L’Arabie saoudite rêve de rivières dans le désert

Le soleil vu par le satellite Soho © Nasa
Le soleil vu par le satellite Soho © Nasa

Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Alors qu’a été annoncée l’inauguration en 2012 d’une usine de dessalement d’eau de mer green tech en Arabie Saoudite, IBM, l’un des acteurs du projet, évoque l’idée de faire couler des rivières dans le désert… Une image, sans doute, mais qui montre l’objectif visé par le royaume Saoudien: produire de l’eau avec du soleil à un coût si faible qu’il deviendrait possible de développer une irrigation de masse pour l’agriculture.

On pourrait s’étonner de l’irruption d’IBM dans ce secteur. Mais il faudra s’y habituer, les géants de l’informatique mettent le paquet sur les technologies vertes, et IBM dispose d’un gros réservoir de savoir-faire tous azimuts (qui lui a valu une demi-douzaine de Nobel). Sans oublier que le solaire photovoltaïque c’est un composant électronique qui se fabrique dans le même type d’usines que les puces.

Le géant de l’informatique a conçu des cellules solaires photovoltaïques à très haute concentration avec le KACST, un centre de recherches saoudien, tout en s’appuyant sur des techniques de refroidissement par métaux liquides (1) mises au point pour climatiser les puces dans les calculateurs. Ce qui permettra d’utiliser des composants à haut rendement avec un facteur de concentration solaire de 1500 (2)! L’autre apport du géant, selon le blog Smarter Planet d’IBM, c’est un nouveau type de membrane pour l’extraction du sel par osmose inverse, plus rapide, plus efficace et moins fragile que ce qui se fait aujourd’hui. Une « nanomembrane » conçue en partenariat avec le KACST et l’Université du Texas à Austin, à partir de polymères employés par IBM pour la fabrication de composants électroniques.

Sur le papier, donc, ce cocktail de technologies semble épatant. L’usine pilote produira 30000 mètres cubes d’eau par jour sans brûler un gramme de pétrole, avec une centrale solaire de 10MW. Selon Arab News, cité par Technology Review , l’Arabie saoudite brûlerait chaque jour 1,5 millions de barils pour produire son eau douce. Par comparaison, la France consomme autour de 2 millions de barils par jour, tout compris!

Reste à savoir le coût de production que pourra afficher l’usine. Les acteurs du projet espèrent le faire baisser de manière importante par rapport à ce qui se fait aujourd’hui (0,5 à 1 euro le mètre cube). Mais ils se gardent bien d’avancer des chiffres, les petits malins. Alors avant de parler de faire couler des rivières dans le désert… on brûlera encore beaucoup de fioul pour produire de l’eau et des quantités astronomiques de saumure dont on ne sait que faire…

(1) un alliage d’indium et de gallium
(2) En laboratoire, le facteur grimperait à 2300

19 commentaires


  1. Bonjour,

    En gros, c’est une centrale solaire à concentration, mais au lieu de fabriquer de la vapeur avec la chaleur, qui fait tourner une turbine, ils refroidissent leurs panneaux et génèrent l’électricité en direct.

    Désolé, je ne crois pas une second à une réalisation industrielle de ce truc, et encore moins à un déploiement à moyenne ou grande échelle.

    Je me demande pourquoi ils ne font pas simplement bouillir l’eau à travers leurs concentrateurs solaires.

    1. Author

      Non, c’est une centrale photovoltaique. L’électricité alimente un procédé de dessalement par osmose inverse, moins gourmand en énergie que la distillation.

      1. Mais c’est une centrale photovoltaïque à concentration (d’un facteur 1500 ou 2300). L’article de Technology Review que vous citez, dit « The plant will use a new kind of concentrated solar photovoltaic (PV) technology and new water-filtration technology, which KACST developed with IBM ».
        C’est précisement cette concentration qui provoque la surchauffe et nécessite le refroidissement.

        Et distiller par énergie solaire est gratuit aussi.

      2. Author

        Oui, la concentration se fait au niveau de chaque cellule, pour réduire la quantité de silicium nécessaire. Cette centrale produira de l’électricité. Si le soleil est gratuit, la centrale coûte cher. Autant donc dessaler avec la meilleure efficacité possible.

