Alors, ce grand trou, il stocke ou pas le CO2?

© Nicolas Delbecq
© Nicolas Delbecq

Peut-on espérer un jour enfouir d’immenses volumes de gaz carbonique, pour prolonger l’usage du charbon jusqu’à la dernière tonne? Les responsables politiques, aux Etats-Unis, dans l’UE et notamment en Grande-Bretagne, y croient dur comme un minerai de fer. Les écologistes y voient plutôt un nouvel avatar de l’autruche qui enfouit sa tête dans le sable. Mais qu’en est-il réellement?

En Grande-Bretagne, une vive polémique a éclaté lundi, quand le Guardian a sorti de l’oubli des travaux publiés en janvier, qui étaient passés inaperçus ou presque à l’époque. Un couple de chercheurs Texans y expliquent que les promoteurs de la capture et de la séquestration de carbone se sont plantés sur tout la ligne. Ils auraient négligé les lois les plus élémentaires de la physique pour dimensionner leurs installations. Et qu’à moins de mettre le CO2 sous de telles pressions qu’il pourrait fractionner les roches alentours (et pourquoi pas remonter jusqu’à la surface), la capacité des futurs stockages devraient être revues à la hausse: il faudrait un réservoir de la surface «d’un petit état américain» pour stocker les émissions annuelles d’une centrale à charbon de moyenne puissance (500MW), estiment les deux chercheurs américains. Ils soulignent qu’aucune expérience de grande ampleur n’a été réalisée —c’est bien pour cela que de nombreux pays se ruent sur de tels projets, d’ailleurs— et que le seul site important de séquestration en activité —le forage pétrolier gazier norvégien de Sleipner— stocke depuis 1996 des quantités ridicules de gaz carbonique, comparé à ce que rejette une centrale. Détail important, le but du C02 réinjecté sur Sleipner est d’éviter de payer la coûteuse taxe carbone norvégienne (1).

En Grande-Bretagne, le pavé lancé par le Guardian fait quelques vagues. Des géologues de sa majesté sont montés au créneau, raconte Reuters, qui rejettent totalement l’analyse des deux chercheurs américains. Idem pour le patron de l’association pour la capture et la séquestration du carbone (ç’eût été drôle qu’il se savonne la planche, non?). Bref, les deux chercheurs feraient mieux de se mettre la tête sous le sable et de laisser passer l’orage, à en croire leurs détracteurs.

Mais que les partisans de la fabrication de réservoirs géant d’eau gazeuse ne se frottent pas trop vite les mains. Car en France, un rapport de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), posait en mars dernier une foule de questions sur le stockage géologique du CO2. Le document—qui se penche sur l’injection du gaz, un autre suivra sur les puits refermés et scellés— souligne notamment le manque de retour d’expérience sur la séquestration du gaz carbonique. Les experts pointent aussi des similitudes avec un stockage géologique de déchets radioactifs, avec notamment la nécessité de s’assurer que les réservoirs de CO2 resteront étanches pendant des centaines à milliers d’années. Ils rappellent que contrairement au méthane —dont le stockage souterrain est souvent cité en exemple dès qu’on parle de séquestration de gaz à effet de serre—, le gaz carbonique est hautement corrosif pour les métaux et les ciments traditionnels (par contre, il n’est pas explosif!). L’INERIS souligne aussi les risques de fuites le long des puits d’injection. Une fuite « lente » ne créerait pas de danger en surface, mais annihilerait l’intérêt de la capture-séquestration, une opération particulièrement coûteuse et vorace en énergie. Bref, à lire le document de l’INERIS, on a bien l’impression que tout le monde se presse, au lieu de se hâter lentement sur ce dossier…

(1) le truc qui serait impossible à faire chez nous, sous peine d’être rayé de la carte économique, dixit les copains du lider maximo verde. Trop fort ces norvégiens.

[MAJ 28/04/10. Un lecteur plus vigilant que moi me rappelle que le forage de Sleipner est gazier et non pétrolier. L’article est donc corrigé en conséquence]

8 commentaires

  1. Je reste toujours dans l’idée que cette histoire de séquestration est juste là pour que l’industrie pétrolière se fasse sponsoriser l’extraction des dernières gouttes de pétrole en mer du Nord…

    La séquestration du carbone ça consiste à prendre une centrale électrique classique et à lui adjoindre une verrue qui la rendra plus cher, moins efficace plus gourmande en infrastructure et en maintenance tout en gardant intact l’essentiel des pollutions…

    A partir du moment où on propose quelque chose de moins bien sur tous les points , je vois pas comment on peut défendre une solution qui pose le principe qu’il nous faut régresser !

