On le sait, mais cela ne fait jamais de mal de le rappeler. L’actualité des sciences et techniques est vraiment le parent pauvre de l’information télévisée. Selon le baromètre INA Stat de décembre 2010, réalisé par l’Institut national de l’audiovisuel, aucune grande chaîne française n’a consacré plus de 3% de ses journaux télévisés (JT) entre 2000 et 2009 aux sujets à caractère scientifique et technique.
Histoire d’appuyer là ou ça fait mal, le service public est à la traîne. Car ce sont TF1 et M6 qui accordent —en proportion— le plus de place à la science. Et les chiffres baissent globalement depuis 2006, année faste avec 880 sujets diffusés dans les JT. Mais il est vrai que cette année là, on commémorait les 20 ans de Tchernobyl, et une flopée d’événements dans l’espace. Et l’espace, les télés adorent ça.
Au palmarès des sujets les plus évoqués, l’espace donc, ainsi que la botanique et la zoologie. Les nouvelles technologies ne pèsent presque rien, moins même que le nucléaire, dont la part a baissé régulièrement depuis 1995. Mais là, Chirac y avait mis du sien, en annonçant la reprise des essais nucléaires (1), sujet qui avait pesé 33% des informations à caractère scientifique diffusés cette année-là. Au total, 560 sujets scientifiques ont été diffusé en 2009, moitié moins que l’environnement, et quatre fois moins que les catastrophes naturelles.
Autre particularité, les télévisions ne font pas confiance aux journalistes pour parler de science: l’information est confiée à des experts. En 2009, 35% des interventions étaient le fait de chercheurs, 38% de praticiens (médecins, ingénieurs…), 13% de membres de la société civile (associations, amateurs « éclairés », dit l’INA) 8% de politiques et seulement 5,3% de journalistes. De Closets, reviens! (non, je déconne).
Parmi les marottes des chaînes, on relèvera non sans intérêt, que TF1 privilégie la nature (tout comme M6 et Canal+), que France 2 et France 3 aiment l’espace (respectivement 40% et 34% des sujets en 2009) et qu’Arte a consacré 50% de ses sujets scientifiques de JT au nucléaire…
A noter dans l’étude de l’INA, un focus sur le 3e trimestre de cette année 2010, avec 7933 sujets diffusés dans le paysage des six principales chaînes françaises . L’actualité a été dominée par les Roms (256 sujets) et l’affaire Woerth-Bettencourt (206 sujets). Sur un total de près de 194 heures de journaux télévisés, les sciences et techniques en ont représenté 45 minutes en juillet, 1h08 en août et 1h05 en septembre… Et bien évidemment, selon nos politiciens (et sportifs) qui occupent le devant de la scène. Avec, au cours du 3e trimestre 2010, Sarkozy, Woerth, Hortefeux, Fillon, Besson, Aubry et Hamon mais aussi Laurent Blanc, Alain Bernard…
(1) Rappelez-vous la formidable Une de Libé du 6 septembre 1995, avec l’image signée Toscani d’un Chirac au visage à moitié brûlé, et titrée «Mururoa son amour».
« La télé n’aime pas les sciences… et les journalistes scientifiques »
Et si je dis les journalistes n’aiment pas les sciences tout court, suis-je dans le vrai ? Combien de journalistes ayant quelques bases scientifiques, une idée ?
« 560 sujets scientifiques ont été diffusé en 2009, moitié moins que l’environnement, et quatre fois moins que les catastrophes naturelles. »
Et 100 fois moins que les vols de sac à mains et autres faits divers.
Les télés passent ce qui intéresse le pékin lambda. La science n’intéresse pas grand monde.
«Autre particularité, les télévisions ne font pas confiance aux journalistes pour parler de science: l’information est confiée à des experts.»
Ça se comprend : les journalistes scientifiques, dans la presse grand public, se comptent presque sur les doigts de la main (bon, OK, j’exagère un peu, là, mais dans les faits, on ne doit quand même pas être loin d’un journaliste scientifique pour 20 à 40 journalistes dans les rédactions de la presse grand public. Ça fait vraiment très très peu !)
Du coup, il y en a peu qui sont capables de faire un raisonnement ou donner une explication sans dire de grosse bêtise. Si en proportion, il y avait plus de journalistes scientifiques dans la presse généraliste, celle-ci serait bien plus encline à parler de sciences et de techniques (et aussi, on y trouverait moins souvent de grosse bourdes !)
