Nucléaire, toute!

© Denis Delbecq
© Denis Delbecq

Il est fort notre lider maximo verde. Pas plus tard que ce lundi, il a sorti un pot de peinture pour ripoliner notre Commissariat à l’énergie national. De la peinture verte d’ailleurs, puisqu’il faudra désormais désigner l’établissement comme «Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives».

Je passe sur le terme «Commissariat», que Sarkozy eût été inspiré de remplacer par un vocable moins militaire, ou moins policier du moins. Une drôle de boutique, que ce CEA (1). D’un côté, toute la science de notre arsenal de mort. Mais aussi plein de sciences indispensables —dont certaines se sont développées pour mieux connaître l’environnement du Centre d’essais nucléaire de Mururoa— et un savoir-faire indéniable dans moults domaines stratégiques. Aujourd’hui, donc, on le repeint avec force euros, pour lui donner une apparence plus écologique… Une sorte de bégaiement de l’histoire: le C-EA devient le C-EA-EA! Sarkozy aurait pu tout aussi bien le rebaptiser « Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies d’avenir »…

Alors qu’à Copenhague, Nord et Sud s’étripent pour cause d’égoïsme occidental, la France a donc choisi son camp. Pour chaque euro du « Grand emprunt » Sarkozien investi dans le durable, les français qui donnent leur obole en prêteront un de plus pour financer le nucléaire.

Le plus étrange, dans tout cela, c’est que le mot d’ordre de cette opération de com’ élyséenne, c’est « investissement ». Moi, j’avais cru comprendre que l’argent que l’Etat s’apprêtait à dépenser (ou plus exactement celui dont il ne dispose pas, d’où son besoin de faire les poches des français) visait à des investissements productifs et durables: dans l’intelligence, les technologies créatrices d’emploi, et l’avenir durable. Mais il fallait soutenir les copains du nucléaire, ramener la confiance, alors que cette industrie (qui crée peu d’emplois, il faut le savoir) a mille moyens de se débrouiller toute seule. On aurait pu imaginer un milliard pour aider les petits propriétaires, les bailleurs sociaux, à isoler, double-fenêtrer, avec effet immédiat, sur leur facture, et sur celle que, collectivement, nous imposons aux victimes du réchauffement climatique. En plus, ça crée de l’emploi local. Vous savez, du travail non délocalisable…

Finalement, il y a si peu d’intelligence au rendez-vous. La France s’achemine à coups de milliards vers l’adoption massive de compteurs électriques à l’intelligence d’un embryon de singe (ils sont en plastique vert, tout va bien), quand d’autres misent sur de véritables « réseaux intelligents ». La France accepte le hold-up de patrons de la restauration, plutôt que d’aider ses citoyens à changer d’ampoules. On continue à injecter des fonds dans des recherches —nucléaires— qui déboucheront ou ne déboucheront pas, mais ne donneront en tous cas rien avant des décennies.

Pas étonnant avec tout cela qu’on patauge à Copenhague. On voit d’ici les représentants de Somalie ou de la Barbade écouter notre ambassadeur climatique. «Non, je ne peux pas te filer de ronds, j’ai tout mis dans mon nucléaire. Tu n’as qu’à pas te développer, et la Terre s’en portera mieux.»

(1) Pour être franc, j’ai participé dans une vie antérieure à deux contrats de recherche, pour le compte de mon laboratoire universitaire, qui était sous contrat avec la direction des applications militaires du CEA.

32 commentaires

  1. J’y ai presque cru… jusqu’à ce que je vois les chiffres sur éco89. Avec 5 milliards, on remplacera pas grand fossile: c’est 1 EPR, 2 au max, et comme l’argent sera en partie gâché sur de l’éolien….

    « mille moyens de se débrouiller toute seule »

    Sympa de voir que tu ne succombes pas à la rhétorique des poètes.

  2. 5 milliards, cela ne suffit même pas pour payer le 2e EPR déjà commandé.
    Il y a un autre souci, car ce serait une subvention de l’état vers une entreprise privée, ce qui est formellement interdit au sein de l’Europe (ou il faut donner autant à E.ON et les autres « étrangers »).

    De toute façon, il n’y a pas assez d’uranium pour tous ces réacteurs, et on n’a jamais réussi à faire tourner un prototype digne de ce nom en surgénérateur. Ca va finir comme l’A380 ou le Messerschmidt M260: collé au sol pour manque de carburant.

