Une expérience d’enrichissement de l’air en CO2 dans une forêt d’Australie laisse penser qu’à l’avenir les forêts matures ne contribueront pas à freiner le réchauffement climatique en stockant durablement du carbone.
C’est une expérience d’une ampleur rare: une équipe de 90 chercheurs de 9 pays (Australie, Etats-Unis, Danemark, Espagne, Estonie, Corée, Belgique, Suède, Allemagne) a reconstitué, pendant 4 ans, une atmosphère enrichie en dioxyde de carbone dans une parcelle forestière ancienne d’eucalyptus, pour déterminer si cet enrichissement contribue à stocker plus de carbone de manière durable. Une atmosphère maintenue à 550 parties pour million de CO2 (soit 0,055%, contre environ 400 ppm —0,04%— aujourd’hui), soit la concentration attendue vers 2050.
A en croire cette étude publiée le 8 avril dans Nature, la fertilisation par le CO2 ne fonctionne guère dans une forêt mature, et il ne faudra pas trop compter sur les vastes forêts anciennes du globe, notamment dans la ceinture tropicale, pour séquestrer durablement plus de carbone. C’est en tous cas ce qui ressort des observations réalisées dans cette forêt composée à 98% d’eucalyptus, et située au nord-ouest de Sydney.
Cette expérience, qui a duré environ 4 ans est assez impressionnante. Six spots de 25 mètres de diamètre ont été aménagés, chacun encerclés d’une structure en tubes de 28 mètres de haut. Dans cet espace forestier inexploité depuis 90 ans, trois sites servent de contrôle, qui baignent dans un air naturel. Les trois autres recevaient, en journée, du CO2 de manière a former une atmosphère à 550 ppm de ce gaz, un seuil que notre planète devrait franchir d’ici 2050. A de multiples reprises pendant toutes ces années, les chercheurs ont étudié et mesuré la végétation, le sol, les racines, l’air, etc. sous toutes les coutures. La nuit, l’enrichissement des trois sites testés en CO2 était stoppé, pour pouvoir mesurer les flux de CO2 rejetés par les processus naturels de respiration, et comparer les résultats avec les trois sites laissés en l’état.
L’expérience confirme que les forêts matures ne profitent pas autant qu’on pourrait l’espérer d’un air enrichi en CO2, qui est pourtant un véritable carburant pour les plantes. Certes, les scientifiques ont constaté que chaque mètre carré de forêt dopée au CO2 a capturé dans l’air, chaque année, environ 250 grammes de carbone de plus que les parcelles ordinaires. Mais une analyse détaillée montre que seulement 40% de ce carbone pompé dans l’atmosphère par la photosynthèse est durablement séquestré dans la végétation, le bois et le sol. Le reste est réémis dans l’atmosphère, sous l’effet de la respiration de la végétation et du sol.
Une des raisons invoquées dans la piètre performance de cette forêt mature d’eucalyptus est le manque de phosphore. Car pour croître, la végétation a besoin de nombreux nutriments, notamment l’azote et le phosphore, dont la disponibilité ne change pas avec l’évolution attendue de l’atmosphère terrestre. C’est ce qu’avaient constaté des chercheurs au terme de dix années d’une expérience similaire, dans une forêt de résineux américaine, entamée à la fin des années 1990: une très forte dépendance entre la capacité de la végétation à profiter d’un surplus de CO2 et la richesse en nutriments des sols; ainsi qu’une faible durée de séquestration du carbone capté par le feuillage: une fois la végétation est retombée au sol, une partie du carbone qu’elle contient est réémise dans l’air.
Comme quoi, on peut sans doute compter sur la reforestation pour stocker plus de carbone et freiner le réchauffement, mais pas sur la capacité des vieilles forêts à faire le travail à notre place, sauf à les arroser d’engrais. Une raison de plus pour ne pas les détruire: la déforestation, elle, contribue à une large part du réchauffement climatique.
Denis Delbecq
Il faudrait faire la même expérience avec nos forêts de feuilllus ou mieux nos forêts mixtes. les résultats seraient peut-être un peu différents.
Il y a une expérience similaire en cours en Grande-Bretagne sur des parcelles de chênes, qui a démarré en 2017.
https://www.birmingham.ac.uk/research/bifor/face/index.aspx