      3. Denis,
        Essayez de faire un dessin: d’un côté, il y a des miroirs cylindro-paraboloïdes qui chauffent un liquide. Ce liquide sert à évaporer l’eau de mer qui recondense comme eau douce: mais de techno sophistiqué, peu d’entretien, peu de soucis.
        De l’autre côté, sur une même surface « d’explotation », il faut déployer des cellules (bourrées de matériaux de plus en plus rares). Les cellules sont reliées par des fils électriques dont il faut limiter au maximum les pertes (ces fils couvrent une surface de plusieurs hectares, donc des km linéaires). Ces cellules sont hyper-chaudes, donc il faut aussi les relier par des tuyaux transportant le métal liquide (un autre complexe de métaux à épuisement facile). Il faut y ajouter des pompes pour faire circuler ce métal liquide, et un système secondaire pour refroidir ce métal liquide.
        Donc cela fait un système beaucoup plus complexe, beaucoup plus sophistiqué et beaucoup trop difficile à entretenir.

      4. Author

        Vous voulez dire que les saoudiens font exprès de faire le moins efficace possible? Derrière cette usine de démonstration, il y a le projet d’une dizaine d’autres (capacité décuplée) pour couvrir l’ensemble des besoins du pays. Et n’oubliez pas que pour condenser de la vapeur, il faut une source froide, ça n’est pas si simple.

      5. Je ne sais s’ils font exprès. Nous avons bien notre Superphénix, dont on cherche toujours comment éliminer le sodium liquide des années après son arrêt. Je suis convaincu que quelqu’in a réussi à faire un beau dessin avec les composantes qui vont bien et le beau discours qui va avec, mais qu’ils ont oublié à des « gars du métier » quelles seraient les implications d’une construction grandeur nature.

        Le refroidissement ne devrait poser aucun problème: l’eau de mer qui s’en va bouillir peut très faire l’affaire, l’eau de er sera préchauffée et encore plus facile à évaporer. Je suis toutefois le premier à admettre qu’il doit y avoir un loup quelque part, sinon la planète entière ne marcherait pas avec l’osmose inverse.

        (petite blague: quelle est la différence entre un ingénieur et un TGV? Quand un TGV déraille, il s’arrête).

      6. Je ne suis quand même pas en train de lire que quelqu’un considère comme « simple » le fait d’avoir des concentrateurs solaire qui chauffe un vecteur de transfert d’énergie qui va être transférer à de l’eau de mer qui va passer par tout un tas d’échangeur de chaleur pour obtenir une cascade d’évaporation en chaine avec du sel de partout, des microorganismes qui trainent et des changements de phase à gérer ?

        Honnêtement : membrane c’est plus simple… Le moins chère étant la solution membrane + éolien mais ce n’est pas forcément adapté à tous les pays en termes de ressources disponibles.

  2. Vous voulez dire que LE pays producteur de pétrole, celui qui fournit la planète pratiquement, cherche à économiser son pétrole alors que comme diraient certains on est tranquille pour encore 30, 40, 50 ans voire plus ! (Je décline toute responsabilité quant à un éventuel troll qui pourrait suivre)

    1. S’ils économisent 1M de barils par jour, à 130$ par baril, cela fait 130 millions de dollars de revenu supplémentaire par jour. On est tous preneur de telles sommes.


  3. Le chemin le plus court entre 2 points, même en thermodynamique, çà reste la ligne droite, même en Arabie saoudite. Pourquoi vouloir passer par l’électricité ?

    A part vouloir valoriser des technologies de pointe, moi non plus je ne vois pas trop l’intérêt d’un tel procédé. On évapore l’eau, et on la recondense avec l’eau de mer qu’il va falloir dessaler ensuite. Le volume injecté est de 4 à 5 fois le volume à refroidir, en tenant compte de la saumure (saumure qu’on rejette à la mer, Denis, il n’y a pas de saumure dont « on ne sait quoi faire »). L’osmose nécessite une grande quantité d’énergie, et ne peut à l’évidence pas concurrencer du point de vue rendement énergétique une simple évaporation. L’autre problème de l’osmose, couramment utilisée dans les chaufferies pour produire de l’eau distillée ultra pure, est qu’elle produit justement une eau ultra pure, absolument impropre à la consommation humaine, car beaucoup trop corrosive ( H+ et OH- le plus puissant cocktail corrosif que l’on puisse fabriquer en fait). Il faut donc ensuite la resaler pour la rendre buvable.

    Par contre, je comprend très bien qu’un simple évaporateur solaire ne peut pas intéresser IBM, n’importe qui peut en fabriquer un, même les pays du tiers monde ! Vous rendez-vous compte, mon brave monsieur ? C’est durable ! Inacceptable ! Et n’importe qui pourrait le mettre en œuvre … même les pauvres !

    Donc totalement à l’opposé du modèle de business capitalistique que tend à faire perdurer IBM.

  4. Personnellement, c’est la phrase « L’usine pilote produira 30000 mètres cubes d’eau par jour sans brûler un gramme de pétrole » qui m’a surpris. Certes, le cycle de fonctionnement de l’usine ne nécessitera pas de pétrole (sauf peut-être celui des ouvriers qui font tourner l’usine, pour leurs déplacements personnels.)

