? Aujourd’hui, personne ou presque ne se soucie de consommer mieux, c’est-à-dire de consommer moins de ressources et surtout d’énergie. En dépit d’un engouement sans précédent, les énergies «propres», sans hydrocarbures ni déchets à long terme, ne pèseront au mieux que 2% de la consommation mondiale en 2030. Même l’atome n’y pourra rien. Pourtant, la Chine, l’Inde, l’Europe, n’en finissent pas de planter des moulins à vent; le Brésil fait tout pour sucrer ses moteurs et ceux du reste du monde; et les adeptes du diesel à huile découvrent des qualités à la friture.

Un pétrole cher, c’est l’assurance que les milliers de projets, d’expériences du moins consommer, ou du consommer autrement, ne seront plus de simples gouttes d’eau réservées à quelques bobos. La plupart des idées qui germent ici et là n’attendent plus qu’un petit coup de pouce et beaucoup de pédagogie: est-il normal que l’Autriche affiche trois fois plus de chauffe-eau solaires que la France? Est-il raisonnable d’utiliser des hordes de camions quand le rail a prouvé depuis longtemps son efficacité? Est-il judicieux que les ingrédients d’un simple pot de yaourt parcourent plusieurs milliers de kilomètres avant d’atterrir sur nos tables? Est-il légitime de dégrader les côtes chiliennes en quelques années pour assouvir l’appétit de saumon des Européens?

Le choc pétrolier dont nous vivons les prémices exige des politiques ambitieuses, pour forcer les uns, et accompagner les autres. Mais on ne les voit se dessiner ni en France ni en Europe ni ailleurs. La cure de désintoxication au pétrole aujourd’hui, la panne sèche demain, seront d’autant plus violentes que les responsables politiques auront gardé leurs œillères. Pourtant, le développement durable, trop souvent considéré à tort comme un simple thème en vogue, ambitionne d’instaurer un état universel de bien-être en «écologisant», en humanisant l’économie. Chacun, politiques en tête, récite sans se tromper la définition du développement durable: «Un type de développement qui permet de satisfaire les besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.» Mais voilà, chacun voit la durabilité à sa porte. Si nous ne faisons rien, demain, le baril sera à prix d’or quand le sevrage sera impossible et le climat en surchauffe. Alors aujourd’hui, ce pétrole déjà cher est l’occasion ou jamais de changer notre monde. Vive le pétrole cher, donc!»
DENIS DELBECQ et VITTORIO DE FILIPPIS

33 commentaires

  1. Si on a déjà fait les frais ça peut pas faire de mal mais c’est un peu comme porter une ceinture et des bretelles. Le rendement final ne va pas baisser et on va gagner quand même mais pas assez pour justifier le cout de construction du puit canadien.

    De toute façon nous sommes sur internet où les hommes sont des femmes, les femmes sont des hommes et les enfants des agents du FBI… Donc plutot que de prendre un conseil d’un random dude sur internet (c’est à dire : moi 🙂 ), autant faire le calcul soit-même : pour voir le gain effectif il suffit de prendre la courbe d’efficacité de l’échangeur de chaleur et de faire la comparaison entre ce qu’on récupère avec l’air extérieur et ce qu’on récupère avec de l’air préchauffé.

    D’un autre côté personne n’est capable de dire comment il faut chauffer une maison passive (bon moi je dirais bien « on chauffe pas et on accepte de mettre un pull quand il fait -10 dehors plutot que de se ballader à poil » mais une grande figure européenne de l’architecture et de l’urbanisme bioclimatique m’a fait remarquer que c’était pas très vendeur 🙂 )

    Sur l’évolution de la demande…

    Je suis plutot d’accord avec cette analyse : http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2008/08/06/AR2008080602686.html

    « There have been changes in energy-use patterns, too. But these have not been as radical as in the United States. The reason is that being accustomed to high energy prices, Europeans are long used to the energy conservation practices at home and at work that Americans are only now converting to. So there isn’t terribly more they can immediately adapt, to lower consumption still more.  »

    « In Asia, conditions vary. In developed economies like Japan, Hong Kong and Singapore, there are many similarities with Europe. So patterns of consumption are not likely to resemble those of America in recent months.

    In other parts of the region, fuel price rises are hitting hard, particularly after the reduction in subsidies. Gasoline prices are up 41 percent in Malaysia. Taiwan raised prices 13 percent. Indonesia, India, China and others also have seen sharp rises in prices.

    But this is unlikely to result in declines in demand significant enough to make a difference in global terms. Without an adequate public transport system, many people in Malaysia might still need motorcycles to get to work. Residents in Thai provincial towns may need to take three-wheeler cabs to the market. And less wealthy societies generally are going to be constrained in adopting energy-saving technology at home and in factories.  »

    Il y a forcément un seuil à partir du moment ou il faut commencer à investir dans les solutions de remplacement, en théorie sur le long terme le marché règle ça… Mais comme dirait Keynes « sur le long terme on est tous mort » et si un économiste n’est capable que de prédire qu’après la tempête il y aura du beau temps ça ne sert pas à grand chose.

