Le ciment vert de la discorde

Dur dur de faire ce métier de journaliste. Prenez le Guardian. La veille du réveillon, le quotidien britannique publie un article dithyrambique sur une invention formidable: le ciment qui réduit l’effet de serre au lieu d’en fabriquer. Franchement, c’est assez enthousiasmant, non? Au lieu d’émettre 400 kg de gaz carbonique à la tonne, il en absorberait 600 kg. Bref, plus on construit, et plus on nettoie l’atmosphère. Allez Bouygues et consorts, savez-nous!

Mais le Guardian, comme Effets de Terre, a des lecteurs scrupuleux. Et le lendemain midi, un certain Hoggle sorti des vapeurs du réveillon plus tôt que les autres a joué les Cassandre en expliquant que cette invention n’est pas britannique et qu’il y a des bisbilles avec un autre inventeur, australien celui-là, qui prétend avoir été le premier sur le coup.

Il ne m’appartient pas de trancher ce n-ième conflit entre le Royaume-Uni et son ancienne dépendance. Mais cette histoire en dit long sur la manière dont les technologies vertes occupent le devant de la scène. Chaque inventeur, ou prétendu-tel, se précipite vers les médias pour décrocher les articles qui —il l’espère en tous cas— aideront à trouver les capitaux qui font défaut.

Je vous résume l’histoire. Un certain Nikolaos Vlasopoulos, de la firme Novacem, explique au Guardian que son entreprise a découvert le Graal de l’industrie des BTP. Alors que la production de ciment pèse 5% des émissions de gaz à effets de serre d’origine humaine, son ciment à base de magnésium serait un véritable Monsieur propre de l’atmosphère. Le ciment classique, dit de Portland, demande beaucoup d’énergie pour être fabriqué, car on utilise des fours à haute température. Ensuite, quand il est mélangé avec de l’eau, il pompe du gaz carbonique dans l’air. Mais le bilan est globalement négatif. Le remplacement de la chaux du ciment ordinaire par des composés de magnésium nécessite un traitement à plus basse température (650°C contre 1500°C, explique le Guardian). Donc moins d’émissions de gaz carbonique, et en plus un potentiel de captation une fois mélangé à l’eau plus élevé et un bilan positif en terme d’effet de serre. Bref, à supposer que les deux ciments aient les mêmes propriétés structurelles, le remplacement de l’un par l’autre permettrait de gagner plus d’une tonne de gaz carbonique par tonne de ciment. Fin du cours de physico-chimie, je reviens à mes pare-paings.

Novacem, donc a reçu 1,5 millions de livres sterling du gouvernement britannique pour poursuivre le développement de son ciment. Mais apparemment, TecEcho, basée en Tasmanie (Australie) aurait mis au point ledit procédé plusieurs années plus tôt et proteste en mentionnant le rôle d’un certain Cheeseman, de l’Imperial College de Londres. Larron qui travaille pour le compte de Novacem et aurait assisté en 2003 et 2004 à des conférences données par son concurrent australien. Cheeseman aurait même reçu des échantillons du ciment de TecEcho à cette occasion.

Vous êtes embrouillés? Je résume. Le britannique Novacem prétend avoir inventé le ciment anti-effet de serre. L’australien TecEcho aussi, avec des références qui remontent au moins à 2002, puisque j’ai effectivement retrouvé dans les archives de New Scientist le résumé d’un papier de Fred Pierce le 13 juillet de cette année-là qui mentionne les travaux de John Harrison, basé en Tasmanie et aujourd’hui chez TecEcho (1). Bref, il y a un menteur quelque part.

Qui mérite le titre d’inventeur? A mon avis, il vaudrait mieux jouer ça à pile ou face. Ce qui est le plus important c’est encore de vérifier que cette invention est aussi efficace que les deux parties le disent. Mais le Guardian aurait sans doute été avisé de creuser un peu le sujet avant de faire son papier. Mais que l’on ne se trompe pas sur mes intentions. Une telle erreur d’appréciation aurait pu aussi m’arriver.

(1) Pas de mérite à ça. Il suffisait de lire les affirmations du site de TecEcho pour y dénicher la référence et vérifier dans les archives de New Scientist. En revanche, après une brève interrogation de la base de données Freepatentsonline, il apparaît que Harrison a déposé au moins un brevet sur le sujet, attribué aux Etats-Unis en mars dernier. Pas de trace en revanche de Cheeseman ou de Vlasopoulos avec le mot-clef « ciment » (en anglais, of course).

8 commentaires

  1. « Chaque inventeur, ou prétendu-tel, se précipite vers les médias pour décrocher les articles qui —il l’espère en tous cas— aideront à trouver les capitaux qui font défaut. »
    ———————————-

    Les inventeurs n’ont rien inventé, ils tiennent cette manière de brasser de l’air des chercheurs du changement climatique.

  2. Mon cher miniTAX, c’est toute la recherche qui fontionne comme ça. Alors soit toute la recherche est pourrie et vendue et l’humanité court à sa perte, soit on fait confiance aux chercheurs. A vous de voir.

