Le sommet des égoïsmes, acte II

© Denis DelbecqVous avez aimé Copenhague? Vous adorerez Doha. La conférence de la CITES, l’organisation onusienne chargée d’encadrer le commerce des espèces menacées, qui se tient dans la capitale du Qatar, achève de démontrer que les intérêts économiques priment sur le reste. Le Japon, qui semblait bien seul à défendre la pêche industrielle au thon rouge, a emporté une grande victoire en obtenant le soutien massif des petits pays —moyennant finances, comme cela s’est fait dans le passé pour soutenir la chasse à la baleine?—.

Les plus étrange dans tout cela, c’est que les pays qui pêchent le plus cette espèce dont les stocks semblent en péril, soutenaient la proposition de Monaco. Mais l’Union européenne a joué un jeu dangereux, sur proposition de notre lider maximo verde, en proposant d’assortir la proposition d’interdiction du commerce international du thon rouge d’un délai de dix-huit mois. De nombreux pays l’ont pris comme une preuve qu’il n’y a pas tant d’urgence que cela, et le Japon —appuyé par le Canada et surtout par des pays qui n’ont jamais vu la nageoire d’un thon rouge— s’est fait un malin plaisir de casser l’élan.

D’après ce que raconte le secrétariat de la CITES, le débat a d’ailleurs tourné court, la Libye —grand violeur de quota sur le thon rouge— ayant demandé un vote immédiat. Et histoire que personne ne puisse avoir de détail sur le vote, l’Islande a exigé —et obtenu— un vote à bulletins secrets. Seules vingt voix ont soutenu le texte de Monaco, contre soixante-huit qui l’ont rejeté, et 30 abstentions… dont l’Union européenne, rapporte l’Agence France Presse, sur le site de La Croix. La proposition européenne (interdiction retardée de dix-huit mois) a ensuite subi un échec (72 contre, 43 pour).

Ce qui ressort de ce dossier, c’est que dans la lignée de Copenhague, de nombreux pays refusent qu’on mettent le nez dans leurs affaires. Et chacun de se demander quelle serait la prochaine espèce de poisson à être servie au menu de la CITES. Alors on préfère refiler le dossier aux organismes régionaux, comme la CICTA (censée gérée la conservation du thon rouge en Atlantique et Méditerranée) où les intérêts industriels pèsent si lourd qu’il n’est pas question d’écouter les scientifiques. Monaco a eu beau expliquer que depuis que la gestion du thon rouge de l’Atlantique a été confiée à la CICTA, en 1992, les stocks ont été divisé par trois…

Le thon a donc échappé à son « label rouge ». L’ours blanc (épaulé pourtant et c’est une première par les Etats-Unis, mais pas par le Canada, ni par la CITES elle-même faute de données suffisantes sur l’état de la population) et des espèces de requins sont eux aussi épargnés. Enfin les chasseurs et pêcheurs, pas les animaux. Seul l’éléphant pourrait sortir vainqueur de la conférence, car seuls deux Etats —Zambie et Tanzanie—, appuyés par le Botswana, réclament de vendre leurs stocks d’ivoire, tandis que les autres craignent que cela ne stimule l’ardeur des braconniers, vu l’ampleur du trafic qui transite par les deux pays. Une souris et un éléphant, voilà sans doute de quoi aura accouché ce 15e sommet de la CITES…

9 commentaires

  1. Le futur s’annonce radieux – pour les méduses.

  2. C’est quasiment impossible d’avoir un accord si le Japon est contre… Le Japon a le budget d’aide au développement le plus élevé du monde et ils savent s’en servir comme une arme diplomatique pour récupérer les votes sur des sujets comme celui-ci (ils ont appris cette méthode des multinationales de l’écologie en les battant à leur propre jeu sur les votes sur la chasse à la baleine).

    Bon quand est-ce que Paul Watson débarque en Méditerranée ?

