Vaccination contre la variole - CDC/ World Health Organization; Stanley O. Foster M.D., M.P.H

«Tous les virus ne sont pas nos ennemis, bien au contraire!»


La plupart des virus sont inoffensifs pour les animaux et les plantes dans lesquelles ils vivent. A tel point que notre patrimoine génétique en a intégré depuis des millions d’années, dont certains participent au bon fonctionnement de notre physiologie. Il existe des virus tueurs, mais aussi d’autres qui épaulent les médecins pour prévenir des maladies, ou les soigner.

Image: Vaccination contre la variole © CDC/ World Health Organization; Stanley O. Foster M.D., M.P.H

Marc-André Selosse en 2017 / CC-BY-SA-4.0


Marc-André Selosse est biologiste, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle. Il enseigne également dans les universités de Gdansk (Pologne) et de Kunming (Chine). Il a écrit « Jamais seul. Ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations » publié aux Editions Actes Sud.

Interview réalisée le 6 avril 2020 pour la préparation de l’Edito Carré et du Virus au carré, par Mathieu Vidard le 8 avril, sur France Inter.

L’épidémie de Covid-19, comme d’autres avant, met un coup de projecteur sur la capacité qu’ont certains virus de provoquer des maladies, parfois mortelles. Mais les virus sont-ils tous nos ennemis?
Bien au contraire : comme tout ce qui nous entoure, ils ne sont ni bons ni mauvais, cela dépend des cas. Les virus n’ont pas la capacité de se reproduire eux-mêmes. Ils ont donc besoin d’un intermédiaire, la cellule, pour se multiplier. Une petite partie d’entre eux ont adopté une stratégie qui consiste à infecter une cellule, puis à la tuer en la forçant à émettre d’autres particules virales. Ce sont des virus comme ceux qui sont à l’origine de l’épidémie de Covid-19, de la fièvre Ebola ou du sida. Mais de nombreux virus vivent sans tuer les êtres vivants qui les hébergent, et certains sont même sont favorables à leur hôte. Leur stratégie est différente: ils restent au calme au cœur de la cellule-hôte et comptent sur le processus de division cellulaire pour se multiplier avec  les cellules qui les hébergent, sans les détruire. Certains virus ont fini par s’intégrer au génome de leur hôte au fil de l’Evolution, et même à y prendre un rôle.

Notre génome est donc constitué en partie de virus?
Oui, on pense que 5 à 8% de notre patrimoine génétique provient de l’intégration de fragments de virus acquis au cours de l’Evolution. Certains sont présents depuis des millions d’années dans le génome des animaux, des plantes, des bactéries, et des champignons. Il y a plusieurs dizaines de millions d’années, des virus (ou des fragments) de la famille des rétrovirus ont été intégrés dans le patrimoine génétique d’un de nos ancêtres primates. Certains fragments ne servent  à rien qu’on ait pu identifier. Mais d’autres, au cours de l’évolution, travaillent calmement dans nos cellules en participant au fonctionnement normal du corps humain, et nous sont du coup bénéfiques.

Le lézard Mabuya a capturé un virus il y a environ 25 millions d’années, qui lui a permis de développer un placenta © Martha Patricia Ramírez Pinilla (Université de Santander, Colombie)

Un virus peut donc être utile à la vie?
Bien sûr. La fabrication du placenta, chez l’Homme et divers mammifères, en est un bon exemple. Ce placenta est le résultat de la fusion d’un grand nombre de cellules : il constitue une barrière continue qui protège le fœtus contre le système immunitaire de la mère. Cette fusion est possible grâce à la présence d’une protéine, la syncytine, dont la production est directement gouvernée par un fragment de gène hérité d’un rétrovirus. C‘est une réutilisation du mécanisme qui permettait au virus de fusionner avec la cellule à son entrée dans celle-ci. Un mécanisme similaire, d’origine virale, s’est aussi produit chez des lézards vivipares, qui ont aussi des embryons dans le ventre maternel nourri par un placenta. De la même manière, un gène d’origine virale peut réguler le fonctionnement de gènes qui se trouvent à proximité de lui. C’est par exemple ce qui se passe pour la sécrétion de l’amylase salivaire, une enzyme qui permet de digérer l’amidon dans notre salive. C’est encore plus précieux depuis que les humains ont inventé l’agriculture et mangent beaucoup de graines riches en amidon.

