Alors que plus des trois-quarts des maladies émergentes sont des zoonoses, passées de l’animal à l’homme, Jean-François Guégan, écologue, parasitologue à INRAE, et conseiller scientifique de la Fondation de la recherche sur la biodiversité (FRB), alerte sur les conséquences sanitaires de la dégradation des écosystèmes.
En quoi la pandémie actuelle est-elle liée à l’environnement ?
Des travaux en cours de publication semblent confirmer que le virus est extrêmement proche, sur le plan génétique, de celui d’une espèce de pangolin qui est présente en Malaisie. Elle est chassée et exportée dans toute l’Asie et notamment en Chine où des croyances prêtent à sa viande et ses écailles ou ses os broyés des vertus pour la santé. Il existe un trafic de ces animaux dans des conditions effroyables que l’on retrouve sur des marchés jusqu’en Chine.
Ce n’est donc pas la chauve-souris ?
Il est possible que le virus ait pu passer de la chauve-souris au pangolin, puis à l’homme, ou encore du pangolin à la chauve-souris puis à l’homme. Mais il a tout aussi bien pu passer, une fois ces pangolins arrivés en Chine pour y être vendus, du pangolin vers la chauve-souris d’un côté et vers l’homme de l’autre. Ce qui est sûr, c’est qu’à force d’être chassé massivement, notamment depuis que le commerce de cornes de rhinocéros est rendu plus difficile, ce pangolin est de plus en plus susceptible de contaminer les humains, car un goulot d’étranglement génétique, lié à une chasse qui décime les populations de cette espèce, pourrait permettre à certains pathogènes de devenir de plus en plus virulents. Dans un cadre, où le commerce de ces pangolins se fait dans des conditions horribles pour les animaux qui sont stressés, malades, certains en meurent, survivent dans leurs fèces et urines dans les camions qui les transportent.
Pour quelle raison ?
Un exemple avec la fièvre de Lassa (une fièvre hémorragique virale), en Afrique de l’Ouest. Dans cette région, des réfugiés ont fui la Sierra Leone et le Libéria pour se réfugier en Guinée forestière plus au nord. Là où ils se sont installé durant et après les guerres civiles qui ont frappé la Sierra Leone et le Libéria ces 20 dernières années, ils ont déforesté et ont chassé le « rat multimammelé », un mets très apprécié en Afrique. La diminution de cette population a alors favorisé des formes virulentes du virus de Lassa chez ce rat à circuler, les chasseurs en étant les premiers exposés.
Est-il vrai que 75% des maladies émergentes sont des zoonoses, des pathologies qui passent de l’animal à l’homme, comme Ebola et maintenant le covid-19 ?
Oui, cela se passe ainsi depuis le Néolithique. En réalité ce sont 60 à 65% des maladies émergentes qui sont d’origine animale pour les 1480 maladies infectieuses et parasitaires humaines pour lesquelles on dispose d’information (on en connaît plus de 2000). Mais il est vrai que depuis 50 ans, on assiste à une augmentation chez l’humain du nombre d’agents infectieux d’origine animale, soit 70 à 75% comme dans votre question. Et c’est lié aux évolutions des écosystèmes engendrées par la démographie et les activités humaines. Comme la déforestation des sols pour l’agriculture, l’élevage ou l’exploitation minière.
Ne tirons pas sur le pianiste! «On accuse la chauve-souris de tous les maux, et notamment d’être le réservoir de ce SARS-Cov-2 mais c’est parce qu’il y a un biais : l’essentiel des recherches portent sur la chauve-souris et pas sur d’autres animaux. La chauve-souris a par exemple été mise en avant pour sa prétendue responsabilité dans la propagation du virus Ebola, mais les scientifiques sont en train de se rendre compte qu’elle pourrait ne pas avoir de lien direct avec ces épidémies en Afrique. Il faut développer les recherches pour mieux comprendre ces problèmes de maladies émergentes»
Par exemple, il existe des espèces de chauve-souris de grande taille en Malaisie et en Indonésie (du genre Pteropus) qui peuvent voler sur des milliers de kilomètres ; ce sont de véritables voiliers et elles peuvent atteindre les côtes de l’Afrique australe. Elles quittent ces deux régions pour fuir la déforestation liée à l’exploitation de l’huile de palme mais aussi les feux de forêts qu’il y a pu y avoir. Cette chauve-souris est liée à ce qu’on appelle la maladie de Nipah due à un virus de la même famille que celui de la rougeole, et qui est bien plus dangereuse que le Covid-19 puisque son taux de létalité est de 70%! Cette migration a atteint le Bengladesh. En se réfugiant dans des fermes en Malaysie ou au Beng, elle ont trouvé des fruits dont elles se nourrissent, comme des mangues et des ramboutans. En consommant ces fruits, elles urinent sur ceux-ci et y déversent des particules virales. En tombant au sol, ces mangues contaminées sont alors mangées par des cochons d’élevage présents dans ces fermes. Et c’est comme cela qu’on a pu expliquer les premiers cas de Nipah chez des éleveurs. C’est un véritable retour du boomerang créé par nos interactions de plus en plus fortes avec une biodiversité et des écosystèmes fragilisés par l’exploitation des espèces, une mondialisation des échanges, etc. Nous sommes actuellement en train de débusquer la bête. Et comme cet exemple du virus Nipah nous le révèle ce sont des concours de circonstances qui s’enchaînent et font circuler le virus et le transmettent à l’homme.