  3. «La conférence de la CITES, […] achève de démontrer que les intérêts économiques priment sur le reste.»
    Vous auriez pu préciser les «intérêts économiques à court terme». Car la proposition de Monaco allait justement dans le sens de l’intérêt économique. Mais à long terme cette fois.

    Paul Ehrlich rapportait en 1985 ces mots d’un journaliste japonais : «Vous voyez l’industrie baleinière comme une organisation dont l’intérêt est de conserver la baleine ; en fait, elle ressemble plus à une quantité énorme de capital [monétaire] qui tâche d’obtenir le retour sur investissement le plus élevé possible. Si elle peut en tirer un profit de 15 pour cent par an en exterminant les baleines en dix ans, ou en tirer un profit de 10 pour cent par an avec un prélèvement durable, alors elle les exterminera en dix ans. L’argent sera ensuite utilisé pour exterminer d’autres ressources.» (publié dans _Animal Extinctions: What Everyone Should Know_ ; traduction de votre serviteur.) On est à peu près dans la même situation concernant le thon rouge aujourd’hui.

    1. @hollydays :
      Merci pour ce rappel ! En fait dès qu’on tire les ficelles des lois qui encadrent la pêche, on découvre la guerre, les eaux internationales (l’éthique du non droit) sont faites pour cela.

  4. Je crois qu’il ne faut pas mélanger baleine et thon, les motivations sont totalement différentes, les japonais sont fous de sushi au thon rouge alors qu’il ne consomment quasiment pas de baleine ( environ 2kg par an) .

    Chasser la baleine est plus politique, c’est pour les japonais adresser un beau bras d’honneur aux gaijin qui leur ont imposé une constitution dont ils ne voulaient après la défaîte de 1945.

    1. … Les Japonais consomment si peu de baleine qu’ils doivent l’exporter vers les resto japonais en Californie, où on vient de découvrir de la viande de baleine dans lesd assiettes…

      2kg par Japonais fois 120 million de Japonais, cela finit quand même par faire un beau troupeau de baleines réduit à néant.

  5. Les japonais tuent environ 1000 baleines de Minke par an dont une grande part en antarctique, Il doit y avoir un souci dans mes deux kilos (je vais vérifier), les sorties des congélateurs tournent autour de 4000/4500 tonnes nourriture pour chien incluse, ce qui induit un surplus de stock annuel d’envirion 2500 à 3000 tonnes

  6. Déprimant aussi bien pour l’humanité que sur le fonctionnement de nos institutions prétendument « démocratiques » qui s’enlisent dans les consensus, le lobbying et les palabres.
    Faudra-t-il un nouveau documentaire comme « The Cove » ou des actions chocs du groupe Sea Shepherd pour changer les choses ? En tout cas, les navires de Sea Shepherd arrivent en Méditerranée et ne vont pas rester les bras croisés.

  7. Un avis nuancé de l’ Association Française d’Halieumétrie (AFH) sur le site http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2010/03/thon-rouge-une-r%C3%A9action-des-scientifiques.html#more

    « La demande d’inscription du thon rouge sur l’annexe 1 de la Cites ne résultait pas de l’expertise scientifique. D’une manière constante depuis plusieurs années, les chercheurs impliqués dans l’évaluation du stock répètent que ce stock se porte mal, que des mesures très sérieuses de régulation de la pêche doivent être prises, mais que l’espèce en tant que telle n’est pas aujourd’hui menacée d’extinction. Ce point de vue a par exemple été rappelé par la dernière réunion plénière du Conseil Scientifique Technique et Economique des Pêches de l’Union Européenne.

    Face à l’inertie des décideurs politiques, on peut comprendre que des ONGs écologistes aient tenté de recourir à l’arme absolue de l’interdiction du commerce international et donc de la pêche elle-même. Dans le même temps, cette demande comportait un risque réel de décrédibilisation des outils mis en place par la communauté internationale pour préserver les espèces en danger réel de disparition. »

    A méditer par ceux qui veulent vraiment une action efficace….

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