    Par contre, construire l’usine en consommera des quantités non négligeables, même ramenées à la production cumulée de l’usine sur l’ensemble de sa durée de vie, car la fabrication de semi-conducteurs est réputée très grande consommatrice de pétrole et de charbon (ce dernier pour obtenir les grandes quantités d’électricité qui sont nécessaires.)

    1. Euh franchement vous en connaissez beaucoup des fabricants de semi-conducteurs qui seraient capable de survivre à la concurrence internationale en utilisant du charbon ? Le charbon c’est très cher pour faire de l’électricité par rapport à l’hydro…

      C’est une industrie où les gens ont l’habitude d’aller uniquement dans les régions du monde où l’électricité est hydraulique car il s’agit de la façon la plus économique de faire de l’électricité (pas pour rien que la Norvège est un acteur aussi important) et ont même l’habitude de construire leur propres barrages pour avoir des couts les plus bas possible (par exemple Elkem produisent eux-même la moitié de l’électricité qu’ils consomment).

  5. Quelque chose qui me chipote depuis longtemps.

    A part le mouvement Transition Town et certains décroissants, les Peakistes et les Réchauffistes ne sont pas sur la même longueur d’onde. C’est tout de même curieux. Le peakisme me semble imparable, c’est de l’arithmétique, et le réchauffisme me semble évident, la capacité de l’homme à modifier ce qui l’entoure ayant atteint des sommets au XXème siècle.

    – Why Do Peak Oilers And Climate Changers Not Get Along Better?
    http://www.countercurrents.org/roberts040510.htm

  6. Je crois que nous sommes tous trop obnubilés par ce qui nous concerne: la LPO ne compte que les oiseaux mazoutés, les Peakistes ne regardent que le manque de pétrole, les Verts ne manifestent que contre le nucléaire, et ainsi de suite.

    Mais c’est un défaut généralisé. Tous les économistes savent que les axiomes de l’économie sont faux, mais faute de mieux, on fait « comme s’ils étaient vrais ». On connaît le résultat. Tous les physiciens savent qu’entre la théorie de la relativité et la théorie de la mécanique quantique, il y a 120 ordres de grandeur d’écart, donc au moins une de ces théories (sinon les deux) est fausse. Pourtant, cela fait bientôt un siècle qu’on essaie de les réconcilier (sans y parvenir, bien sûr).

    Si vous prenez un peu de recul, il faudra constater avec les Réchauffistes que le climat se détériore et les océans s’acidifient, il faut constater avec les biologistes que la mer, les océans, la terre et les montagnes se vident de leur biodiversité, il faut constater avec les Peakistes, qu’on manque de plus en plus de ressources (métaux, eau potable, pétrole, …et maintenant aussi euros et dollars) et donc de moyens pour lutter contre ces dérives et fléaux, mais surtout, il faut constater avec le président, le gouvernement et l’UMP et la grande majorité de la population qu’il n’y a aucune raison de faire quoi que ce soit.

    C’est à se tirer une balle dans la tête. Mais comme disait l’autre « si tous les dégoûtés s’en vont, il n’y a que les dégoûtants qui restent. »

    1. Seriez-vous à ce point fataliste que pour considérer qu’il n’y a aucune raison de faire quoique ce soit. Serions-nous trop que pour être capable de discuter et qu’il n’y a donc plus qu’à attendre la grande purge. Je dois dire que je suis un peu paumé, je crois que le plus important est d’expliquer pour empêcher de laisser se réveiller certains démons.

      C’est vraiment dommage car je pense que le concept ‘Limits To Growth’ englobe les autres problèmes et correspond au bon diagnostic. Je pense aussi qu’il est facile à comprendre, il est parlant. Je rêverais de voir tomber le tabou malthusien pour que l’homme du futur (s’il y en a un) ne fasse pas les mêmes conneries que nous et nos prédécesseurs.

      Imaginons que la finance s’évapore en une nuit (un scénario parmi tant d’autres) et que les gens se retrouvent à errer agars dans les rues, ils voudront de têtes, ils voudront trucider les banquiers, les financiers et le politiciens. Ils tomberont dans le panneau du bouc émissaire et ne feront qu’alimenter le chaos pour rien de bien pour eux.

      Ce qui a de bien avec le concept ‘Limits To Growth’, c’est qu’il confronte tout un chacun à sa part de responsabilité. L’explication de ce concept pourrait sauver des vies et réduire bien des malentendus et des souffrances. Pour sauver l’homme de l’homme, réhabilitons Malthus !

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