Comment fonctionnent les tests? Quelle différence entre la recherche du virus et celle des anticorps contre lui? Que tester pour éviter que le déconfinement ne provoque une seconde vague de l’épidémie? Les réponses du Pr Odile Launay, responsable du centre de recherche vaccinale à l’Hôpital Cochin (Paris) et professeure en maladies infectieuses à l’Université de Paris.
Image: Test sur un échantillon prélevé sur un malade du Covid-19 © Pedro Tenorio (U.S. Air Force )
Entretien réalisé le 16 avril pour la préparation de l’Edito Carré et du Virus au carré de Mathieu Vidard, le 20 avril sur France Inter.
Comment détecte-t-on la présence d’un virus chez un patient?
Pendant longtemps, on faisait de la mise en culture du virus, en infectant des cellules. Mais aujourd’hui, on utilise les techniques de biologie moléculaire qui sont beaucoup plus rapides. On recherche la présence de gènes du virus, avec une technique qui s’appelle la PCR. Elle permet de détecter si du matériel génétique du virus est présent ou pas. En revanche, cette méthode ne dit pas dans quel état est le virus: s’il est intact et infectieux ou dégradé et inopérant. Il existe deux manières de rechercher ce matériel viral. Soit de manière qualitative —pour savoir s’il y en a ou pas— ou quantitative —pour déterminer combien il y en a.
Ces tests sont-ils fiables?
La fiabilité d’un test dépend d’abord du test lui-même. Il y a ce qu’on appelle sa sensibilité. A partir de combien particules virales est-il capable de détecter que quelqu’un est infecté? De même, il doit être spécifique, autrement dit réagir au virus que l’on cherche et pas à d’autres. Sur ces deux plans, les tests de dépistage du Sars-Cov-2 dont nous disposons sont fiables. Mais cela ne suffit pas, car le prélèvement doit être bien fait, ce qui demande une certaine dextérité, par exemple pour introduire un écouvillon dans la fosse nasale. On ne peut pas pratiquer ces prélèvements sur soi-même. De plus, au fur et à mesure de l’évolution de la maladie, le virus n’est pas localisé au même endroit, l’infection se déplace. Même pour la grippe, sur des patients en réanimation, il arrive qu’on ne trouve pas de virus dans les voies respiratoires supérieures, alors qu’on en trouve beaucoup dans les poumons.
Ce sont les résultats faussement négatifs qui sont les plus à redouter en terme d’épidémiologie?
Oui, parce qu’un test de dépistage faussement négatif rassurera la personne à tort en lui disant qu’elle ne porte pas de virus tandis qu’elle risquera de contaminer d’autres personnes. De plus ce n’est pas parce que quelqu’un est vraiment négatif à un moment donné qu’il n’a pas été exposé au virus. Il peut ainsi devenir positif le lendemain.
Pour quelle raison?
L’incubation du Covid-19 est de 2-3 jours en moyenne avant l’apparition des symptômes, mais cela pourrait être plus long. Et dans cette phase d’incubation, surtout au début, le virus n’est pas toujours détectable. C’est compliqué de faire la différence entre une personne en phase d’incubation et une autre dont la maladie est asymptomatique.
Ces cas asymptomatiques, qui inquiètent tant les autorités sanitaires, sont-ils fréquents?
On l’a pensé au début, et il est vrai que cela n’a pas pu être vérifié sur une population générale, en France ou ailleurs. Mais on estime aujourd’hui que la proportion de cas asymptomatiques est moins importante qu’on pouvait le penser. Probablement beaucoup moins que ce taux de 80% des cas qui a circulé. [Il émanait d’une mauvaise interprétation d’une étude chinoise. Une étude conduite sur 10% de la population islandaise avance un chiffre de 43% de covid+ asymptomatiques, NDLR]. Ce qui est compliqué, avec le Covid-19, c’est que c’est une maladie très protéiforme. Il n’existe pas un symptôme commun à tous les malades, même ceux atteints d’une forme sévère. Dans la majorité des cas, il y a des problèmes respiratoires. Mais d’autres malades auront des manifestations digestives, ou neurologiques: il y a par exemple la perte de goût et d’odorat, mais aussi des manifestations du virus dans le système nerveux central.
On parle beaucoup de tests sérologiques. En quoi sont-ils différents des tests qui sont pratiqués sur les malades?
