La course aux hydrocarbures des sables souterrains canadiens et américains fait des émules. Car ces gisements de sables bitumineux sont aussi gigantesques que difficiles à exploiter. Le procédé le plus en vogue consiste à injecter de la vapeur dans le sous-sol pour extraire les huiles lourdes et les remonter en surface. Seulement voilà. La vapeur ça coûte cher, et il serait un peu absurde et très très cher de brûler du pétrole pour extraire du pétrole…
C’est là que l’atome entre en piste. Une centrale nucléaire produit beaucoup de chaleur, bien plus que d’électricité, d’ailleurs. D’ordinaire, plus de la moitié est évacuée en pure perte dans les tours de refroidissement, les rivières, ou l’océan. Mais à Los Alamos, sanctuaire de la recherche atomique américaine, on a trouvé mieux: produire 100% de chaleur dans une “batterie”. Si besoin, on peut ensuite la coupler à une turbine pour faire de l’électricité.
L’Hyperion, qui a déjà sa startup, Hyperion Power Generation (HPG) depuis un mois, est un mini-réacteur placé dans une cuve en acier, elle même scellée dans une enveloppe de béton. Le tout se transporte en train ou en camion, avant d’être enfoui dans la terre. Merci de le rapporter à l’usine après usage…
L’autonomie de ce radiateur «sûr» est d’environ cinq ans. Une réaction nucléaire auto-contrôlée, dixit HPG, (pas la star du porno, la star… tup du nucléaire losalamien) «qui produit beaucoup moins de déchets que les autres types de réacteurs.» L’engin délivre 27 MW de puissance calorifique, à un coût quatre fois inférieur à celui du gaz naturel. Selon HPG, «l’économie sur les coûts d’extraction du pétrole de sable atteindrait 2 milliards de dollars tous les cinq ans…» Le communiqué de l’entreprise précise qu’à l’avenir, «l’Hyperion offre aux collectivités le confort d’une source d’énergie sûre, peu chère et locale, qui ne pollue pas la planète.» Dans le Santa Fe Reporter, le quotidien local de la région de Los Alamos, on précise même que la technologie pourrait permettre d’aider les pays en voie de développement, où le manque d’énergie est l’une des cause de pauvreté.
L’Hyperion n’est pas si loin de nous: HPG a paraît-il rendez-vous avec ses premiers prospects cette semaine. L’entreprise vise l’ouverture de son usine dans cinq ans, et un marché de 4000 radiateurs nucléaires pour commencer. Ça fait froid dans le dos.
Image: La centrale nucléaire de Gravelines © Denis Delbecq
C’est, je le crains, la plus parfaite illustration de pourquoi le peak oil est un trompe l’oeil peu fiable. Avec ce genre d’approche, qui tire pleinement avantage de la puissance du nucléaire (contrairement à la production électrique qui sous-utilise la chaleur), les sables bitumineux vont monter en force encore plus, et bien des champs de pétrole aujourd’hui considérés inexploitables pourraient revenir sur le tapis. Pire, la liquéfaction du charbon en carburant devient facilement rentable, ce qui risque de repousser le problème des réserves… au « jour d’après ».
Lu ailleurs: Peak Oil et Global Warming sont sur un bateau. Peak Oil tombe à l’eau. Qu’est-ce qui reste?
@lecture, l’utilisation éventuelle du nucléaire pour produire l’eau chaude nécessaire à l’exploitation des sables bitumineux n’a pas grand chose à voir avec la réalité du Peak Oil. Certes on ne perdra plus le bitume actuellement brûlé pour produire de l’eau chaude, ce qui améliorera l’environnement mais ne changera pas le débit de la production des exploitations qui est surtout gouverné par la géologie des exploitation et les propriétés du bitume et qui en tout état de cause est faible! Et cela n’a absolument rien à voir avec la liquéfaction du charbon, dont les techniques sont connues depuis le début du 20 ème siècle, sauf à produire un jour de l’hydrogène avec des réacteurs nucléaires, ce qui n’est pas pour demain.