    A noter qu’il ne reste plus longtemps pour mettre en place cette idiotie puisque la clause Schwarzenegger qui oblige les centrales de plus de 300 MW à être limiter à 500 gCO2/kWh va s’appliquer en 2015 (censément pour forcer les centrales à séquestrer le CO2)…

    Ma prédiction c’est qu’en 2015 il n’y aura toujours pas de séquestration du CO2 et que les électriciens vont plutôt se tourner massivement vers le cofiring avec la biomasse (ex avec RWE : http://www.sustainablebusiness.com/index.cfm/go/news.display/id/19614 ). C’est pas forcément idiot pour réaliser une transition à moindre coût mais il faut quand même être conscient que l’alimentation 100% renouvelables du monde n’est probable que si on arrête de gaspiller de l’énergie, c’est à dire qu’on la brûle dans des centrales électriques utilisés en cogénération… Si on brûle du bois avec un rendement de 30% ça va être un vrai massacre de la biodiversité…

    1. Bonjour cher « Tilleul » !
      Bravo une fois encore pour ton intervention…
      J’en profite juste pour te demander d’aller faire un tour sur cette « vieille page », afin de pouvoir lire les questions que je t’avais posé…. et dont j’attend toujours des réponses !
      Merci

      A Bientôt

      1. Euh, la vieille page, c’est là : « http://effetsdeterre.fr/2009/01/26/un-elephant-vaut-il-mieux-que-cent-enfants-noirs/ »

        :oD

      2. Vous avez déjà lu Edward Abbey ?

  2. L’IPGP (Courtillot et Allègre) a signé un partenariat avec Total et Sclumberger pour des études sur le sotckage du CO2 un chantier expérimental est en cours à Lack. Si les recherches sont faites avec autant de rigueur que les études climatologiques, je crains le pire.

    1. A moins que l’IPGP ait beaucoup changé, j’ai du mal à croire que l’IPGP ait les compétences technologiques, ni même géologiques, nécessaires à un tel projet. C’est un laboratoire de physique du globe, où l’on étudie le globe terrestre à grande échelle.
      Quant à donner des contrats à des laboratoires publics et à créer un comité scientifique avec à leur tête des scientifiques « prestigieux », c’est un usage qui a essentiellement un rôle social! On soutient ainsi la recherche publique, dont les crédits publics sont maigres, et on contribue à réduire un peu le fossé idéologique si caractéristique du paysage français entre recherche publique et recherche industrielle. Et la discussion entre chercheurs venus d’horizons différents peut faire émerger de bonnes idées.

  3. Libération a fait un point en Février 2010 sur l’expérimentation à Lacq.
    http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2010/02/capter-et-stocker-le-co2-lexpérience-de-lacq.html
    Vincent Courtillot est membre du comité de suivi scientifique.

    Le dossier présenté par Total esl là : http://www.total.com/MEDIAS/MEDIAS_INFOS/2212/FR/lacq-dossier-concertation-partie3-pilote.pdf?PHPSESSID=7ef43c32e44c7698b673a26e7c47a0a0

    Cette expérimentation, proposée par Total en 2000, n’en est actuellement qu’aux premiers essais réels.
    Je ne suis pas un fana du développement de cette technologie à cause de ses risques. Si elle est reconnue viable, elle doit être limitée à quelques sites très ciblés et particulièrement suivis.
    Je suis favorable à une expérimentation. C’est le meilleur moyen d’en vérifier la faisabilité, la fiabilité et la viabilité. Le site de Lacq, après l’arrêt de l’extraction du gaz, est un bon choix.

  4. Les réactions d’un certain nombre d’habitants de la région, sans doute  » travaillés » par des associations ad hoc sont ubuesques. Ils ont vécu des années sans problèmes au-dessus d’un gisement qui contenait si je me souviens bien une quantité importante de gaz carbonique et d’hydrogène sulfuré (ce dernier étant mortel à doses infimes ) et les voilà qui prennent peur parce que l’on veut y remettre du gaz carbonique!
    A noter de plus que cela fait des dizaines d’années que l’on injecte du gaz carbonique dans des gisements pétroliers pour faire de la récupération assistée, quand on dispose d’un gisement de gaz carbonique assez pur pas trop loin.
    Eh oui, il existe un grand nombre de ces gisements, en Europe en Allemagne du Nord et en Hongrie. De plus la plupart des gisements de gaz naturel en contiennent et si le gaz carbonique y est encore, c’est qu’il n’a pas fui!

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