Maintenant, pourquoi les journalistes scientifiques sont-ils si peu nombreux dans la presse grand public ? Je ne suis pas spécialiste du sujet, mais de l’extérieur, il me semble pouvoir identifier les 2 problèmes suivants :
(1) à la base, au moment d’attribuer une carte de presse aux nouveaux journalistes, il y a déjà une forte sur-représentation des littéraires, des économistes et des gens qui ont suivi un cursus d’information-communication par rapport à ceux qui ont suivi un cursus scientifique. Il y a donc dès le départ un problème lié à la formation initiale (qui est aussi une formation de l’esprit, ce qui compte énormément !)
(2) Ensuite, il s’avère que la grande majorité des journalistes scientifiques partent travailler pour la presse spécialisée… Serait-ce plutôt parce que la presse spécialisée est trop pléthorique, ou parce que les gens qui ont suivi un cursus scientifique sont trop peu nombreux parmi les journalistes ?
A noter que Jancovici, à une certaine époque, s’était intéressé à la question : http://www.manicore.com/documentation/serre/journalistes.html
Il s’était aussi intéressé à la répartition des cursus initiaux chez les « promotions » de nouveaux journalistes, en l’occurrence en 1990 et 1998 : http://www.manicore.com/documentation/serre/journalistes_graph1.jpg et http://www.manicore.com/documentation/serre/journalistes_graph2.jpg
Les frères Bogdanov ils sont comptés dans les stats ?
Celà dit je ne suis pas d’accord sur le fait qu’il faut être scientifique pour parler de science, déjà parce que je ne vois pas trop comment une formation de rocket scientist donne une quelconque crédibilité sur le climat ou la biologie marine et ensuite parce que les meilleurs vulgarisateurs ne sont pas ceux qui ont bossé 10 ans sur un sujet mais ceux qui ne connaissent rien et qui s’assoient pour discuter une demi-heure avec le gars qui connait tout pour ensuite synthétiser ce qu’ils ont appris avec des mots simples… Maintenant est-ce que les média ont envie de payer des gens à écouter pendant 30 minutes alors qu’ils peuvent simplement diffuser 30 secondes de paroles d’un « expert » ou recopier une dépéche AFP, c’est un autre sujet…
Vous confondez deux choses, Tilleul : être ultra-spécialiste d’un domaine et être généraliste. Et vous arrivez encore une fois à aligner les inepties.
Être ultra-spécialiste d’un domaine ne garantit jamais d’être bon vulgarisateur de son domaine, et encore moins des domaines connexes. Cependant, les grands vulgarisateurs sont très souvent des spécialistes du domaine : pour ne citer que quelques noms assez connus, André Brahic ou Hubert Reeves sur les sujets pourtant ardus et si éloignés des préoccupations quotidiennes que sont l’astronomie et l’astrophysique, feu Jacques-Yves Cousteau pour l’océanographie, Axel Kahn pour la génétique, Jean-Christophe Victor pour la géographie, … Et les très bons vulgarisateurs spécialistes de leur domaine mais pas du tout connus du grand public sont beaucoup plus nombreux. Il n’y a pas besoin de chercher longtemps pour en trouver (mais il faut s’en donner la peine.)
Mais ne pas avoir suivi de formation scientifique du tout pose un problème beaucoup plus grave, qui fait que l’on n’a pas les bons réflexes face à un raisonnement scientifique. Souvent même, on se met carrément à raisonner de travers. En particulier, on a tendance à considérer une thèse scientifique comme une opinion, et à vouloir absolument l’opposer à une autre thèse qu’on estime contradictoire. C’est le travers dans lequel tombent régulièrement les journalistes de la presse grand public, et que Denis connait bien (il n’est pas le seul, d’ailleurs : Sylvestre Huet en particulier a pas mal réfléchi à la question, et se bat sur ce sujet depuis longtemps avec ses confrères, cf. http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2010/10/un-colloque-international-sur-les-climato-sceptiques.html )
Et même en ne tombant pas dans ce travers, le risque est grand de dire ou d’écrire des bêtises : les scientifiques qui parlent de leur domaine de compétence parlent généralement en choisissant leurs mots avec soin, parce que deux mots différents ont rarement le même sens (y compris si, dans la langue de tous les jours, on fait la confusion entre les deux. Exemples typiques : énergie et puissance, conditions météo et conditions climatiques, …). Différence de sens qu’on est à peu près sûr d’ignorer quand on n’a pas suivi de cursus scientifique. Ce qui mène ceux qui veulent résumer ou synthétiser sans avoir le bagage minimal à faire régulièrement des contresens.
