Au Brésil, la bataille des barrages ne fait que commencer

Forêt amazonienne, en Guyane © Denis Delbecq
Forêt amazonienne, en Guyane © Denis Delbecq

Nouvel Avatar de la bataille entre communautés indigènes et l’Etat brésilien, un juge a suspendu la licence accordée par le gouvernement du pays au projet de barrage géant de Belo Monte, en Amazonie. La justice avait été saisie par Amazon Watch, une ONG qui défend les droits indigènes dans la région. Celle-ci avait reçu il y a quelques jours le soutien appuyé de James Cameron, réalisateur d’Avatar, et de l’actrice Sigourney Weaver, qui s’étaient rendus dans la zone menacée de noyade par le projet. Le barrage, qui doit inonder 500 kilomètres carrés de forêt amazonienne, afficherait une capacité électrique de 11000 MW, l’équivalent de plus de 15% de la capacité nucléaire d’un pays comme la France.

Cette affaire illustre toute l’ambivalence du développement au Sud. Une soif d’électricité légitime, pour appuyer l’essor du pays, et la volonté —tout aussi légitime— de privilégier l’indépendance énergétique brésilienne. Et un impact sur l’environnement qui laissera de profondes cicatrices.

Qu’on ne vienne pas dire qu’un projet comme Belo Monte serait aussi un moyen de produire de l’énergie en masse sans nuire au climat. Car il a été démontré que les barrages en régions équatoriales sont de gros émetteurs de gaz à effet de serre. D’abord parce que des quantités gigantesques seront émises par la mise en eau de la végétation et des sols. Et ensuite, parce que quand le niveau baisse à la saison sèche, la végétation qui pousse sur les berges a beau pomper du gaz carbonique dans l’atmosphère, cette végétation une fois noyée rejette du méthane à la saison humide, un gaz qui —à volume égal— affiche un pouvoir réchauffant 20 fois plus élevé que le CO2 de départ, et du protoxyde d’azote, environ 300 fois plus réchauffant que le CO2, mais émis en quantités nettement moins importantes que le méthane.

Des travaux conduits en Guyane par une équipe du CNRS avaient montré, en 2003, que le barrage de Petit-Saut est susceptible de dégager, sur un siècle, autant de gaz à effet de serre qu’une centrale à gaz de même puissance. Il y a trois ans, une étude brésilienne calculait que les barrages de la planète émettent chaque année 100 millions de tonnes de méthane (soit l’équivalent de 2 milliards de tonnes de CO2, quatre fois les émissions françaises). Etude qui surestimait les émissions globales des barrages (car en zone tempérée les émissions de méthane sont faibles), mais qui avait le mérite de montrer que le recours massif à l’hydroélectricité dans les pays tropicaux et équatoriaux n’est pas neutre pour le climat.

Allez, on fait un petit pari. Gageons que le pouvoir brésilien parviendra à faire taire les communautés indigènes de Belo Monte. Et que ses émissions de GES du pays continueront à croître à grande vitesse…

• A propos de l’impact des barrages, sur la météorologie cette fois, lire ce papier que j’avais écrit pour le site de Science & Vie en décembre dernier.

5 commentaires

  1. J’avais jamais pensé à l’émission de CO2 par la végétation noyée… Comme quoi tout est complexe et ce qui apparait comme une alternative au charbon et autres énergies fossiles peut se révéler non pas plus, mais tout aussi destructeur.
    Le seul avantage est donc l’indépendance énergétique. Ce n’est déjà pas mince. Mais quid de la volonté du Brésil d’améliorer son efficacité énergétique ? (en demandant cela je suis conscient de regarder la paille dans l’oeil de mon voisin !)

    1. Ce n’est pas du CO2, mais du méthane (CH4), produit par des bactéries anaérobies dans les vases du fond. C’est l’équivalent naturel du biogaz dont les écolos sont normalement si friands.
      Un autre aspect dont on ne parle que très occasionnellement, ce qui ne serait pas le cas s’il s’agisssait de centrales nucléaires, est la rupture possible du barrage, accident assez fréquent. Le dernier en date est , l’année dernière, celui d’un barrage sur l’Iénisséi, en Sibérie, mais il y en a eu toute une série, dont en France celui de Malpasset ( 453 morts) et en Italie du Nord celui de Longarone (environ 2000 morts). Ce qui fait que les ruptures de barrage représentent en Europe Occidentale la plus grande mortalité par accident de toutes les sources d’énergie depuis la deuxième guerre mondiale (avant, c’était le charbon). Une rupture en Chine a fait entre 75 000 et 100 000 morts suivant les estimations, et une autre en Inde entre 15 000 et 30 000 morts. Comme l’a dit André Coyne, constructeur malheureux de Malpasset, et qui s’est suicidé après cet accident,  » de tous les ouvrages construits de main d’homme, les barrages sont les plus meurtriers »;
      Mais ce n’est pas pour autant que l’on a renoncé à faire des barrages!

      1. Et pourtant il faudrait…

        On obtient les mêmes résultats qu’on construise un énorme barrage ou plusieurs plus modestes au fil de l’eau… Sauf que dans le deuxième cas il est nécessaire d’utiliser l’énergie pour aider au développement des populations locales autour de la ressource, alors que le premier cas permet d’exporter massivement en dehors du territoire au bénéfices de la surconsommation des régions les plus riches…

  2. Ceci doit être vrai , mais franchement à vouloir tout et son contraire ne doit on pas hiérarchiser les priorités ? Pour l’électricité , l’hydraulique est tout de même une très bonne solution, qui n’est pas intermittente comme le solaire ou l’éolien. il nous faut faire des choix

  3. Comme prévu cela a déjà bougé.
    A Brasilia, Jiraïr Aram Meguerian, le président de la Cour fédérale régionale, vient de juger que la vente aux enchères ne posait pas de « danger imminent » pour la communauté indigène de Rio Xingu, comme le prétend le procureur fédéral de Pará – auteur de l’action qui a conduit à l’injonction – parce que la transaction ne comporte pas la construction immédiate du barrage qui implique de nombreuses étapes.
    La cour a déclaré « qu’enrayer la vente aux enchères pour le projet ferait un grave préjudice pour l’économie, obligeant le Brésil à se procurer d’autres formes d’énergie qui sont «plus chère et polluante. »

    Comme à chaque fois, une partie de la population locale semble être pour, attendant une amélioration de leurs conditions de vie.
    http://www.estadao.com.br/estadaodehoje/20100418/not_imp539724,0.php
    Sur ce même site, plutôt favorable au projet, il y a beaucoup d’informations.

    Sur cet autre site des opposants au projet, de nombreux arguments et actualités.
    http://www.amazonwatch.org/amazon/BR/bmd/index.php?page_number=1

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