Il y a quelques semaines, une étude chinoise publiée dans la revue du CDC américain, Emerging Infectious diseases, laissait entendre que la climatisation est responsable de 10 contaminations dans trois familles déjeunant dans un restaurant de Canton (1). D’autres chercheurs sont retournés dans ce restaurant pour visualiser la façon dont l’air y circule et semble confirmer que cette contamination a été possible en raison d’une piètre ventilation de ce restaurant (2). Alors que le déconfinement se prépare, tout le monde se pose la question: le virus se propage-t-il dans les lieux clos?
Les réponses du virologue Jean-Claude Manuguerra, responsable de la Cellule d’Intervention Biologique d’Urgence à l’Institut Pasteur. Il est notamment co-auteur de Les Virus émergents, un passionnant ouvrage de la collection Que sais-je? (Presses universitaires de France). Interview réalisée le 4 mai 2020 pour la préparation de l’Edito Carré et du Virus au Carré, de Mathieu Vidard, sur France Inter, le 6 mai.
Image: Climatiseurs individuels à Buenos Aires © Denis Delbecq
Jean-Claude Manuguerra, des études semblent confirmer que le Covid-9 s’est propagé à dix personnes dans un restaurant de Canton, à partir d’une seule personne. Le virus peut-donc rester longtemps en l’air dans une pièce?
Quand on regarde le plan de ce restaurant, et l’emplacement de la ventilation et des personnes, on comprend ce qui a pu se passer: l’air soufflé par des climatiseurs a traversé la pièce, entrainant vers une seconde table des gouttelettes émises par une personne contagieuse (mais pas encore malade). Puis cet air a rebondi sur un mur pour repartir dans l’autre direction. C’est ce qui explique que des personnes ont pu être contaminées, qui était assises à des tables de part et d’autre de la table du premier patient. La climatisation de ce restaurant ne se faisait pas par renouvellement d’air, mais par recyclage. Cela a sûrement dû jouer dans cette histoire, d’autant plus que les tables étaient peu espacées [1 mètre entre deux, environ, NDLR] et que les gens sont restés environ une heure à proximité de la personne contagieuse.
Peut-on en déduire que le virus s’est propagé sous forme d’aérosol, ces minuscules gouttelettes qui peuvent rester longtemps en l’air, et non sous formes de gouttelettes liées aux éternuements, à la toux, et au postillons, qui retombent très vite?
Ce que nous savons du Covid-19, c’est que la contamination se fait essentiellement par des gouttelettes, quand on est près d’une personne contagieuse, ou par manuportage, par contact avec une surface souillée puis avec son nez ou sa bouche. C’est aussi le cas pour la grippe. Même pour cette maladie qu’on connait depuis longtemps, on discute encore de savoir à quel point elle se transmet sous forme d’aérosol.
Je pense que dans le cas du restaurant de Canton, la disposition des personnes contaminées penche pour une transmission de gouttelettes déplacées par la soufflerie. Il y avait plusieurs dizaines de personnes qui mangeaient dans cette pièce et les autres tables n’ont pas été touchées. Un aérosol aurait probablement contaminé plus de monde.
Aujourd’hui, nous sommes au 51e jour de confinement. Pourtant, des personnes se contaminent encore, des gens arrivent à l’hôpital, voire en réanimation. Où ces personnes se contaminent-elles en plein confinement? Dans les commerces, les transports collectifs, au travail, au domicile?
C’est très difficile à dire, mais est probable que les mesures barrières ne soient pas tout le temps respectées, ou qu’elles se relâchent. Dans certains quartiers, on voit des vendeurs à la sauvette, par exemple. Dans les commerces, et notamment les grandes surfaces, les gens ne font pas toujours attention. Des gens vont dîner de temps en temps chez des amis, etc. Et dès qu’un cas se produit dans une famille, plusieurs personnes peuvent être contaminées.
Le nombre moyen de contamination par patient du covid a fortement baissé, selon une étude de collègues de l’Institut Pasteur, parue il y a quelque jours: il est désormais nettement en dessous de 1. Cela peut étonner qu’il y ait encore des contaminations, mais le retour à la normale est toujours très long avec les maladies à virus respiratoire. Il sera très long pour le covid-19.
Que sait-on de la survie d’un virus, en fonction de l’humidité de l’air? On entend souvent que par temps sec, les gouttelettes s’évaporent plus vite, deviennent plus petites et pénètrent plus facilement dans les voies respiratoires…
Le virus du Covid-19 est un virus enveloppé d’une membrane. Certaines conditions sont plus ou moins défavorables, en dégradant cette membrane. C’est une question d’humidité relative. Quand elle est élevée, cela endommage le virus, et quand elle est très basse aussi. C’est pour cela que les virus contaminent peu dans les avions, car l’air y est très sec. De plus il est fréquemment remplacé par de l’air extérieur qui ne contient pas de virus pathogène, parce qu’à dix mille mètres d’altitude il n’y en a pas.
Pourtant, il y a eu un cas célèbre, en 1979, où les deux-tiers des occupants d’un avion avaient été contaminés par un passager grippé…
Oui, nous avons tous ce cas en référence. Mais il s’agissait d’un avion cloué sur le tarmac d’un aéroport en Alaska, ventilation coupée. Il n’y avait pas de renouvellement air, et cela a duré plusieurs heures (3). A force, le virus a dû s’aérosoliser.
Dans les avions, aujourd’hui, le renouvellement est très important, avec de l’air presque pur capté à l’extérieur, une ventilation par zone [qui « déconnecte » en quelque sorte l’air des différentes parties de la cabine, NDLR]. Enfin, l’air transite par des filtres absolus, les mêmes que ceux que l’on utilise dans les laboratoires biologiques à haute sécurité P3 et P4.
