L’énergie vue du ciel, miroir aux alouettes

© Denis Delbecq
© Denis Delbecq

C’est marrant ce qu’un papier vite fait ne dit parfois pas grand chose. Comme cette dépêche du Monde.fr mercredi, qui explique très sobrement que le Japon voudrait s’offrir une centrale solaire en orbite. Facile! Il n’y à qu’à mettre le prix, que la dépêche évalue à 14 milliards d’euros pour mille mégawatts de puissance installée.

Ah bien sûr, c’est tentant d’aller installer des panneaux dans l’espace. Ça marche même vachement bien puisqu’ils ont été inventés pour ça, pour alimenter les satellites. Pas de nuages, pas de pluie, pas de grêle, ça produit tout le temps. Je vais vous raconter un truc. Il y a 8 ans, j’avais été envoyé par Libé sur l’île de la Réunion, pour suivre le premier congrès international sur le transport d’électricité sans fil. Ah oui, j’ai oublié de vous dire, le solaire dans l’espace c’est facile si on consomme l’électricité dans l’espace, parce que pour la ramener sur Terre, c’est coton.

Mais je reviens à mes ondes. Transport d’électricité sans fil. Facile, ça existe d’ailleurs sous plein de formes. Induction, micro-ondes, et j’en passe. D’ailleurs à la fin du colloque de 2001, tous les participants avaient reçu un petit cadeau des organisateurs. Un petit volcan en terre cuite dont le cratère s’allumait à proximité d’un téléphone portable en fonctionnement: il piquait les micro-ondes du mobile pour faire clignoter une petite led, signe qu’on peut transporter de l’électricité sans fil. Pas bête parce que tirer un câble de 36000 km pour brancher la Terre sur une prise spatiale, personne ne sait faire.

Donc, dans le projet imaginé à la Nasa par Peter Glaser (qui avait breveté ça au début des années soixante-dix, si ma mémoire est bonne), il s’agissait de transformer l’électricité en micro-ondes, et de balancer le faisceau sur le plancher des vaches. A condition de viser juste, parce que dévier un faisceau de mille mégawatts sur une ville, il y a de quoi produit du charbon de viande.

Sur l’île de la Réunion, il y avait même un joli projet quand j’y suis allé. Alimenter un petit hameau installé dans une vallée encaissée de plusieurs centaines de mètres. Parce que malgré l’intense soleil de la Réunion, le solaire ne marche pas si on n’a que deux heures de soleil par jour au fond d’un puits. Pourquoi à la Réunion? parce qu’un agité du bocal émargeant au CNES (ne m’en voulez pas Guy) qui croyait dur comme fer au Space power est originaire de l’île. Et le congrès avait présenté le premier démonstrateur de transport d’électricité sans fil au monde (enfin c’est ce qu’ils disaient parce qu’en fait c’est bien plus vieux), capable de projeter des micro-ondes à quelques mètres pour allumer une ampoule de 60 watts!

Il y avait peu de monde à ce congrès. Une douzaine de chercheurs et un couillon de journaliste débarqué de métropole. Mais ces chercheurs étaient des huiles, dont le remarquable John Mankins, qui servait alors de gourou technologique à la Nasa. On avait passé une partie de la nuit, sous les étoiles, à discuter du pourquoi du comment il serait un jour nécessaire de transporter de l’énergie à grande distance. Depuis, Mankins a créé sa petite entreprise qui a réussi à transmettre 20 watts sur près de 150 kilomètres, à Hawaii en 2008. Bref, ça marche.

Mais le seul souci, c’est que transporter 20 watts dans un faisceau de quelques dizaines de centimètres de diamètre, il y a à peine de quoi chatouiller les ailes d’un pigeon ou d’une libellule. Mais pour garantir son innocuité, un faisceau ne devrait pas contenir plus de micro-ondes que la lumière solaire (juré, le soleil nous envoie aussi des micro-ondes). Alors imaginez la taille des faisceaux et des antennes pour diluer tout ça… Sans compter le coût (et les conséquences) du nombre incalculable de tirs de fusée pour aller mettre les morceaux en orbite…

Mais en ces temps de crise, puisqu’il faut un peu rêver, le Solar Space Power fait parler de lui, ou plutôt de ses acteurs. Car bien avant le Japon, c’est en Amérique que le coup est parti, où il ne s’agit pas d’un Etat mais d’une entreprise, la Pacific Gaz and Electric, star des galériens de l’électricité californienne. Au pays de Schwartzy, PGE espère réaliser tout seul ce que le Japon tout entier pourrait financer. Sacré farceurs…

20 commentaires

  1. « il y a de quoi produire du charbon… »

    Moi, ça me fait plutôt rêver, même si ce n’est pas pour demain…
    Vous ne croyez pas dans la technologie et le génie humain DD ?

