Science bidonnée, éditeur fortuné

Il faudrait peut-être songer à mettre de l’ordre dans certaines revues scientifiques. Il y a un mois, The Scientist avait révélé que la filiale australienne de l’éditeur Elsevier, qui contrôle des centaines de publications pour chercheurs, avait publié six journaux bidons. Des «Canada-Dry» façonnés à la demande par des compagnies pharmaceutiques. Cette fois, The Scientist raconte comment un chercheur a piégé une revue en réussissant à faire accepter la publication d’un article sans queue ni tête, élaboré par un ordinateur.

Depuis quelques années, les revues «libres», à la manière de la prestigieuse PLoS One, fleurissent dans la galaxie scientifique. Plutôt que de faire payer les lecteurs, c’est l’auteur d’un article qui paie, et souvent l’institution à laquelle il est rattaché ou une ONG. Un moyen précieux de faciliter l’accès au savoir des chercheurs établis dans les pays pauvres. Bien évidemment, les revues sérieuses se dotent du processus de relecture par les pairs, le fameux peer-review: chaque article est lu par des spécialistes du sujet qui doivent donner leur aval pour qu’il soit publié. Mais certains éditeurs, appâtés par l’argent facile, semblent gérer tout ça à la légère.

The Scientist raconte comment Philip Davis, un thésard de la Cornell University (Etats-Unis) a fabriqué un article à l’aide d’un logiciel informatique, avant de le signer de deux pseudonymes, et de mentionner une appartenance à un prétendu Centre de recherches appliquées en phrénologie (1). L’introduction donne ça: «Les symétries compactes et les compilateurs ont suscité un fantastique intérêt ces dernières années chez les futuristes et les biologistes. Mais le défaut de ce type de solution est que les DHT peuvent être rendus empathiques, à grande échelle, et extensibles (…)» Les cinq pages sont accompagnées de graphiques aux légendes sans queue ni tête.

Cet article a été soumis, fin janvier, à l’Open Information Science Journal. Une vraie revue à comité de lecture de la mouvance des journaux en Open Access. Quatre mois plus tard, Davis reçoit un mail de l’éditeur, annonçant que le travail a été soumis avec succès au processus de peer-review. Accepté sans aucune demande de précision! Etait évidemment joint le formulaire à remplir et à retourner fissa accompagné d’un versement de 800 dollars au profit d’une adresse en poste restante dans une zone franche des Emirats Arabes Unis…

Au lieu de payer, Davis a adressé un mail à l’éditeur, expliquant que des erreurs de calcul les contraignent à retirer leur demande de publication. Et raconté son histoire. Elle est pas belle la science?

(1) En gros, l’art de lire les traits de caractères dans la forme du crâne. La fameuse bosse des maths. Voir ce qu’en disent les contributeurs de Wikipédia.

8 commentaires

  1. Vous êtes excellent! Je parle ici vraiment comme scientifique et je voudrais intervenir sur le problème des publications que nous faisons avec Comité de lecture et tout le tintoin.

    D’abord Elesvier est une puissante entreprise anglo-saxonne et c’est lors des négociations pour les renouvellement des abonnements le cauchemar des bibliothécaires: ils sont extrèmement rapaces et ils utilisent leur puissance, en particulier dans pas mal de domaines techniques, pour tirer le meilleur profit. Cela est dû au fait que si vous voulez vous appuyer sur les développements techniques des collègues, vous êtes obligé de passer par eux (ils ne sont pas seuls, mais ils dominent dans ce domaine).

    C’est un modèle curieux, parce qu’ils ne publient QUE ce qui est accepté par les « referees » (encore qu’il se raconte bien des choses..) qui sont généralement totalement bénévoles, et qui jouent un rôle fondamental dans la fabrication. Donc ils sont chers j’imagine pas sans raison, ils doivent bien avoir des frais, mais le plus gros de leur boulot est fait par des gens comme moi, qui se retrouevnt à passer 10-20 heures sur un papier de 5-6 pages car on doit tout vérifier (du moins c’est ce que je fais, sauf les détails des calculs..). Donc ce travail très lourd n’est jamais payé (sauf que l’état me paye en partie pour cela, j’imagine) par les revues.

    Donc on a voulu réagir: mettons des papiers en libre accès, mais cela aboutit à demander aux auteurs eux-même de financer leurs papiers. Je suis confronté à ce problème. On me demande d’écrire un papier de 15 pages, sur une compilation organisée par des collègues, dans un sujet où j’ai quelque expérience. Ce sont les Anglais de l’IOP, et cela a donné une discussion amusante, car cela me paraissait bien cher (mes collègues demandent à un certain nombre de chercheurs d’écrire des papiers, se chargent de les expertiser et on met le tout sur le web). On m’a expliqué:

    « New Journal of Physics is an Open access journal and as such it offers the big advantage of removing financial barriers for all readers. This means that that  researchers have access to the kind of high quality that may be unavailable to them under an expensive subscription model. For these reasons, by paying the article charge,  that authors will benefit from the high visibility that open-access model guarantees. »..a suivi un débat pour savoir si je pouvais baisser les prix. On est descendu de 650 à 600, puis 450 Livres…

    Je ne pense pas trouver l’énergie d’écrire ce papier, mais c’est le problème qui m’a été posé..