    1. « De toute façon, il n’y a pas assez d’uranium pour tous ces réacteurs » : Affirmation gratuite et fausse si l’on en croit le rapport de l’Assemblée nationale « Evaluation de la stratégie nationale de recherche en matière d’énergie » du 3 mars 2009.
      La France ne manquera pas d’uranium au moins pour les 50 ans à venir et avec la génération suivante (GEN IV), la France posséde 1000 ans de stock sur son territoire…

      Quant au reste, c’est affaire d’appréciation, mais vous semblez être un grand spécialiste …

      1. Est-ce utile de contrer une réponse sans justification ?

      2. Que voulez vous dire ? Le rapport cité et trés documenté de l’Assemblée nationale n’est pas une justification ?

      3. Pas du tout, vous avez été contredit sans justification.
        Pourquoi répondre dans cette situation.

      4. Parce que ce que dit Koen est contredit par un rapport de l’Assemblée nationale (n° 1493 disponible en ligne et à l’achat), donc il me semble que Koen affirme des erreurs et donc il me semble légitime de lui répondre pour ne pas le laisser dans l’ignorance.
        C’est dans ma nature d’être une âme charitable…

      5. Ce sera un débat sans fin. On sait que les chiffres des réserves sont truqués, mais il est alors difficile de trouver la « vraie » réponse. On sait aussi qu’on peut jouer sur le prix: si on y met le paquet, on peut même filtrer l’eau de mer et y extraire l’uranium. Mais le coût est tel qu’il n’y a plus d’économie derrière pour profiter de cette « aubaine ».
        On sait que ‘peak gold’ est derrière nous (voir ici) Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus d’or, mais qu’il sera de plus en plus rare et de plus en plus cher. On sait aussi que ‘peak oil’ est derrière nous (voir les chiffres de la production – pas de théories fantaisistes: http://www.theoildrum.com/files/ccst20091119.png, regardez surtout la différence entre les deux prévisions de l’IEA entre 2008 et 2009), mais cela n’empêche nullement des débats vides de sens sur les réserves plus ou moins fantaisistes (et le gendarme boursier américain vient d’autoriser un nouveau niveau de fantaisie dans les réserves, il n’en est plus besoin de les prouver, il suffit « d’y croire »).

      6. BMD t’as répondu (une fois de plus) sur les surgénérateurs. Reste l’eau de mer.

        Plutôt que de me répéter, donnes nous ton opinion: d’après toi combien ça coûte une livre d’uranium filtrée (l’ordre de grandeur, pas les décimales)? Combien de fois une livre d’uranium peut être réutilisée (avec les techniques actuelles)? Au final, de combien ça augmenterait le prix de l’électricité nucléaire par rapport à la situation actuelle?

      7. Author

        Il y a quelques années de cela, quand le kilo (ou le gramme?) d’uranium des mines exploitées, se négociait autour de 10 dollars, un ponte m’avait indiqué 100 dollars pour l’uranium tiré des phosphates du Maroc, et 1000 à 10000 pour celui qu’on pourrait filtrer de l’eau de mer. BMD, une idée?

      8. 10000 fois plus cher l’uranium océanique que l’uranium miné… t’es sur qu’il est pas un peu tendancieux le ponte?

        J’avais plutôt entre 300 et 1000$ la livre, donc 15 à 50 fois plus cher, mais bon ok disons 10000.

        1) Sachant que chaque kilo, livre ou once est réutilisable une centaine de fois par recyclage.

        2) Sachant que le prix du minage (pas le prix du combustible: le prix de l’extraction minière) représente quelques % du prix final de l’électricité nucléaire.

        1+2 = On multiplie, on divise, et en un tour de coin de table on a l’ordre de grandeur (majoré àmha): utiliser l’uranium océanique augmenterait le prix de revient de l’électricité nucléaire de 50% gros max.

        Pas de quoi inciter à la GIV… ce qui est presque dommage attendu que la GIV, c’est ça qui peut incinérer les cochonneries de la GII/GIII.

      9. Pan sur le bec: le ponte parle de 100 à 1000 fois plus cher et non 10000.

      10. C’est ce que je disais: pan sur mon bec.

      11. JMJ, qu’on ne peux taxer d’anti-nucléaire primaire, dit que la GIV produira quand même des déchets.

      12. Bien entendu, de même que la fusion. Mais c’est plusieurs ordres de grandeurs en dessous en ce qui concerne la dangerosité, longévité, et quantité (en particulier pour la fusion, pour la GIV ça dépend de ce que ce sera -le terme recoupe des réacteurs plus différents entre eux qu’entre GII et GIII).

