Voilà qui n’adoucira pas le vieux conflit qui oppose depuis des années le Nigeria aux labos pharmaceutiques occidentaux. Mis en cause à propos d’un essai de médicament sur des enfants nigérians atteints de méningite, le laboratoire américain Pfizer aurait eu recours à l’intimidation et à la corruption pour éviter un procès. C’est ce que révèle un document d’avril 2009, exhumé des fameux «câbles diplomatiques américain» de Wikileaks par le quotidien britannique The Guardian.
En 1996, une épidémie meurtrière de méningite cérébro-spinale sans précédent avait touché le nord du Nigeria. Des dizaines de milliers de personnes avaient été malades —, provoquant des milliers de décès. A l’époque, le laboratoire Pfizer avait testé un antibiotique, le Trovan, dans des conditions douteuses sur une centaine d’enfants et de nourrissons, soignés dans un hôpital de l’état du Kano, dans le nord du pays. Tout en affichant une certaine efficacité, le médicament avait provoqué de graves lésions chez de nombreux enfants. De plus, les parents n’avaient pas été informés qu’il s’agissait d’un essai thérapeutique. Les autorités nigérianes affirment en outre que l’essai a été conduit par Pfizer sans son aval, ce que le laboratoire a toujours démenti, malgré la publication, en 2006, d’un rapport d’enquête nigérian par le Washington Post. Lancé aux Etats-Unis en 1998, le Trovan était vite devenu l’un des best-sellers de Pfizer avant que les autorités sanitaires américaines n’encadrent les conditions de prescriptions, et interdisent son usage pour les enfants. Le Trovan a été suspendu par l’UE en août 1999, puis retiré du marché européen par le fabricant.
Pfizer a été traîné en justice par l’état nigérian du Kano, qui réclamait plus de 2 milliards de dollars, ainsi que par l’Etat fédéral, qui exigeait six milliards de dollars de compensations. Mais en juillet 2009, l’état du Kano a définitivement accepté le principe d’un versement de 75 millions de dollars en l’échange de l’abandon des poursuites civiles et pénales. Quelques mois plus tard, le procureur général de l’Etat fédéral a abandonné les poursuites civiles et pénales engagées contre Pfizer, et sans que —officiellement du moins— un cent soit versé.
Le document dévoilé en fin de semaine dernière par le Guardian relate deux rencontres survenues en avril 2009 entre des représentants de Pfizer et des responsables de l’ambassade américaine à Abuja, capitale du Nigeria.
Ainsi, le 9 avril, Enrico Liggeri, le responsable de Pfizer au Nigeria, a rencontré des officiels américains, raconte le câble diplomatique. «Selon Liggeri, Pfizer a embauché des détectives pour établir des liens de corruption visant le procureur général Michael Aondoakaa, et faire pression sur lui pour qu’il abandonne les procédures fédérales. [Liggeri] a affirmé que les enquêteurs de Pfizer ont transmis des informations à ce sujet à des médias locaux.» Le câble de préciser «qu’une série d’articles dévastateurs détaillant des faits supposés de corruption reprochés à Aondoakaa ont été publiés en février et mars [2009]». Il laissait aussi entendre que Pfizer s’était montré prêt à de nouvelles révélations si le procureur devait s’obstiner à poursuivre. Au cours d’une autre rencontre à l’ambassade américaine, des responsables de Pfizer ont laissé entendre qu’ils avaient obtenu des assurances du président du Nigeria [de l’époque] Yar’Adua que les procédures seraient abandonnées. Ce qui fut fait en octobre 2009.
Rien dans le document rapporté par le Guardian n’établit de preuve que les pressions exercées par Pfizer sont à l’origine de l’abandon des poursuites par l’Etat fédéral nigérian. Le site nigérian d’informations Next a publié le 28 novembre dernier —avant la révélation du câble diplomatique américain sur l’affaire— une enquête qui raconte qu’un accord secret a bien été passé en octobre 2009 entre l’ancien procureur général et l’industriel. Aondoakaa a pourtant démenti avoir joué le moindre rôle, expliquant à Next que la procédure était toujours en cours quand il a quitté ses fonctions en février 2010. Au Guardian, l’ancien responsable de la justice nigériane s’est déclaré très surpris par le contenu du document de wikileaks. «Je ne savais pas que Pfizer avait fouillé dans mon passé.» Pfizer a également opposé un vigoureux démenti au quotidien britannique: «Bien que nous n’ayons pas vu le moindre document émanant de l’ambassade des Etats-Unis au Nigeria à propos des procédures fédérales, les déclarations dont on dit qu’elles figurent dans de tels document sont totalement fausses.» Reste que, même au Nigeria, il n’y a pas d’unanimité à l’idée que d’hypothétiques révélations sur le procureur général soient à l’origine de l’abandon des poursuites fédérales. Dimanche 12 décembre, Next, tout en relatant la publication du télégramme diplomatique américain par le Guardian, a écarté cette hypothèse. Le journal penche plus pour un désintérêt des responsables fédéraux vis à vis du sort des victimes. Mais, sans en apporter la preuve, il estime que des officiels engagés dans la négociation avec Pfizer ont pu toucher de l’argent. Un argent qui aurait été qualifié d’«ensanglanté», par l’ancien Président Yar’Dua, lorsqu’il avait refusé que l’industriel finance l’Hôpital National pour se dédouaner.
NB: Cet article a été écrit pour le compte du site internet du mensuel de Terra Eco. Il est reproduit ici avec son autorisation.
Ce n’est pas la première fois que les grands laboratoires pharmaceutiques montrent leur puissance financière. Malheureusement, en tant qu’insdustriels et devant rendre des comptes à des actionnaires (principalement financiers), leurs objectifs sont principalement leur marge et leur image, et non la qualité du service qu’ils rendent.