    1. Hélas, tous les rêves ne fonctionnent pas! Voici une vingtaine d’années, on attendait des merveilles de l’holographie pour résoudre les problèmes de l’image en relief. On allait même pouvoir reconstituer une vision « totale sur 360 degrés » d’un objet. Cela a été fait en laboratoire, sur des objets de petites dimensions. avec de très beaux résultats. Mais les contraintes étaient énormes (stabilité, sensibilité, sources laser adéquates.etc) Aujourd’hui, pour développer le cinéma et la télévision relief en vision collective, on doit se rabattre sur la technique du stéréoscope de grand père, adaptée à l’électronique , mais toujours avec des lunettes! C’est pas glorieux.
      Peut-être qu’un jour on y arrivera… Mais comme le croient beaucoup d’idéalistes, il ne suffit pas de claquer des doigts pour vaincre la physique.

  2. Je viens de lire l’article de DDQ du 2 juillet 2009 (en lien à la fin de cet article). J’y ai découvert qu’en 1978 on avait déjà atteint un rendement solaire -> électricité de 28,1% avec l’asga.
    21 ans plus tard on fait mieux de 0,1%. C’est décevant d’avancer si lentement dans ce domaine alors qu’on s’est habitué à avoir en tête les progressions foudroyantes des capacités informatiques.
    On attend tous une rupture technologique pour transformer l’énergie solaire en électricité à coût raisonnable mais à ce rythme il faut quand même une bonne dose d’optimisme.
    Quelqu’un a t-il connaissance d’avancées prochaines prêtes à passer au stade industriel ?

  3. A grande échelle, les concentrateurs solaires dépassent aisément les 30 ou 40%. Comme il n’y a aucune pollution, on pourrait les installer en ville, et atteindre un rendement proche de 80%.

    Il est intéressant que les centrales modernes – a gaz, à charbon ou nucléaire – ne dépassent pas les 45%, tandis que les centrales d’avant guerre atteignaient facilement les 80%; c’est cela aussi le progrès. La différence est due au fait qu’avant, on construisait les centrales dans les villes, et la cogénération fabriquait de la chaleur en hiver, ou de la vapeur en été pour faire tourner les climatiseurs. Aujourd’hui, on construit les centrales tellement loin – nimby oblige, que cette cogénération est devenue impossible.

    On est tous des ‘moonwalkers’: on recule tout en prétendant d’avancer.

    1. Qu’entendez-vous exactement par rendement? Par rapport à quoi? Par rapport à la quantité d’énergie solaire reçue par la totalité de l’emprise au sol? Par rapport à la quantité d’énergie reçue par les récepteurs?

      1. par rapport à la surface des récepteurs. Tenant compte de l’emprise au sol, c’est nettement moins.

  4. Je crois (mais je peux me tromper), que les systèmes de transferts d’énergie à distance perdent ENORMEMENT de puissance en chemin… N’est-on pas à l’heure de l’économie justement?
    @koen Je n’ais jamais entendu parler d’un type de production d’énergie avec 80% de rendement. Pouvez-vous être plus précis?
    @Denis Delbecq Le soleil nous envoit des ondes dans tout le spectre éléctromagnétique, donc des micro-ondes aussi! Peut être est-ce pour cela que mes cottelettes y décongélent vite!! 🙂
    @BMD Je t’aime, ne change rien.

    1. En principe, avec 1L de pétrole je fabrique environ 10kWh de chaleur, dont je me sers pour fabriquer de la vapeur surchauffée.
      Après détente dans une turbine, je récupère ainsi environ 4.5 kWh d’énergie électrique pour alimenter le réseau (qui va perdre environ 30% en cours de route, mais c’est une autre histoire), et un paquet de vapeur chaude.
      Dans une centrale ‘classique’, cette vapeur chaude va être refroidie, recondensée et recomprimée pour partir dans un nouveau cycle (plus la vapeur est froide, moins il faut d’énergie pour la comprimer). La chaleur supplémentaire sert alors à générer des nuages de vapeur dans les tours de refroidissement, ou à un élévage de Tilapie dans les environs de la centrale, ou à réchauffer l’eau du fleuve.
      Mais un pourrait récupérer cette chaleur aussi pour générer du chauffage urbain.
      Est-ce que vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi il y a de la vapeur qui s’échappe des tuyaux dans beaucoup dde films américains? C’est de la vapeur qui circule dans le réseau urbain. Cela chauffe l’hiver, et fait tourner les climatiseurs en été.
      La seule contrainte, c’est qu’il faut accepter une centrale (ou un incinérateur) en centre ville, chose impossible de nos jours.