On entend parfois que c’est en mimant un comportement viral, que certaines cellules, les eucaryotes, se sont forgées un noyau dont sont dépourvues les bactéries…
Certains virus ont acquis la capacité de se constituer une enveloppe, comme s’ils créaient une sorte de noyau, quand ils pénètrent dans la cellule car c’est une stratégie très efficace échapper aux mécanismes de défense de la cellule qu’il infecte. Certains imaginent donc  que ces cellules ancestrales aient adopté les gènes de ces virus pour profiter de cet avantage évolutif, formant l’ancêtre des eucaryotes, les organismes dont les cellules ont des noyaux, dont nous faisons partie. C’est une hypothèse plausible, mais qui reste encore très spéculative!

Combien existe-t-il de virus dans la Nature?
On n’en sait absolument rien, faute de disposer de méthode efficace et routinière pour les identifier et les compter en nombre, mais on estime leur nombre entre un million et plusieurs milliards d’espèces. Des méthodes routinières d’identification par l’ADN existent pour les bactéries, mais pas pour les virus, car il existe trop de différences génétiques d’un virus à l’autre. Nous, les humains, vivons avec un millier d’espèces de bactéries en nous ou sur notre peau. On peut extrapoler en disant que nous vivons avec des dizaines de milliers d’espèces de virus aussi ou plus, mais on n’est pas capable de le savoir précisément. Il est fort probable que la vie a prospéré dans un bain de virus depuis ses origines. Des virus qui la plupart sont inoffensifs ou peu délétères. Ils existent sans doute depuis aussi longtemps que les premières cellules vivantes. Seule une petite partie des virus qui nous entourent sont porteurs de maladies : d’autres nous aident sans doute à vivre, même si cela reste à comprendre dans les décennies à venir.

Chenille à Madagascar. La diversité des virus a probablement joué un rôle dans le foisonnement de biodiversité terrestre © Denis Delbecq

Connait-on mieux les bactéries que les virus?
Oui, mais une grande partie de nos connaissances sur les bactéries sont récentes. Nous en sommes aujourd’hui pour les virus au même niveau de connaissances que nous avions dans les années 1970 ou 1980 sur les bactéries. On connaissait les pathogènes, et on a découvert depuis que nos microbiotes, les bactéries de notre peau, du système digestif, par exemple, ont un rôle important dans notre santé. Nous avons beaucoup d’histoires récentes à raconter à ce sujet, à partir des découvertes réalisées depuis 20-30 ans. Pour les virus, nous avons pour le moment beaucoup d’intuitions et peu de preuves, même si les deux exemples que j’ai donnés (placenta, digestion de l’amidon) en sont bel et bien. Si nous pouvions nous parler dans vingt ans, nous aurions beaucoup de choses à raconter sur les bienfaits des virus. Et on peut penser que leur extrême diversité a joué un rôle important dans le foisonnement de biodiversité qu’on connaît aujourd’hui sur Terre.

Certains virus, comme le SARS-CoV-2 tuent; certains aident nos organismes à fonctionner, et d’autres sont utilisés pour la santé humaine, par exemple pour les vaccins…
Oui et c’est un pas très important qui a été fait avec l’utilisation de virus désactivés que nous cultivons, puis que nous nous inoculons comme vaccins. Ils ont la capacité de provoquer une réaction de défense immunitaire et une mémoire de notre système immunitaire sans provoquer la maladie, et donc de nous protéger quand on est ensuite exposé au vrai virus. C’est par exemple le cas des vaccins contre la rougeole et contre la variole. Ce dernier a été si efficace que la maladie a totalement disparu de la planète aujourd’hui. D’une certaine manière on peut dire qu’on a commencé à domestiquer des virus, comme on a pu le faire avec des plantes, des levures, des champignons, de ver à soie… On commence aussi à les utiliser pour des thérapies géniques, par exemple contre la mucoviscidose. Mais nous n’en sommes qu’au tout début.