Les tests que nous avons évoqués jusque-là dans notre échange portent la présence du matériel génétique du virus, autrement dit un signe que la maladie est en cours. Les tests sérologiques ne cherchent pas le virus, mais les anticorps que l’organisme fabrique pour se débarrasser du virus, et qui n’apparaissent qu’un peu plus tard. La grande question que pose ces tests, c’est leur spécificité. Car si le test réagit aux anticorps qui ciblent un autre virus proche, un autre coronavirus par exemple, il induira des faux positifs. Or dans ce cas (la détection d’anticorps), un résultat positif signifie que l’on a été exposé à la maladie et que l’on peut espérer avoir gagné une immunité. Se croire immunisé alors qu’on ne l’est pas présente un risque puisqu’on fera moins attention à respecter les gestes barrières.
Cette immunité est-elle avérée?
On ne le sait pas, c’est une des questions essentielles que nous nous posons. Ces anticorps sont-ils fonctionnels, capables de neutraliser le virus en cas de nouvelle exposition à celui-ci? Peut-on faire un lien entre une capacité de protection immunitaire et la quantité d’anticorps retrouvés? Combien de temps dure cette immunité, si elle existe? Il est encore beaucoup trop tôt pour le dire. C’est pour cela que l’on ne peut pas appuyer une politique de déconfinement sur l’utilisation massive de ces tests sérologiques, et notamment des tests rapides, en cours de mise au point d’autant qu’on sait que pour l’instant la fraction de la population ayant développé ces anticorps est faible.
Les tests sérologiques « rapides » sont-ils aussi fiables que ceux qui sont pratiqués en laboratoire?
Les tests avec la méthode ELISA, en laboratoire, donnent à la fois le type d’anticorps présents dans le sang, et leur nombre. Les tests rapides se contentent de réagir à la présence d’un anticorps donné, au delà d’un certain seuil de sensibilité. Ils ont l’avantage de donner un résultat très rapidement et sans logistique lourde, puisqu’ils se font au bout du doigt mais sont souvent moins sensibles. Mais compte-tenu des doutes sur la question de l’immunité, je ne vois pas comment ces tests pourraient être utiles pour savoir qui déconfiner ou pas. On prendrait le risque, en procédant ainsi, de provoquer une seconde vague épidémique.
Même menés de manière très massive, ces tests ont pour vous un intérêt limité?
Oui. Si on conduisait un dépistage sérologique massif sur l’ensemble de la population française, on déploierait des moyens considérables pour ne détecter que 5% à 10% de personnes qui possèdent des anticorps, puisque c’est aujourd’hui l’estimation qu’on peut avoir sur la part de notre population qui a été en contact avec le virus. Mais comme on ne pourra pas rester éternellement confiné, il faut mettre en place la stratégie la plus efficace possible pour éviter un redémarrage de l’épidémie.
Une stratégie qui repose sur quoi?
Plus de 90% de la population n’a pas encore été exposée à cette épidémie. Il faut donc traquer le virus lui-même par les tests PCR pour repérer les gens potentiellement contaminants et leur entourage. Et ensuite les isoler. Soit à l’hôpital quand leur état le nécessite, soit chez eux quand ils vivent seuls, soit par exemple dans un hôtel pour éviter un retour dans un lieu de vie familial. Pour les tests sérologiques, la priorité doit être donnée aux personnels soignants et aux personnes qui côtoient les personnes à risque, par exemple le personnel des Ehpad et des autres maisons de retraite. Les personnes à risque dans un second temps et aussi ceux qui sont amenés à côtoyer beaucoup de public, les forces de l’ordre, les conducteurs de bus, etc.
Ces tests sérologiques permettent-ils d’en savoir plus sur la maladie et son virus?
Oui, cela commence à se faire. Par exemple, pour déterminer le pourcentage d’enfants qui a été réellement en contact avec le virus. Cela serait utile pour répondre à la polémique sur la réouverture des écoles! D’autres études portent sur les adultes jeunes, et notamment sur les femmes enceintes qu’on teste au moment de l’accouchement, pour déterminer combien d’entre elles ont contracté le virus au cours de la grossesse.
Recueilli le 16 avril 2020 par Denis Delbecq
Dans la presse:
• Les clefs du déconfinement (1/3): des tests de dépistage fiables (Heidi.news, abonnés)
• La fiabilité des tests en question (La Croix)
• Le point sur les tests (Quotidien du médecin)
• Trop tôt pour des certificats d’immunité? (MIT Technology Review)
• Cinq questions sur les tests sérologiques (Usine Nouvelle, abonnés)