Dans le métro, en revanche, le renouvellement n’est pas le même!
Détrompez-vous, l’air est très fortement renouvelé dans une rame de métro. Car toutes les minutes et demie, les portes s’ouvrent, les gens entrent et sortent, tout cela ventile. Et il y a beaucoup de courants d’air dans le métro. En 2009, lors de l’épidémie de grippe, nous avons conduit une étude dans le métro parisien. A notre grande surprise, nous n’avons pas retrouvé de virus.
Pas même sur les barres auxquelles les gens se tiennent?
Non, même si leur acier lisse est un matériau plutôt favorable à la survie du virus. Même le manuportage semblait relativement faible dans le métro, avec cette épidémie de grippe.
Les gens peuvent-ils prendre les transports en commun?
Oui, si tout le monde porte un masque, et le porte correctement, en recouvrant aussi bien le nez et la bouche, et à condition de ne pas toucher son masque. Si le port du masque est vraiment généralisé dans les transports, cela limitera fortement les risques de contamination. En revanche, la distanciation physique sera difficile à établir. Car si on condamne un siège sur deux, il y aura plus de gens debout et serrés, et c’est comme cela qu’on se contamine le plus! J’ai été frappé de voir que pendant le confinement, il y avait un attente entre les métros telle, parfois 10 minutes, que la densité de passagers sur les quais et dans les rames était élevée.
Beaucoup de personnes s’inquiètent de devoir retourner sur leur lieu de travail. Faut-il porter le masque en permanence?
Il faut le porter dans toutes les situations où l’on est proche de quelqu’un, tout en respectant la distance d’un mètre minimum. Encore une fois, si tout le monde est masqué dans ces situations de proximité, l’épidémie sera fortement freinée. En revanche, je ne pense pas qu’il faille porter le masque en toutes circonstances, parce que c’est assez inconfortable. On finit par se gratter, au risque de contaminer ses mains. Et il y a de nombreuses situations où les gens doivent retirer le masque (et le toucher s’ils ne font pas attention): quand on mange, quand on boit un café, qu’on fume ou qu’on vapote. C’est pour cela qu’il faut absolument maintenir les distances, même quand on se croise dans les couloirs et évidemment dans les ascenseurs.
Beaucoup de lieux de travail sont climatisés. Cette climatisation est-elle susceptible de propager le virus d’un endroit à un autre, comme elle a pu propager à maintes reprises une maladie bactérienne, la légionellose?
Dans le cas de la légionellose, c’est une situation très différente: il s’agit d’une bactérie qui prolifère dans des tours de réfrigération, puis qui se propage sous forme d’aérosol dans les gaines de climatisation. Pour l’épidémie de Covid-19, il s’agit d’un virus et non d’une bactérie. Un virus ne prolifère pas tout seul, il a besoin des humains qu’il a infecté pour se reproduire.
Mais un virus peut se propager dans un système de ventilation?
Oui, comme dans un ensemble de logements, l’Amoy Garden à Hong Kong, où près de trois cents personnes avaient été contaminées par le SRAS, en 2003. Le virus s’était propagé à partir de fèces d’une personne frappée de diarrhées. Il avait été aérosolisé et transmis par les gaines d’aération. On manque cruellement d’études sur le rôle de la ventilation et de la climatisation sur la propagation des virus et suivant le type de climatisation (appareil individuel ou collectif). C’est pour cela qu’on espère que des études pourront être conduites dans des lieux très confinés où le Covid-19 s’est propagé. Sur le paquebot Diamond Princess, par exemple, et sur le porte-avion Charles de Gaulle où 60% des marins ont été contaminés.
Quels sont les gestes les plus importants pour éviter que le déconfinement ne favorise le redémarrage de l’épidémie?
La distanciation physique, bien sûr, et le port du masque dans les lieux fermés, un lavage fréquents des mains avec du savon. En revanche, je ne suis pas favorable au port de gants, dont je trouve même l’usage dangereux. Les gants se souillent, peuvent contaminer de nouvelles surfaces, et ils n’empêchent pas de se toucher fréquemment le visage. C’est à proscrire.
Recueilli le 4 mai par Denis Delbecq
(1) Contamination dans un restaurant de Canton, Emerging Infectious Diseases, Vol. 16, Num. 7, July 2020
(2) Le schéma du restaurant de Canton.
(3) Etude expérimentale de la diffusion dans le restaurant où dic personnes ont été contaminées (preprint, non validé par des pairs).
(4) Epidémie de grippe dans un avion en stationnement en 1979 (Am J Epidemiol. 1979 Jul;110(1):1-6.)
A Lire (articles de presse)
• La climatisation accélère-t-elle la propagation du virus? (Le Monde)
• Y aura-t-il du Sars-CoV-2 sur les plages? (Vidal.fr)
• Le temps froid et sec, aubaine pour la grippe (Le Figaro, 2017)
• Le métro contamine peu, qui s’appuie sur étude sur la grippe (New York Times)
• Une tribune dans le Journal du Médecin qui souligne qu’on néglige la propagation du Sras-CoV-2 (3 avril)
A lire (autres études scientifiques)
• Une étude dans PNAS de 2018, qui a étudié les positions et mouvements des passagers et de l’équipage de plusieurs trajets en avion et déterminé leur rôle dans la contamination virale. Laisse penser que le risque est très faible, en particulier si on ne bouge pas de sa place.
• Rôle de la température et de l’humidité dans la grippe saisonnière (PLoS Biology, 2010)
• Une revue d’études sur la propagation de la grippe A sous forme d’aérosol (Journal of the Royal Society Interface, 2009)
• Un autre article évoquant une importante contamination dans un bus, en Chine, a été rétracté, et dépublié par la revue Practical Preventive Medicine (source Retraction Watch le 22 avril)