      13. Author

        Au fait, lecture. Ici, on est dans le système d’unités MKSA. Donc la livre n’a pas cours. Mais pour autant que je sache, le prix de l’uranium ne pèse pas tripette dans celui du kwh nucléaire.

      14. Je n’ai pas compris tout de suite, mais tu parles du système international d’unité, dit SI, ancien nom MKSA. Apparemment le changement s’est fait en 1960… j’imagine que la bibliothèque de ta fac datait un peu.

        Je parle de livre pour l’uranium parce que c’est dans cette unité que ça se négocie, de même que l’or se trouve en once plutôt qu’en gramme… mais je n’en fait pas une religion. J’admet que c’est un coup à foutre un satellite en orbite subsurface.

      15. Author

        Oui, ça date, mais si c’est resté gravé ainsi dans ma mémoire, c’est parce qu’un prof l’avait conseillé comme moyen mnémotechnique… Et comme ce sont les mêmes unités de référence…

      16. Je n’ai aucune idée du prix, même si je suis d’accord que la fabrication du carburant ne joue que peu dans le prix du kWh final. Pour les surgénérateurs, le rapport parlementaire dit clairement qu’il ne faut pas y compter avant 2030. Je rappelle au passage que le feu vert de l’EPR de Flamanville a été donné en 2003 par JP Raffarin et 7 ans plus tard pas un début de courant.
        Pour moi, le vrai souci est dans les délais: entre la prise de décision et la disponibilité du résultat, il faut compter 10 à 15 ans. Cela est vrai pour le surgénérateur, mais aussi pour l’enfouissement des déchets nucléaires, pour l’exploitation du pétrole devant la Californie ou en Alaska etc… Donc le jour qu’on soit tous d’accord qu’il y a problème, on en aura pour 10 ou 15 ans avant de voir une solution. Largement le temps de perdre quelques milliards de personnes en dégâts collatéraux.
        D’autre part, il est fallacieux de croire qu’on peut payer le prix d’une énergie chère. On sait que si le coût de l’énergie dépasse environ 4% du PIB, on passe en récession.
        Donc je me répète, le problème n’est pas tellement l’absence de source d’énergie (cela le deviendra mais pas tout de suite), mais l’absence d’action pour nous guérir de notre dépendance énergétique. En « équivalent humain », un Français consomme pour environ 1000€ de l’heure en énergie, 24h/24, 7j/7, les bébés comme les retraités. Une année de consommation de pétrole a nécessité 5 million d’années à la planète pour constituer ces réserves. Cela ne peut durer, et personne ne veut changer. Donc ça va sauter.

      17. « Je n’ai aucune idée du prix »

        Ah bon. La prochaine fois qu’on en parle, est-ce que tu diras à nouveau des choses comme:

        « le coût est tel qu’il n’y a plus d’économie derrière pour profiter de cette « aubaine ». »

        ???

      18. Extraire l’uranium de l’eau de mer, c’est comme récupérer la chaleur rejetée par une centrale nucléaire.
        Que ce soit à 100€/kg, 1000 ou 10000, peu importe, mais personne ne s’y intéresse.

      19. Quand tu ne réponds pas à une question directe, ça veut dire oui ou ça veut dire non?

      20. Je ne sais pas où tu as vu ces affirmations. Notons tout de suite qu’il s’agit « d’une évaluation de la stratégie ». Il y a bien l’espoir de voir un prototype vers GenIV mise en route pour 2020 (donc pas de GenIV avant 2030, toujours ça de pris), mais je ne trouve pas de références au 50 ans et 1000 ans, seulement une citation indirecte de M Bamberger, directeur R&D d’EDF, qu’on « manquera de l’uranium dans 150 ans » (dans les annexes).

        En revanche, les chiffres de la World Nuclear Association (WNA) montrent que les réserves françaises étaient épuisées dès la limite de la production (prouvant par les faits que ces réserves étaient largement surestimées), et on voit le phénomène sur la production américaine.