Les levures tueuses portent un virus ami des industriels et des viticulteurs
Les levures tueuses qui possèdent le virus baptisé “facteur killer” sont capables de produire des toxines qui tuent les autres levures. Dans la cuve de fermentation du vin, lorsque quelques levures infectées s’introduisent, elles tuent les autres dont la population commençait à se développer : la fermentation s’arrête alors, le vin se dénature et s’acidifie sous l’effet de bactéries indésirables, puis lentement, après une pause pendant que les levures tueuses commencent à se multiplier, la fermentation se réamorce grâce à elles… mais trop tard pour faire du bon vin. Aujourd’hui, l’industrie et les viticulteurs inoculent des souches tueuses (aussi dites killer) dans les cuves pour éviter toute vulnérabilité.

D’après “Jamais Seul”, de Marc-André Selosse, Editions Actes Sud, 2017.

On parle aussi des phages, ces virus tueurs de bactéries…
Oui, c’est le nom qu’on donne aux virus spécialisés, ceux qui s’attaquent aux bactéries, les bactériophages ou phages tout court. La médecine avait commencé à les utiliser dans les années 1920, juste après leur découverte en 1917. Mais à partir des années 1940, l’invention des antibiotiques, plus pratiques et plus rapides à mettre en œuvre, a mis un terme aux recherches sur les phages, en tous cas en Occident. En Union Soviétique, les recherches ont continué, notamment à Tbilissi (Géorgie) où l’on dispose toujours de collections de phages considérables.

Vue au microscope électronique de phages s’attaquant à une bactérie © Dr Robert Pope, National Biodefense Analysis and Countermeasures Center.

Pourquoi les phages sont-ils plus difficile à mettre en œuvre que les antibiotiques?
Par définition, un phage est un organisme spécifique qui ne cible qu’un type de bactérie précis. Pour l’utiliser dans un arsenal thérapeutique, il faut donc identifier au préalable la bactérie en cause, la cultiver, et ensuite l’exposer à différents phages pour identifier celui qui pourra la tuer. L’avantage est donc que seule cette bactérie sera touchée, contrairement aux antibiotiques qui tuent toutes sortes de bactéries, dont celles de notre microbiote bienfaisant, et font des dégâts collatéraux. Mais la phagothérapie prend plus de temps et coûte plus cher, c’est donc pour cela que les antibiotiques, dont l’action est rapide et qui sont peu onéreux, ont pris le dessus après leur découverte. Le revers de la médaille, c’est l’apparition de résistances aux antibiotiques, qui sont de plus en plus problématiques. C’est pour cela que l’on se ré-intéresse, en Occident, aux phages dans le cas de bactéries qui résistent à tous les traitements antibiotiques connus, comme par exemple celles qui constituent des biofilms sur les prothèses qu’on introduit dans le corps. Avec la multiplication des antibio-résistances, la recherche sur les phages connait un regain d’intérêt. Ce sont là-encore des virus que nous apprenons à domestiquer pour notre bien, et qui sont porteurs d’espoirs pour l’avenir !

Propos recueillis le 6 avril 2020 par Denis Delbecq

• Lire la tribune publiée le 8 avril par un groupe d’écologues dans Libération: «La prochaine pandémie est prévisible, rompons avec le déni de la crise écologique»

• Ecouter Marc-André Selosse au micro de Mathieu Vidard dans le Virus au carré, sur France Inter, le 8 avril.



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