    Par ailleurs, je voudrais dire que dans les revues sérieuses, je n’ai jamais vu dans mes sujets d’authentique carabistouille. J’ai vu des erreus grosses comme leur auteur, c’est sûr, mais il est très rare qu’un auteur puisse publier bien longtemps des papiers faux capables de booster sa carrière, et dans la quasi-totalité des cas en sciences, la chose les a rattrappés avant qu’ils en aient jamais profité (lire l’excellent livre « l’imposture scietifique en 10 leçons » qui raconte quelques épisodes..

    Peut-être a-t-on besoin de monter ces incidents en épingle parce qu’il est de mode de mettre en cause l’expertise scientifique, comme je l’ai vu à propos d’un papier de l’académie des technologies (Ruelle), ou des rumeurs sur les cancers dus aux pesticides aux Antilles lancées par Belpomme..

    Le journaliste a à cet égard un role important pour ne pas céder à la facilité quand il voit une conclusion de scientifique qui rentre mal dans le corpus idéologique à la mode écolo. C’est en constatant ce problème que je me suis parfois autorisé à combattre des affirmations mal fondées.

  2. Author

    Il est vrai que dans les revues prestigieuses, les impostures sont rares. Mais il y en a eu de célèbres, j’en avais relatée une en septembre 2002 dans les colonnes de Libération. Henrick Schön, un jeune physicien prodige qu’on disait nobélisable, avait publié une vingtaine de travaux falsifiés dans de grandes revues (dont Science et Nature. Il prétendait avoir inventé des puces électroniques moléculaires que les Bell Labs, son employeur, présentaient comme révolutionnaires. Mais la plupart des problèmes dont j’ai eu vent depuis quinze ans touchent les sciences de la santé où les à-côtés pécuniers sont légion.

    1. Oui, il y a une belle histoire de bidonnage: Schön créait sans arrêt de nouveaux dispositifs avec des tubes de carbone…. Mais, plus dure fut la chûte: au bout de quelques années, une autre scientifique remarqua que le « bruit » de certaines de ses courbes était absolument identique à une autre qu’il avait publiée, et qui n’avait pas de rapport.

      J’insiste, ces histoires ne durent pas bien longtemps…Vous avez raison, il y en a plus en sciences de la Santé: plus d’enjeux de fric, et aussi difficulté à contrôler. Rappelons-nous simplement Benveniste: il n’était probablement même pas un fraudeur, il semble qu’il s’était simplement auto-illusionné! Et tous les papiers annonçant les dangers des OGM, des antennes de téléphones portables!

  3. Bonjour Denis et Karva,
    je ne suis pas du tout scientifique, je ne lis pas de revues pointues, mais les sciences m’intéressent. J’ai lu quelques articles sur la fusion froide sur internet, j’ai vu le documentaire de daily motion sur le sujet. A prendre avec des pincettes donc. Mais qu’en est-il des publications faites sur la fusion froide ? Est-ce toujours considéré comme une belle escroquerie et où en est la recherche ?
    merci de me répondre

    1. La fusion froide:

      Je ne pense pas que ça soit une escroquerie: quand vo:wus voulez absolument croire en quelquechose (X-files..), vous finissez par vous autoillusionner? J’ai connu dans mon labo (universitaire) un gars dont le CEA s’était débarrassé et qui y croyait dur comme fer…

      Pour un exemple, un collègue m’avait dir à propos des « tordeurs de cuillères »;  » je suis depuis 20 ans spécialiste du magnétisme des terres rares, si je trouvais quelque chose dans l’action à distance, ça serait vraiment plus drôle ». Et il faut sans doute des imaginatifs pour innover, à condition qu’ils gardent les pieds sur terre…

      1. Merci pour la réponse. En fait je ne pense pas que ce soit une escroquerie, comme on l’a entendu dire et comme on l’écrit encore. Les milliards investis dans la fusion chaude y sont sûrement pour quelque chose. Et les scientifiques qui font des recherches dessus ont l’air de les avoir (les pieds sur terre), les moyens d’avancer c’est moins sûr !
        Bonsoir

  4. Author

    J’avoue que j’ai décroché il y a des années de cette question. Mais Karva se fera un plaisir de vous en parler j’imagine 😉


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