«Mes affaires ne sont toujours pas arrivées»

Episode 3. Bonjour. Je vous écris bien au chaud depuis la «tour calme». Ici, il y a les chambres, les laboratoires et la salle de radio située au dessus des chambres. Une drôle d’idée d’ailleurs: en été, avec les nombreuses allées-venues des usagers du téléphone, du mail et les quantités croissantes d’appels radio et téléphoniques, ça n’est pas si silencieux. L’autre tour est baptisée bruyante; elle comprend le réfectoire, un salon, une salle de sport, une salle vidéo, la centrale électrique et des magasins de vivres.

Pour faire vivre tout ce petit monde presque comme s’il était chez lui, avec chauffage et eau courante, il y a un sacré remue-ménage dehors: faire vivre une telle station demande une logistique très particulière. Vous allez comprendre.

Pour venir ici, il n’y a pas trente-six solutions: c’est l’avion ou la glace. Et encore, uniquement pendant l’été, entre novembre et début février pour Concordia. C’est l’Italie qui fournit l’appui logistique aérien. De sa base côtière estivale Mario Zucchelli (situé non loin de la base américain Mac Murdo), décollent de petits avions loués à des compagnies canadiennes: des twinotters ou DC3… les mêmes qui étaient utilisés pendant la seconde guerre mondiale! MZS (Mario Zucchelli Station) dessert les stations Dumont d’Urville et Concordia, formant un triangle de 1000 km de côté à l’intérieur duquel les pilotes effectuent des allers et retour tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, suivant les exigences du moment. Les passagers à destination de Concordia voyagent exclusivement via la voie des airs.

Retard. Ces avions sont utilisés également pour le transport de fret léger (jusqu’à 2 tonnes). Ici, il y a un à deux vols par semaine. Celui apportant mes prochains camarades d’hivernages (8 d’un coup!) aurait dû arriver ce mercredi 3 décembre, mais il a été retardé de deux jours. Je verrai mes nouveaux compagnons vendredi! Il en manquera deux autres qui arriveront d’ici la fin décembre, dont Eric qui sera le médecin de la base et le chef de station durant l’hivernage (1).

L’avion, disponible presque sur demande —à condition que la météo le permette— met 4 heures pour parcourir 1000 km. Mais outre sa faible capacité de fret, il est très consommateur de carburant, une denrée rare sur le continent. C’est donc au sol que le gros ravitaillement est transporté: le Raid, une spécialité française!

Situation météo à CONCORDIA
Le 3 décembre 2008 à  21h38 (locale)
Température= -34,7°C.
Température ressentie= -49°C
Humidité relative= 64%
Pression atmosphérique= 640,7 hectopascals
Vent de Sud-Ouest, vitesse 5,4 m/s (19 km/h)

Vivres, matériels scientifiques et techniques, fuel et affaires personnels des hivernants arrivent dans ce drôle de train qui parcourt 1200 kilomètres sur la glace depuis la base française de Dumont d’Urville. A ce propos, les miennes ne sont pas encore arrivées! La première liaison de la saison vient d’être établie il y a deux jours. L’image que vous voyez est tirée du film que j’ai fait de leur arrivée, malgré mes 38,7°C de fièvre… faut aimer filmer, c’est moi qui vous le dit! Aujourd’hui la fièvre m’est passée, mais pas la toux sévère dont je n’arrive pas à me débarasser. Une inquiétude plane, car le premier à avoir été malade, et qui a été guéri, est de nouveau malade aujourd’hui… nous craignons une deuxième tournée! Bref, revenons à nos glaçons.

Le matériel venu d’Europe est d’abord déchargé par le navire polaire français Astrolabe sur les côtes de Terre Adélie. De là, des tracteurs Caterpillar, modèles Antarctique sur-mesure, commencent à préacheminer petit à petit les charges à 60 km à l’intérieur des terres gelées du continent. En effet, sur cette distance, l’altitude grimpe déjà de 1000 m!

Rayons X. Ensuite, tout le fret, rangé dans des containers posés sur des traineaux, installés à la queue leu leu et reliés par des élingues. Trois, quatre ou cinq tracteurs tirent tout ceci. Ils suivent une dameuse qui trace et lisse la piste, identique chaque année et clairement identifié par des relevés GPS. Un appareil à rayon X permet de détecter d’éventuelles crevasses qui se seraient formées l’hiver passé. C’est ainsi la seule “route” de tout l’Antarctique. Le raid nécessite une dizaine de personnes, tous mécaniciens, le seul métier vraiment utile durant cette traversée de 10 jours à une vitesse moyenne de 10 km/h. Les raiders apportent en moyenne à Concordia 150 t de fret utile. A 3,30€ le kilo transporté, c’est une solution bien plus efficace et économique que les avions! Mais, il n’y a que trois raids chaque saison…

De son côté, la station américaine Amundsen Scott, située au Pôle sud, n’est ravitaillée que par avion! Car entre Mc Murdo, la grosse base cotière et le pôle, la glace est impraticable! Résultat, la moitié de la charge que les gros porteurs américains transportent est du carburant destinés à leur propre consommation…

Grâce à cette impressionnante logistique, on vit plutôt confortablement dans ce qui ressemble fort à un bateau. Pas étonnant d’ailleurs que de nombreux techniciens présents ici soient des marins. Le principe est le même: des câbles électriques et des tuyaux partout, des alarmes qui sonnent, etc… sauf qu’ici, nous sommes échoués en plein désert !

A d’ici une bonne semaine,

Jonathan.

(1) Lire l’interview d’Eric Lotz, réalisée le 2 décembre à Paris.

(2) Je me rappelle avoir conduit ces machines lors du pré-acheminement de l’été austral 2005/2006 à la fin de mon hivernage à Dumont d’Urville. Sorte de petit cadeau que nous offrait le chef logistique, nous qui étions bloqués sur notre petite île des Pétrels de Terre Adélie, à 500 m du continent et n’ayant que pour unique moyen de déplacement nos jambes!

7 commentaires

  1. Très intéressant, mais… ils détectent les crevasses avec des rayons x??? Ce serait pas avec un radar plutôt…

  2. J’ai posé la question à Jonathan, mais c’est loin l’Antarctique. Je penche aussi pour un radar à pénétration de sol.

  3. Petite précision sur la composition du raid : il y a aussi un médecin, qui conduit comme les autres un des tracteurs 11h/jour, et qui a en plus la casquette de cuisinier pour toute l’équipe !

  4. N’empêche ça doit pas être forcément marrant à vivre, mais là comme ça au chaud c’est cruel mais je peux pas m’empécher de sourire en imaginant les gens arriver exténués après leurs 1000 km de raid et se faire accueillir à bras ouverts « Bienvenue dans notre bouillon de culture réfrigéré : alors merci de rentrer en file indienne pour qu’on distribue à chacun ses aspirines et ses pastilles pour la gorge… Le temps moyen d’incubation constaté est d’environ 23 heures et 30 minutes alors profitez en au maximum… au fait vous avez pensé à nous ramener du bouillon de poule ? »


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