Il faut donc préserver la biodiversité ?
Oui, plus elle est vaste et plus la probabilité est grande d’abriter des espèces cul-de-sac, qui sont des terminus à pathogènes. Par exemple en Inde, les vautours sont de véritables épurateurs de l’environnement. Ils nous débarrassent des carcasses mais aussi des micro-organismes car leur tractus digestif est si acide (pH 1,5!!) que les virus et bactéries ne peuvent résister. Mais les vautours ont connu une vraie hécatombe à causes de produits chimiques. D’autres espèces ont profité de cette disparition, qui propagent la rage.
Les agronomes connaissent depuis longtemps l’importance de la diversité. En Chine se développe une culture multi-variétale de riz. C’est la même espèce de riz mais avec des caractéristiques génétiques différentes. De cette manière, si un virus apparaît, il s’attaquera à une variété et pas aux autres. En Afrique, on ne cultive qu’une variété de riz. Un virus est actuellement présent, le Yellow Rice Mottle Virus qui pourrait constituer une véritable catastrophe alimentaire.
Pourquoi ces virus émergent-ils souvent en Asie du sud-est ?
Ces pays ont atteint un important niveau de développement. Je vous donne un exemple: le Vietnam s’est spécialisé dans l’élevage de poussins, qui sont exportés vers les pays voisins. Cette spécialisation et la taille des élevages favorisent l’émergence des grippes aviaires. Mais on pourra tout aussi bien avoir des virus émergents d’Afrique ou d’Amérique, comme par exemple au Mexique qui constitue aujourd’hui un hot-spot à diversité virale animale.
Ces virus aviaires ensuite peuvent voyager via les oiseaux migrateurs ?
Pas autant qu’on le prétend ! En 2005, le virus H5N1 de grippe aviaire a suivi le transsibérien d’est en ouest, avec les poussins transportés. Les migrateurs, vous le savez comme moi, voyagent plutôt sur un axe nord-sud, et pourtant c’est eux que certains ont accusé, ce que les médias ont abondamment repris ! En matière d’épidémiologie, on tire très souvent «sur l’ambulance».
Quel rôle joue le réchauffement climatique dans l’émergence de nouvelles maladies ?
C’est un mécanisme bien plus lent que le transport en cargo ou en avion ! A l’époque des conquistadors, ces derniers ont contracté de nombreuses infections dans le nouveau-monde, ils en ont transporté aussi en partant, mais comme le voyage de retour était long, ils étaient morts avant d’arriver. Aujourd’hui, quand je prends ma voiture à Montpellier pour aller à Lyon, je peux potentiellement transporter plusieurs dizaines à centaines de moustique-tigre. Le rôle du réchauffement climatique est éventuellement d’offrir des conditions plus favorables au moustique, qui est un vecteur d’agents infectieux ou parasitaires. Mais le moustique, c’est nous qui le transportons ! Nos sociétés et la démographie créent des « réacteurs » capables de favoriser la propagation de nouvelles pathologies. Le climat en exacerbe les effets, notamment parce qu’il contribue aussi à la modification des écosystèmes facilitant certaines adaptations.
L’expansion urbaine dans la zone intertropicale serait aussi en cause ?
Oui. Dans les régions intertropicales, il existe aujourd’hui une vingtaine de villes de plus de huit millions d’habitants. Et partout se créent en périphérie de gigantesques élevages de poules, canards, porcs, et du maraîchage —on sait que les canaux d’irrigation sont des nids de transmission infectieuse et parasitaire. Les élevages se retrouvent non loin de zones forestières, comme à Bangkok : ils se retrouvent exposés à des agents microbiens sauvages qui quittent leurs hôtes traditionnels. Ensuite, ces microbes peuvent passer de l’animal d’élevage à l’homme, puis évoluent pour se transmettre par contagion pour le Coronavirus du Covid19. Je suis l’auteur principal d’un article sur “Forêts et maladies infectieuses émergentes” qui paraîtra dans une grande revue scientifique. Nous avons choisi de le titrer «Nous sommes en train de débusquer la bête»… Si je plonge un doigt dans le sol de la forêt équatoriale, je vais peut-être récupérer une bactérie qui vivait tranquillement en symbiose dans le sol avec un animal ou même la racine d’une plante. Une bactérie qui, sur moi, va peut-être s’avérer pathogène et déclencher alors une pathologie infectieuse aux effets inconnus et désastreux !
Propos recueillis par Denis Delbecq
• Interview réalisée pour la préparation du «Virus au Carré» animé par Mathieu Vidard, sur France Inter le 18 mars 2020 (à partir de 1:01:43)
• Ecouter l’Edito carré de Mathieu Vidard, sur le même sujet
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