California State University, Fullerton

Comment se propagent les virus dans l’environnement?

J.-C. Manuguerra – Photo DR

Si le Covid-19 se propage à coup sûr par les postillons, éternuements, la toux et le contact avec des objets contaminés, la question d’une propagation aérienne du virus Sars-CoV-2 est régulièrement évoquée, ainsi que le rôle aggravant —ou contaminant— joué par la pollution atmosphérique. Faut-il craindre d’être contaminé par l’air? La généralisation du masque est-elle nécessaire pour freiner l’épidémie. Les réponses du virologue Jean-Claude Manuguerra (1), responsable de la Cellule d’Intervention Biologique d’Urgence à l’Institut Pasteur.

Image: © California State University, Fullerton

Interview réalisée le 13 avril 2020 pour la préparation de l’Edito Carré et du Virus au Carré, de Mathieu Vidard, sur France Inter le 15 avril 2020.

Le contact avec des objets est un mode important de contamination avec le virus du Covid-19. Que sait-on de la durée de vie des virus déposés sur ce qu’on touche?

On sait que ce virus survit plus longtemps sur des surfaces lisses, comme le verre et le plastique ou du carton plastifié. Sur des matériaux poreux, comme le carton brut, en revanche, le virus a tendance a pénétrer dans la matière et il reste donc moins mobilisable par simple contact. Toute la question est de savoir combien du temps un virus déposé sur un objet reste viable et contaminant pour la personne qui le touche. Car un virus dégradé, par exemple si son enveloppe est endommagée, peut perdre son caractère infectieux. Mais il est très difficile de savoir exactement combien de temps un virus peut survivre et rester infectieux. Il est relativement aisé de détecter la présence de matériel génétique d’un virus. Mais il est beaucoup plus long et difficile de savoir si ce virus est encore dans un état contaminant ou pas. On connait la grippe depuis longtemps mais on discute encore de l’importance relative de ses différents  modes de transmission. Le Sars-CoV-2 est un virus nouveau et très mal connu! On peut penser que son « manuportage » est un mode de contamination important, comme c’est le cas pour les virus respiratoires en général. C’est pour cela qu’il faut faire attention à ce qu’on touche.

Expérience sur la toux © MIT – Bourouiba, Dehandschoewercker & Bush, 2013.

Le virus du Covid-19 est-il exhalé par la simple respiration des personnes qui en sont porteuse?

Quand on respire, on exhale de l’air humide qui peut contenir des particules virales. On constate cette humidité quand on porte un masque et des lunettes, puisqu’il se forme de la buée sur les verres. Mais c’est d’abord une question de contexte. Dans un lieu clos où se trouve une personne porteuse, le virus peut circuler dans l’air et contaminer d’autres personnes. Mais c’est très différent dehors: dès qu’il y a des courants d’air, ceux-ci diluent rapidement les aérosols que l’on rejette en expirant. Et la charge virale de ces aérosols est donc de moins en moins concentrée.

Et dans un lieu clos, mais bien ventilé, comme un avion par exemple?

Les intérieurs d’avions sont de mauvais propagateurs de virus. D’abord parce que l’air y est très sec, ce qui n’est pas bon pour les virus. Ensuite, parce que le renouvellement d’air est très important, et que cet air traverse des filtres très performants, du même ordre de ceux dont nous disposons dans nos laboratoires de recherche. Et enfin parce que ce renouvellement d’air se fait par tranches: les différentes parties de la carlingue sont ventilées indépendamment. Quant à l’air qui pénètre dans l’avion, il est très pur et ne contient pratiquement aucune bactérie ou virus. L’air d’un avion est donc très propre, sauf peut-être pendant les services des personnels navigants. Quand on prend l’avion, le risque de contamination est plus important dans les files d’attente et les salles d’embarquement que dans l’avion lui-même. Mais ce risque est fortement réduit si les personnes malades portent un masque.

Pupitre passager dans une cabine d’avion.
Il permet notamment de contrôler la ventilation © Daniel Schwen

Le masque est donc efficace?

Oui bien sûr car il réduit la quantité de virus rejetée par une personne malade autour d’elle. Une étude récente, réalisée avec plusieurs virus (rhume, grippe, coronavirus) le montre de manière très nette: un masque chirurgical réduit la quantité de virus rejetée dans l’environnement par un malade. Et c’est important, notamment pour le Covid-19 qui suscite des charges virales considérables dans les voies respiratoires, bien plus que pour le SRAS ou le MERS-CoV [deux coronavirus qui ont touché l’Asie en 2003 pour le premier, et le Moyen-Orient en 2012, pour le second, NDLR].

Nous évoquions la propagation aérienne du virus. Quel risque courons-nous en extérieur, si on respecte une distance d’au moins un mètre avec les autres personnes?

