Quand un climatologue de la Nasa s’alarme

C

omment concilier rigueur scientifique et principe de précaution? Le climatologue américain James Hansen (Nasa) jette un petit pavé dans la mare en appelant, dans la revue Environment research letters, à court-circuiter, d’une certaine manière, les instances scientifiques officielles, plus précisément le Groupe intergouvernemental d’études sur le climat de l’ONU (Giec), dont le prochain rapport sera publié en décembre. L’objet de cet appel, ce sont les conséquences du réchauffement climatique sur le niveau des océans. Hansen appelle à la constitution d’un groupe de scientifiques chargés de se pencher sur cette question.

Dans le rapport du Giec, les scientifiques estiment que, sans changement important de nos modes de vie (le fameux scénario «business as usual» si cher à George W. Bush), les mers s’élèveront de 18 à 59 centimètres. Hansen, lui, imagine qu’il sera impossible de contenir cette élévation à moins d’un mètre, voire plusieurs. Le problème, c’est que les deux ont probablement raison. Simplement, le tempo n’est pas le même.

Le rôle du Giec est de guider les politiques publiques en fournissant à intervalles régulier un état des connaissances sur le réchauffement climatique et ses conséquences pour la planète. Une photographie de l’abondante littérature scientifique dont le dernier cliché remonte à 2001, et le prochain sera imprimé à la fin de l’année, après une réunion finale à Valence (Espagne), qui se tient du 12 au 17 novembre. Bien évidemment, le Giec ne peut tenir compte des travaux les plus récents. Et, en toute rigueur, l’organisme s’estime incapable à ce jour de juger de ce qui se passera concrètement dans les hautes latitudes. «Connaissances scientifiques insuffisantes», donc on n’en tient pas compte. Point final, c’est comme cela que fonctionne la science et c’est tant mieux.

Pourtant, James Hansen a probablement raison lui-aussi. Sans contester la prudence du Giec, il détaille les particularités des mécanismes liés à la disparition progressive des calottes glaciaires. Et insiste lourdement sur la non-linéarité. Encore un gros mot de savant, mais qui a toute son importance.

Dans la nature, bien des phénomènes sont linéaires: un prédateur qui court deux fois plus vite met deux fois moins de temps pour parcourir le même trajet que sa proie (à supposer qu’il puisse courir assez longtemps, car il faut tenir la distance…). Mais d’autres mécanismes ne sont pas linéaires: un centimètre de glace renvoie autant d’énergie solaire dans l’espace qu’un mètre. Quand il n’y a plus de glace, ce qui se trouve en dessous (terre ou eau) absorbe beaucoup plus de rayonnement: le frigo des hautes latitude se transforme en radiateur. C’est justement cette non-linéarité, cet effet «boule de neige» qui rend les choses difficiles à modéliser (et passionnantes à étudier d’ailleurs). Alors pourquoi Hansen aurait-il raison lui aussi? Parce que la disparition complète de la calotte glaciaire en certains endroits accélérera le réchauffement climatique et la désintégration de la calotte ailleurs: bref, plus le niveau des océans s’élèvera, et plus il grimpera… Et qu’aucun des effets non-linéaires connus tend à freiner le réchauffement…

S’il reconnaît le «devoir de réticence» du Giec, James Hansen demande à ses collègues chercheurs d’être plus audacieux dans leurs travaux. Un message à l’adresse aussi des décideurs américains qui se révèlent, notamment depuis la première élection de Bush, plus généreux avec les savants «conservateurs» qu’avec ceux moins en phase avec la politique de la Maison-Blanche (1). Hansen se montre particulièrement critique envers les travaux qui portent sur la gazéification du charbon et l’exploitation high-tech de pétroles difficiles à extraire. Coupables à ses yeux de ne servir qu’à perpétuer le scénario du «business as usual». Le scientifique de la Nasa estime que l’Académie américaine des sciences pourrait, sans attendre le futur rapport (2013?) du Giec, susciter une étude approfondie et sans délai des travaux sur la montée des océans.

(1) En 1981, Hansen avait publié un papier sur les conséquences de l’usage des hydrocarbures sur le climat. Il affirme qu’ensuite son labo a vu ses subventions diminuer. En 2006 le climatologue a accusé la direction de la Nasa de relire toutes ses publications scientifiques, le contenu du site internet de son laboratoire et de filtrer ses interviews…

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.