  3. Non, c’est à vous de voir mon petit Enisor, surtout du côté de la FARCE (Fraternité des Alarmistes du RC exagéré) qui nous brandit le sempiternel argument débile de l’industrie du pétrole et autre big business qui financeraient les climato-sceptiques dès qu’un résultat fiche en l’air leur château de carte théorique.

    Soit les fonds de recherche pourrissent la recherche climatique, qu’ils viennent de l’industrie du fossile ou de la confrérie climato-alarmiste (ie l’industrie du nucléaire, les écopathes, les gouvernements, les profiteurs du marché du carbone, les médias toujours friand de sensationnalisme simpliste…), soit ça n’a pas d’impact.
    Avaler ou cracher, il faudrait choisir mais vous ne pouvez pas prendre que ce qui vous arrange quand ça vous arrange.

    Ceci dit, rassurez-vous, même si la recherche était pourrie, l’humanité ne « courrira pas à sa perte ». Il n’y a que les hystériques du climat pour en arriver à ce genre d’insanité logico-déductive, vous devriez éviter de les fréquenter pour le bien de votre santé mentale.

  4. @miniTAX – Votre hystérie donne peu de crédit aux non-thèses que vous défendez et aux non-arguments que vous avancez.

    « Toute vérité passe à travers trois étapes. Elle est d’abord ridiculisée. Ensuite elle est violemment contestée. Finalement, elle est acceptée comme évidente ». – Arthur Schopenhauer (1788 – 1860), philosophe allemand.

  5. Sans compter, les amis, que le ciment magnésien dit ciment de Sorel existe depuis…1867.
    Mais ça, les « inventeurs » du « nouveau procédé » soit l’ignorent, soit le cachent…

  6. Quelques compléments sur les ciments magnésiens :

    Leur intérêt principal réside dans leur résistance à la compression (on atteint couramment plus de 1000 bars à la compression, à comparer aux 300 à 500 des mortiers de ciment portland.
    De plus, leur résistance à la flexion et à la traction est étonnante : plus de 150 bars en traction, alors que les ciments portland ont une résistance maxi de 40 bars, et que celle-ci est tellement faible qu’elle est considérée comme nulle pour les calculs.
    Les constituants principaux sont l’oxyde de magnésium (magnésie, insoluble) et le chlorure de magnésium (sel soluble).
    On trouve aussi la combinaison magnésie / sulfate de magnésium et la combinaison magnésie / phosphate de magnésium.
    Les sels de magnésium sont obtenus à partir du magnésium contenu dans l’eau de mer, ou sont contenus dans des minerais (Le sel d’Epsom, par exemple, est du sulfate de magnésium heptahydraté).
    Les ciments magnésiens ont un gros défaut : ils ne sont pas très stables à l’eau. On ne pourrait pas construire un pont avec, car les piles de celui-ci se dissoudraient dans le fleuve…
    La fabrication des sels de magnésium nécessite de l’énergie (électrolyse ou chaleur). Même si cette dernière est plus faible que pour la fabrication du ciment portland.
    Le carbonate de magnésium peut peut-être être utilisé en remplacement de la magnésie, mais donnera un produit sensible à l’eau.
    Pour toutes ces raisons, les ciments magnésiens n’ont certainement pas un gros avenir en construction, et ne pourront en tous cas jamais remplacer le ciment portland.
    Mais, ils peuvent, par contre, constituer une pompe à fric pour les chercheurs à la recherche de subventions, en raison du fait que le ciment de Sorel est très peu connu, et qu’il peut faire illusion pendant assez longtemps auprès des bailleurs de fonds.
    C’est un canular (parmi d’autres, nombreux) pouvant présenter un caractère « écologique » qui permet surtout de démontrer (s’il en était besoin) qu’on peut facilement présenter comme « invention géniale du siècle » un procédé connu depuis tellement longtemps qu’on l’a oublié…

    PS : j’ai passé une dizaine d’années de ma vie comme chef d’un labo de recherche spécialisé dans les liants hydrauliques. Le superfluidifiant utilisé actuellement dans tous les bétons transportés est sorti de mon labo en 1972.

    PS2 : la vrai innovation dans la fabrication du ciment portland consisterait à utiliser directement la chaleur nucléaire. Mais, comme les spécialistes du nucléaire sont cantonnés actuellement dans la production d’électricité, et que les décideurs ne sont pas des techniciens, et donc ne savent pas rapprocher intelligemment 2 techniques très différentes, parce que s’ils n’ont pas de pétrole, ils n’ont pas d’idées non plus (du moins pas d’idées innovantes, parce qu’à Polytechnique, on leur désapprend l’innovation, qui n’est strictement jamais logique), il faudra peut-être attendre encore longtemps avant que cette technique se développe.

  7. le ciment sert aussi à faire les murs de la ségrégation jusque dans les villages a quand les ciment transparents?

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