        [En parcourant le document, je tombe de nouveau sur la description des « atolls » pour stocker de l’énergie – description détaillé et chiffrée. Une vieille idée, régulièrement ressuscitée pour combler les lacunes de l’éolien/PV, mais qui ne sert qu’à combler le surplus de production d’un surplus de réacteurs nucléaires. Comme quoi rien ne change dans ce pays]

      21. Vous voyez ça où dans ce document ?

      22. Koen a trouvé le passage ou on manquera d’uranium dans 150 ans pour l’alimentation de centrales de GEN III (EPR), et non 50 ans comme je l’ai indiqué par erreur (pessimiste que j’étais). Donc, tout va bien car d’ici là nos enfants auront construit des GEN IV (neutrons rapides) et alors je cite le passage du rapport :

        « A cet égard, M. Bigot a estimé qu’il faudrait s’appuyer sur les atouts de notre pays, et a rappelé que la recherche sur les réacteurs à neutrons rapides doit permettre à la France de disposer, d’ici la deuxième moitié de ce siècle, d’une capacité de production d’électricité de plusieurs milliers d’années grâce aux stocks disponibles de 500 000 tonnes d’uranium « appauvri » ou « recyclé »71, et au plutonium obtenu par retraitement. Il serait regrettable de ne pas miser sur cette chance alors que les pressions sur les ressources fossiles, qui fournissent encore 85% de l’énergie de la planète, vont inévitablement s’accentuer. Une stratégie cohérente doit viser à concentrer clairement nos efforts de recherche sur ce genre de pistes cruciales, quitte à ajuster la trajectoire en cas de besoin ».

    2. Koen, je t’ai déjà signalé qu’il y avait au moins deux prototypes  » dignes de ce nom » qui avaient fonctionné correctement, Phénix et le réacteur russe BN 600. Un réacteur BN 800 est en construction et le bruit court que des réacteurs BN 1200 seraient bientôt construits pour la Chine ( ah, les rumeurs!). Vraiment, il n’y a pire sourd que celui qui ne veut rien entendre.
      Le prototype Superphénix aussi très bien fonctionné la dernière année de son existence et les futurs surgénérateurs fonctionneront très probablement selon ses principes. Mais avec cette stupidité qui a consisté à démanteler Superphénix aux frais du contribuable, j’espère que nous n’avons pas passé notre tour.
      Il est assez remarquable que les seuls pays qui poursuivent imperturbablement leur programme nucléaire sans être emmerdés bêtement par des associations comme SDN ou Green Peace sont le Japon, qui a subi les bombes, et la Russie, qui a subi Tchernobyl! Pourquoi ne pas leur envoyer en stage Stéphane Lhomme et nos trois grâces, Corinne Lepage, Michèle Rivasi et Dominique Voynet?

      Ah, si, il y a aussi la Corée du Sud, qui a compris depuis longtemps qu’elle n’avait aucune source d’énergie sur son sol, hormis un peu d’anthracite tueuse de mineurs, et qu’avec sa densité de population, les ENR ne lui serviraient que d’emplâtre sur un jambe de bois!

      Quant aux quantités d’uranium disponibles, cela me paraît très prématuré d’affirmer comme certains que l’on passera par un peak uranium en 2030. L’exploration pour l’uranium ne fait juste que repartir! Tout ce que j’ai pu lire à ce sujet montre au contraire qu’il n’y aura pas de problèmes jusqu’à la fin du siècle, même si sa consommation croît jusqu’à trois fois la valeur actuelle d’ici-là. Le passage aux surgénérateurs vers la moitié du siècle devrait faire disparaître tout problème chez ceux qui en auront ( achèterons- nous alors des réacteurs chinois?). Et pour l’instant, le prix de l’uranium est retombé à des prix bas, ce qui montre bien qu’il y a de la marge.

      1. Il n’est pire sourd que celui qui récite l’AR4.

      2. Sur le prix de l’uranium, on voit parfois quelqu’un dire que le prix a été multiplié par 10 et argumenter que ça indique un peak uranium. Non: il a eu une poussée des prix suite à une inondation dans la mine de Cigar Lake, mais c’était transitoire. Pour preuve, la mine n’est toujours pas opérationnelle mais les prix se sont quand même calmés (50$ la livre contre 130$ en 2007). Précisons que les prix se sont calmés bien avant que la crise immobilière de 2008 ne nous donne un petit goût de ce que c’est, la décroissance.

        http://www.uranium.info/index.cfm?go=c.page&id=29
        http://en.wikipedia.org/wiki/Uranium_bubble_of_2007

      3. Le prix d’achat de l’uranium naturel n’a que peu d’importance. Il compte pour moins de 5% du prix de production du kwh nucléaire (moins de 4 cts/ kwh) soit moins de 0,2 cts au prix moyen (environ 50$ / livre). Si ce prix devait être multiplié par cinq (250$) alors le kwh couterait environ 1 cts de plus au consommateur, c’est à dire 13 cts au lieu de 12 cts TTC aujourd’hui (suivant les contrats).
        En revanche, si les cours montent, l’intérêt pour l’extraction chère augmente et les réserves extractibles augmentent…

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