Les annonces qui sont faites: du pétrole pour 40 ans, du gaz pour 60 et du charbon pour 250 n’ont guère de sens car ces valeurs sont calculées pour une consommation constante alors que celle-ci augmente au rythme d’environ 1,8 % par an, soit une multiplication par 6 en 100 ans. Ce qui fait que même nos réserves de charbon n’iront pas à la fin du siècle si nous continuons comme çà.
Il y a me semble-t-il une grande difficulté à faire comprendre que le véritable problème de l’immédiat n’est c pas celui des réserves, de pétrole, de gaz, de charbon, mais celui des possibilités d’accroissement de la production. Les possibilités de production sont limitées par la géologie et la physique bien plus que par le montant des investissements dans les nouvelles technologies. Pour tout gisement, la production commence par augmenter, puis décline irrémédiablement. Elle passe donc par un pic. La production de pétrole de la mer du Nord a décliné à partir de 2000, la production de pétrole des Etats-Unis à partir de 1973, et celle du charbon français en 1958 et cela après être allé au bout de tous les progrès technologiques! Au rythme actuel de l’accroissement de notre consommation d’énergie, il va être impossible d’ici peu d’accroître la production au même rythme que la consommation, même avec des améliorations technologiques. C’est cela le Peak oil, le Peak Gas, le Peak Coal. En ce qui concerne ce dernier, certains l’annoncent pour 2020 en Chine!
Le problèmes des réserves ne sera donc pas repoussé au jour d’après.Toute la technologie du monde n’y changera maintenant que peu de choses si la consommation ne décroît pas!
Nous avons le pouvoir de décider, en réduisant drastiquement notre consommation, de ne pas utiliser ces réserves pour ne pas démolir le climat .Il faudrait pour cela laisser 50 % de nos réserves en terre! Qui sera assez courageux pour le faire?
@BMD
J’ai l’impression que nous ne parlons pas de la même chose. Certes le peak oil est inévitable, certes c’est vrai de n’importe quel ressource fossile, certes prélever n’importe quel ressource physique avec un taux qui double tout les 40 ans mène nécessairement à une impasse.
Mon point n’est pas de nier ces évidences, mais de rappeler que les ressources utilisables de fossiles sont, y compris avec les prix actuels, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup trop importantes pour nous contraindre économiquement à une modération suffisante pour la préservation du climat. En d’autres termes oui on aurait un jour un peak coal, mais avec un désastre climatique bien avant!
Concernant les problèmes d’accroissement de production (qui est une question un peu secondaire puisque les productions actuelles suffisent pour GW format king size) je dois dire que je ne suis pas très convaincu. Vous semblez raisonner comme si l’on devait éternellement attendre que le pétrole sorte tout seul de ses champs. Or il est possible d’aller le chercher plus directement (les sables bitumineux étant un premier exemple), et dans ce cas la limite n’est pas donné par la géologie mais par le nombre de machine que l’on met dessus, c’est-à-dire par le montant des investissements. Sachant qu’un baril de pétrole à 87$ (à l’heure où j’écris) amène 75$ de bénéfice pour les sables par exemple, il est facile de comprendre que l’incitatif va être beaucoup plus grand que lorsque le pétrole était à 10 ou 20$.
Petits détails sans grande importance:
>on ne perdra plus le bitume actuellement brûlé pour produire de l’eau chaude
Actuellement il n’y a pas de réutilisation de bitume pour le chauffage, c’est le méthane qui est employé à grande échelle.
>cela [la production de chaleur par des centrales nucléaires /ndL] n’a absolument rien à voir avec la liquéfaction du charbon, dont les techniques sont connues depuis le début du 20 ème siècle
Certes, et à part le charbon lui-même ces techniques nécessitent… de la vapeur chaude. Autrement dit comme pour les sables bitumineux la liquéfaction du charbon peut probablement utiliser le nucléaire pour conserver une rentabilité supérieure à toute autre source actuelle, incluant le nucléaire électrique car celui-ci n’utilise pas aussi efficacement la chaleur.
>le débit de la production des exploitations qui est surtout gouverné par la géologie des exploitation et les propriétés du bitume et qui en tout état de cause est faible!
