La guerre climatique, un mauvais film d’agents secrets

Ils s’appelaient Jason, et ils avaient eu le nez. Dans le papier du Times, signé par l’historien Naomi Oreskes et le producteur de la BBC Jonathan Renouf (1), on découvre les débuts de l’alerte au réchauffement climatique dans les hautes sphères de la politique américaine. Je vous la fait courte, mais pour la version longue (en anglais), c’est ici.

Jason, c’est le nom de code donné à un groupe secret de physiciens de haut vol (2) formé dans les années soixante, qui cherchaient à injecter de nouvelles idées dans la défense américaine. Ils se réunissaient tous les étés à San Diego, dans une ambiance « plus Club Med que James Bond », racontent Oreskes et Renouf.

En 1977, le gouvernement américain se tourne vers Jason pour lui demander d’enquêter sur la menace d’un réchauffement climatique. Les chercheurs, qui ne sont pas climatologues, vont se mettre au courant quelques jours à l’Université de Boulder, l’un des temples de la physique atmosphérique et du climat. Puis, bricolent un modèle d’évolution du climat, surnommé « Modèle du monde », aux Etats-Unis. En 1979, ils rendent leur rapport top-secret à la Maison-Blanche.

Beaucoup de choses connues et confirmées aujourd’hui sont déjà imprimées dans ce document. Par exemple, Jason calcule que le taux de gaz carbonique dans l’atmosphère aura doublé entre l’ère pré-industrielle et 2035? (aujourd’hui, les chercheurs parlent plutôt de 2050). Jason estime que ce doublement entraînera une hausse moyenne des températures de 2-3°C, une fourchette largement acceptée aujourd’hui. Mieux, ils prévoient que la hausse pourrait atteindre 10-12°C dans les régions polaires. La fonte accélérée de la banquise le confirme, tout au moins au Nord, puisque l’Antarctique connaît une situation contrastée. Et les Jason de mentionner les risques du réchauffement sur la production alimentaire.

A l’époque, c’est le producteur de cacahuètes Carter qui dirige la Maison-Blanche. Son conseiller scientifique, qui n’en croît pas ses oreilles, demande un second avis à l’Académie des Sciences. Son second rapport, dirigé par un éminent météorologue du MIT, confirme les prédictions du premier.

Ces deux brûlots sont désormais sur le bureau de Ronald Reagan, fraîchement élu. L’ex-cow-boy de série B, y voit une menace contre l’influence américaine. Admettre l’importance du réchauffement, c’est rendre l’Amérique coupable. Et ça n’est pas bon en pleine guerre froide.

Alors Reagan commande un troisième rapport à Bill Nierenberg, qui avait participé à l’élaboration de la bombe atomique. Nierenberg, qui était lui-même un Jason… Ce troisième document daté de 1983, signé de plusieurs contributeurs, confirme en grande-partie les résultats scientifiques des Jason, mais la synthèse rédigée par Nierenberg ignore le consensus décrit dans les pages précédents sur le thème, « il n’y a pas le feu au lac ». Nierenberg insiste sur les bienfaits d’une Terre plus chaude. Et, déjà, il met en avant la capacité de la science et de la technologie à apporter des solutions, offrant à la Maison-Blanche ce qui sera le dogme fondateur de sa politique climatique (Clinton n’a pas fait beaucoup mieux là-dessus, d’ailleurs).

En 1984, Nierenberg a cofondé le George C. Marshall Institute, un think tank de lobbying en faveur du scepticisme climatique (pour ne pas dire négationnisme), co-financé par Exxon. Marshall a passé l’arme à gauche en 2000, mais ses idées ont largement survécu chez les conservateurs américains et chez notre miniTAX national.

(1) La BBC 2 diffuse ce soir un documentaire sur le sujet.
(2) Sur la centaine de savants qui ont appartenu à l’organisation Jason, onze ont obtenu un prix Nobel, et 43 ont été élus à l’Académie américaine des sciences

4 commentaires

  1. Pour approfondir le sujet, on peut aussi visionner la vidéo en anglais de Naomi Oreskes – The American Denial of Global Warming (Youtube)

  2. Merci pour avoir exhumé ce papier.

    Naomi Oreskes est historienNE.

    De toutes manières, des dizaines de milliards de dollars et quelques giec plus loin, on n’est pas plus avancés.


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