      1. Vous parlez donc du rendement électricité+chaleur d’une centrale solaire fonctionnant en cogénération, et non pas de rendement électrique. Encore faut-il que toute la chaleur normalement perdue puisse être utilisée. Qu’en est-il en particulier en été, quand votre centrale produit le plus de chaleur, alors que l’on en a guère besoin?
        Les Danois pratiquent couramment la cogénération à partir de petites centrales à charbon, et de plus en plus à gaz, installées près des villes pour pouvoir utiliser la chaleur dans des réseaux de chaleurs pour les habitations ou dans des installations industrielles. Je ne pense pas qu’ils dépassent en moyenne 60 % de rendement global. Et ce rendement est sans doute inférieur, s’il est mesuré au niveau de la chaleur utile, c’est-à-dire celle réellement fournie à l’intérieur des habitations.
        D’autre part, si vous ne recondensez pas la vapeur, il vous faut utiliser un apport continu d’eau froide, qu’il vous faut prendre quelque part ( à la sortie des réseaux de chaleur?)
        Les pertes d’électricité du réseau de transport français sont de 7 à 8 %, et non de trente.

      2. Disons que le rendement d’une centrale à cogénération est nettement plus élevé que celui d’une centrale sans. Le chiffre exact va dépendre de la centrale et du type de cogénération et de son utilisation.
        J’ai voul dénoncer le fait qu’il y a une belle source d’énergie à exploiter, qu’on exploitait dans le passé, mais qu’on n’exploite plus, car – à l’exception Danoise près – on ne construit plus de centrales à cogénération.
        Comme je l’avais noté plus tôt, la chaleur en été sert à fabriquer de la vapeur, qui va faire tourner les climatiseurs.
        Cela paraît bizarre d’abord. il faut se réaliser toutefois qu’il n’y a pas de substitution de chauffage d’hiver par clim’ d’été, car le chauffage était fourni par cogénération. Donc il faut des installations plus importantes pour fournir plus d’électricité en été (pour faire tourner des climatiseurs électriques), sans possibilité de cogénération. Donc il se peut que le bilan penche vers la solution déployée (non, je n’ai pas d’études chiffrées).

      3. Une grosse part des besoin de chaleur c’est des besoins industriels pour lesquels on a besoin de chaleur toute l’année : production de vapeur, d’eau chaude, séchage, préchauffage…

        La production des usines dépend moins des saisons hiver/été que des cycles économiques mais il faut prévoir que ces besoins vont augmenter si les industries délocalisées reviennent dans les pays développés…

        Les champions de la cogénération ce sont les islandais qui arrive à faire des taux de récupération de 95% et plus avec une cascade d’utilisation : électricité => vapeur industrielle => chauffage des locaux => pisciculture.

      4. Peut-être je n’y comprends rien, mais il me semble que le débat initié par l’article de DD concernait seulement le transfert de l’énergie sans support physique, et non le rendement des machines thermiques associées à la production d’énergie, ce qui ne facilite pas la discussion. Dans le cas des micro-ondes, a-t-on une idée des rendements de production et de récupération dans le faisceau? Dans le vide sidéral, peut-on supposer qu’on peut obtenir un faisceau parfaitement collimaté? Et les pertes d’un tel faisceau sont-elles nulles? Quid dans la proche atmosphère? Accessoirement, volcan ou pas, faire allumer une LED à proximité d’un téléphone portable, ça va en effrayer plus d’un, non?

  5. C’est tout de même intéressant la production 100% du temps. Le progrès pourrait trouver des solutions … Mais attention pas du type sable bitumeux du canada ou il faut 2 barils de pétrole pour en extraire 1.

    1. Presque… Ils sont à 0,6 barils de pétrole pour en extraire un tout neuf.
      Le jour où il faut mettre plus d’un baril pour extraire un baril, cela va s’arrêter tout seul.

      En revanche, on ne mesure pas dans l’autre sens. Il est tout à fait concevable qu’on dépense 1 baril de pétrole pour extraire 0,9 baril-équivalents de gaz, de charbon ou d’uranium…

      Belle perspective à venir.

      Je viens de découvrir que les chiffres sur les réserves d’uranium sont aussi truqués que ceux sur les réserves de pétrole. Il n’y a que la bêtise humaine qui reste inépuisable.

  6. Quelques GW de micro-ondes au dessus de la terre ça s’appelle un rayon de la mort dans le vocabulaire de la science-fiction des années 50… Donc ça va se faire quelque soit le prix à y mettre.

  7. « puisqu’il faut un peut rêver »
    Cachez ce « t » que je ne saurais voir…

    1. Author

      Il s’en est allé comme il était venu. Vous ne le verrez plus (jusqu’à la prochaine fois!). Merci



Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.