Qui en tout état de cause est plus grande que n’importe quel champs de pétrole, puisque les sables sont collectés en fonction du nombre de pelles mécaniques employées plutôt qu’en fonction de la pression interne d’un champ pétrolifère (je radote un peu là). C’est une des raisons pour laquelle l’Alberta peut cibler une multiplication par cinq du débit à court terme (5Mb/j, soit 16% de la production mondiale actuelle), l’autre étant la rentabilité qui est à des niveaux inconnus jusque récemment.
>certes prélever n’importe quel ressource physique avec un taux qui double tout les 40 ans mène nécessairement à une impasse
Coquille: « certes doubler le prélèvement de n’importe quelle ressource physique tous les 40 ans mène nécessairement à une impasse »
@lecture,
– Le bitume dont je parle est celui qui est utilisé pour faire de l’eau chaude servant à diminuer la viscosité du bitume en place et à en permettre l’exploitation. Le nucléaire permettrait de produire de l’eau chaude sans brûler ce bitume.
-le bitume de l’Alberta ne tombe pas du ciel. Il se trouve dans d’anciens gisements de pétrole qui ont été portés à la surface par les mouvements tectoniques et l’érosion , et dont le pétrole a été altéré en bitume.
– La partie de ces gisements qui est exploitable avec des pelles mécaniques en découverte ne représente qu’une faible partie du bitume en place et même dans ces conditions, une bonne part du bitume en place est irrécupérable et se retrouve dans l’environnement! La partie profonde est exploitée avec des forages horizontaux tout comme un gisement classique et il faut savoir que le taux de récupération du bitume en place, contrairement à ce que vous semblez croire, est beaucoup plus faible qu’avec du pétrole conventionnel. Faites vous même l’essai: achetez quelques mètres cubes de sable, mélanger les soigneusement dans une fosse avec du bitume routier bien chaud et un solvant pour bien répartir le bitume dans le sable, laissez évaporer et refroidir et essayez ensuite de séparer le bitume du sable en y faisant circuler de l’eau chaude dans des tuyaux et en installant un collecteur au fond de votre fosse!. Et demandez vous pourquoi il est si difficile de nettoyer une plage souillée par une marée noire. D’autre part, même si l’Alberta peut cibler une multiplication par 5 du débit, il reste à vérifier qu’il peut le faire. Ce ne sera pas de toutes façons du très court terme. Dans le scénario que j’ai cité et que vous devriez regarder attentivement, l’augmentation au cours du temps de ce débit a été prise en compte. Le bitume de l’Alberta ne sera pas un très gros robinet et ne compensera pas, loin de là, la baisse de débit des autres robinets qui va intervenir lui à très court terme!
– c’est une illusion d’économiste de croire que l’augmentation du prix du pétrole résout automatiquement le problème des réserves. C’est la géologie des gisements qui commande et une règle de pouce indique que pour un gisement donné, le pic de production sera atteint quand la moitié des réserves aura été consommée. J’ai cité le cas de la Mer du Nord dont le pic de production a été atteint en 2000 et dont la production décline maintenant très rapidement malgré les prix du pétrole et les progrès technologiques. Beaucoup de provinces pétrolières ont déjà passé leur pic et déclinent rapidement et le prix du pétrole n’y fait pas grand chose!.
– Le charbon peut être utilisé pour relayer le pétrole et en particulier produire des carburants.La production de vapeur , ou d’hydrogène avec du nucléaire peut effectivement améliorer le bilan énergétique et le bilan carbone de l’opération. Mais quand?Et on rapprochera d’autant la date du Peak Coal , qui en ce qui concerne la Chine est prévu de diverses sources pour 2020 sans même avoir tenu compte de l’utilisation du charbon pour autre chose que produire de l’électricité.
– Je vous suis sur le fait que de toutes façons l’exploitation complète de ces réserves au cours de ce siècle amènerait à une catastrophe climatique, et que l’augmentation des prix ne sera pas suffisante pour enrayer ce désastre! Une contraint politique est nécessaire!