    Le but c’est d’avoir ces investissements maintenant pas dans un hypothétique futur quand l’augmentation d’une taxe sur le CO2 (calculée avec les méthodes vendues par son défenseur le plus médiatique j’ai nommé Jancovici) aura peut être convaincu des investisseurs de se lancer dans la mise en place de solutions alternatives. Dans l’esprit des gens une taxe sur le CO2 ça a un coté « pollueur payeur » qui fait payer les méchant, mais la justice doit être laissé aux tribunaux, ici on cherche l’efficacité.

    Deuxième point, il y a des essais d’étiquetage CO2 qui ont été fait et c’est totamement ingérable parce que le CO2 change tous les 15 jours dès qu’un sous-traitant dans la chaine est différent… De plus ça reste des stats qu’on est incapable de quantifier, au final il y a un choix qui est fait et qui revient à subventionner les produits locaux (qui ne sont pas forcément moins émétteur de gaz à effet de serre, cf l’exemple de l’agneau anglais agro-industriel contre l’agneau néo-zélandais élevé à l’herbe et transporté en bateau) et à taxer les produits importés… La dernière fois qu’on a utilisé ce genre de mécanisme financier ça a mené à la contamination au monde entier de la crise de 29…

    La question qu’on peut se poser c’est est-ce que la réduction du carburant en France est du à une meilleure efficacité énergétique et l’adoption de solutions de remplacement, ou est ce que c’est juste parce que les gens ont moins d’argent alors ils ont sacrifié de leur niveau de vie (par exemple en ne partant pas en vacances)… Parce que la baisse de la consommation d’énergie c’est pas le but principal (sinon on connait déjà les deux remèdes pour ça : la crise économique et la guerre), on tient quand même à garder un peu les avantages du progrès…

  2. C’est clair que mettre un pull n’est pas vendeur, on préfère vous installer une PAC, c’est tellement plus confortable mon bon monsieur.

    Concernant le puit canadien, attention de ne pas se concentrer uniquement sur ses avantages en période de chauffe, il est aussi très utile pour rafraîchir en été. Et quitte à construire du neuf, autant faire creuser la trancher, ça doit pas grever le budget de façon rédhibitoire.

    Pour la consommation d’essence, il semble quand même évident que cette réduction vient d’abord de la baisse du désormais célèbre et incontournable pouvoir d’achat. Beaucoup de gens ne partent plus ou moins loin et moins longtemps.

    Pour le côté pollueur/payeur, effectivement ça ne passe jamais facilement, mais les gens sont quand même marrants, comme je faisais récemment remarquer à Denis :
    – GP et Sortir du nucléaire peste contre l’atome,
    – L’institut Montaigne et France Environnement Durable (et quelques autres) argumentent contre l’éolien,
    – France Nature Environnement vient de s’élever contre le plan Borloo pour l’amélioration du parc hydraulique,
    – Les architectes de France ne veulent pas des panneaux solaires
    – dans quelques semaines, le WWF demandera surement l’arrêt des hydrauliennes au nom de la sauvegarde des cétacés
    -…

    Bref beaucoup de gens se trouvent de bonnes raisons pour gueuler contre des énergies propres au regards du CO2, mais on veut quand même une piscine, la clim, une PAC, un ordi qui tourne 7/24…

    C’est complètement schizophénique cette histoire.

  3. @Romu, ce qui manque c’est un logiciel qui permette de tester des hypothèses pour vérifier qu’elles sont compatibles entre elles.Les données à entrer,ce sont entre autres les ressources énergétiques disponibles ( énergies primaires), leurs vitesses possibles de mise en production, les demandes en énergies finales, les rendements de transformation des énergies primaires en énergies finales,les coûts, les productions de gaz à effet de serre qui en résultent, le tout par pays. C’est sûrement moins difficile à faire qu’un modèle climatique. Je pense que çà existe d’ailleurs, et que c’est en particulier utilisé pour les modèles climatiques. Mais çà pourrait être utilisé, non pas pour mettre tout le monde d’accord, mais pour des discussions plus sensées. D’autre part la base de données sur laquelle fonctionnerait un tel logiciel pourrait être sans cesse améliorée lors de discussions contradictoires.Je regardais il y a quelques jours un tableau de différents appréciations des émissions de CO2 par l’énergie nucléaire et de leur décomposition par nature d’opération (extraction, enrichissement, construction etc.), où les extrêmes sont Vatenfall ( 4 g CO2eq./kWhe) et Storm et Smith( 100 g). Il deviendrait possible de les mettre face à face en présence d’un scientifique chargé de modérer et d’évaluer la rigueur des arguments et l’exactitude des données, pour qu’ils arrivent à se mettre d’accord sur des valeurs. Et il serait possible d’évoluer au cours du temps. Mais je ne suis pas sûr que cela intéresse grand monde, car cela couperait l’herbe sous le pied de bon nombre de  » politiques », dont l’intérêt n’est pas d’établir la vérité, mais d’exploiter des émotions.
    On ne peut pas se contenter de dire: celui-ci dit une chose et celui-là en dit une autre; Comme je ne sais pas trancher, ces deux opinions sont pour moi d’égale valeur: soit je fais la moyenne, soit je choisis celle qui me plaît le plus, où vers laquelle mon « intuition » me pousse. C’est la méthode Internet, ou journalistique. Dans un autre registre, c’est aussi la méthode des créationistes.

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