Un seule exemple très récent : Etienne Klein, qu’un journal a présenté récemment comme s’opposant à la théorie du Big Bang. Or quand on lit son bouquin (et qu’on a une idée du fond du sujet par ailleurs ; bref, qu’on a un bagage minimal), on constate que Klein dit tout autre chose. En l’occurrence, qu’avec la physique actuelle, avant un certain moment après le Big Bang, on n’a aucune idée de ce qui s’est passé. Bref, le journaliste a fait un contresens total.
Et vous allez prétendre ensuite que le bon vulgarisateur, ce n’est pas Klein, mais le type «qui ne [connait] rien et qui [s’assoie] pour discuter une demi-heure avec le gars qui connait tout pour ensuite synthétiser ce qu’[il a] appris avec des mots simples» ?
Je ne prétends jamais, je constate. En l’occurrence c’est comme ça que procède les centres de recherche des grandes multinationales pour vulgariser les travaux de leurs scientifiques… Et est-ce que vous pensez vraiment que ce sont les chercheurs du MIT qui rédigent les communiqués de presse ?
Vous donnez d’ailleurs vous même un contre-exemple qui invalide totalement votre thèse (différence météo et climat) ou alors vous prétendez que Claude Allegre ou Courtillot n’ont aucune formation scientifique ?
Quand à votre exemple sur Etienne Klein, est-ce qu’Etienne Klein a relu le texte et même est-ce que le journaliste a seulement discuté avec lui ? Non ? Alors ça va plutot exactement dans le sens que je dis, le problème est pas une question de formation mais une question de journalisme de machine à café… (et si ça tombe votre journaliste avait même une formation scientifique)
Excusez mais si vous considérez que la formation scientifique c’est un moyen de s’élever au-dessus de la masse, c’est vous n’êtes pas en train de parler d’une formation mais d’un rite initiatique religieux… La science n’a pas à être considéré comme un dogme sinon ce n’est plus de la science.
D’ailleurs je vais même choquer vos convictions religieuses en disant que je suis de l’avis de Raymond Aron qui prédisaient que recruter les élites sur leur niveau en mathématique et non plus sur la maitrise du latin et du grec allaient poser de graves problèmes de société parce qu’auparavant ils étaient ainsi obligés de s’ouvrir aux textes fondateurs de la philosophie antique…
» La télé n’aime pas les sciences… et les journalistes scientifiques »
C’est vrai qu’il n’y a pas assez d’émissions scientifiques à la télévision.
Les statistiques de l’INA ne concernent que les courts journaux télévisés. C’est loin de représenter « la télé ».
De toutes façons, ce n’est pas en quelques minutes que l’on peut creuser un sujet. Les journaux télévisés pratiquent très souvent le « zapping » d’infos, l’évènementiel et la course aux scoops. Donc pas de recul, peu d’analyse du fond et de perspectives.
Les seules émissions scientifiques intéressantes sont celles qui durent assez longtemps (1 ou 2 heures) pour aller au fond d’un thème ou d’une question. C’est valable aussi pour de nombreux autres sujets. Sinon, il y a aussi quelques émissions de vulgarisation très intéressantes.
Je ne partage pas votre interprétation sur « la télé n’aime pas les journalistes ». Les sujets dans lesquels interviennent des chercheurs sont bien faits par des journalistes non ?!? La statistique ne dit pas que le sujet se résume à citer un chercheur… Nuance donc. Et gare à ne pas en tirer de grandes conséquences.
Sauf erreur vous n’avez pas mis le lien du baromètre ; le voici :
http://www.ina-sup.com/sites/default/files/Ina_Stat_ndeg_20_-_decembre_2010.pdf
Incidemment, c’est pareil aux États-Unis (et au Québec, où je suis). Témoin, cette analogie du rapport 2008 du State of the News Media: si vous aviez écouté 5 heures de nouvelles télévisées en une semaine aux États-Unis, vous auriez eu droit, en moyenne, à 1 minute de science.
http://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/2008/04/03/medias-science-se-degonfle