Dans la rue, dans un jardin ou une forêt, ce risque est très faible si l’on n’est pas trop proche puisque le virus éventuellement présent est très vite dilué. Et si on ne sait pas quelle quantité de virus déclenche la maladie, il ne suffit pas d’une particule virale pour tomber malade. En milieu confiné, en revanche, la distance d’un mètre n’est pas suffisante. A Pasteur, lors de notre réunion hebdomadaire pendant le confinement, nous portons tous le masque. Si nous pouvions êtres espacés de trois mètres les un des autres, nous n’en porterions pas. Les masques sont d’autant plus importants que nous avons affaire à un virus qui peut être propagé avant l’apparition des symptômes ou même par des personnes asymptomatiques.

Pourtant, on sait que des virus peuvent se propager dans l’air sur de grandes distances?

Vous faites allusion sans doute à un épisode de fièvre aphteuse survenu en Bretagne dans des élevages de porcs et qui s’est propagé à des dizaines de kilomètres de là, dans les îles anglo-normandes (2). Mais cela n’a aucune mesure avec une épidémie humaine. Car les porcs ont une capacité considérable de multiplication virale unique, notamment dans leur groin; ce sont de vraies usines à virus. Et quand un élevage est touché, c’est un véritable nuage de virus qui est émis. Nous, humains, n’en produisons pas tant, loin de là. Ce n’est pas parce que peut-être 6% de la population de l’Ile-de-France a été touchée par l’épidémie qu’elle a pour autant fabriqué un nuage propageant le Covid-19. Si une propagation aérienne est une hypothèse, c’est un mode de contamination qui est anecdotique. Le Sars-CoV-2 se propage d’abord dans les gouttelettes (postillons, éternuements, toux) et par contact avec des objets contaminés par une personne malade.

Des études semblent mettre en évidence un lien entre le niveau de pollution atmosphérique d’une région et l’ampleur de l’épidémie de Covid-19. Quels mécanismes peuvent l’expliquer?

Il faut faire attention avec ce type de corrélations, car il y a des caractères confondants. Par exemple, on sait que l’air est plus pollué en moyenne dans les régions les plus densément peuplées, et donc dans les régions où l’on a proportionnellement plus de contacts avec les autres.

Mais on sait que la pollution joue un rôle important sur la santé des personnes. On le mesure par exemple avec les épidémies de bronchiolite des nourrissons: la pollution provoque une inflammation des voies respiratoires qui favorise la multiplication virale et affaiblit le système immunitaire. Les virus ne rentrent pas dans notre organisme via la pollution, ils diminuent notre capacité de réaction aux agressions.

Les virus ne profitent donc pas de la présence de particules fines pour pénétrer profondément dans notre système respiratoire?

C’est comme pour une propagation strictement aérienne: on peut imaginer que quelques virus s’accrochent à des particules. Mais cela reste une hypothèse très théorique. Une telle contamination serait anecdotique et ne permettrait pas à une dose suffisante de virus pour déborder notre système immunitaire et provoquer une infection, comme cela se produit avec les modes avérés de propagation de ce virus.

De nombreuses hypothèses sont sur la table, pour évoquer le futur déconfinement. Faut-il rendre obligatoire le port du masque lors de nos contacts sociaux, dans les commerces, les transports en communs, etc?

D’une manière générale, je suis favorable aux mesures qui rencontrent l’adhésion, et non pas à l’obligation. Mais c’est vrai que la pédagogie ne marche pas toujours. C’est pour cela qu’il a fallu rendre obligatoire certains vaccins qui n’étaient pas assez pratiqués pour protéger l’ensemble de la population. Le masque sera probablement un outil important, le moment venu, pour empêcher la survenue de nouvelles vagues de cette épidémie. Notamment parce que l’on a affaire à un virus atypique. D’une part, comme je l’ai dit, parce qu’il existe des infectés asymptomatiques. Et ensuite parce que, même après guérison et parfois 15 jours après, des personnes émettent encore du virus —même si on ne sait pas si c’est dans un état viable et contaminant. Dans le cas du virus Ebola, il y avait eu quelques cas de contamination par voie sexuelle —du virus restant présent dans le liquide séminal— mais c’était vraiment anecdotique. Pour l’épidémie Covid-19, il est possible que cette positivité durable soit de nature à provoquer de nouvelles contaminations. Le masque n’empêche pas une personne non malade d’être contaminée par le virus; il réduit ce que rejettent les gens malades et le risque qu’ils contaminent d’autres personnes. Si tout le monde portait un masque, cela réduirait forcément la durée de l’épidémie.

Même avec des masques faits maison?

Les masques de chirurgiens ainsi que les masques FFP2 et FFP3 répondent à des normes de qualité et d’efficacité très strictes. Ce n’est évidemment pas le cas des masques de tissu ou faits avec d’autres matériaux (sac d’aspirateur, etc.). Même un foulard porté de manière à bien recouvrir le nez et la bouche réduit l’émission des gouttelettes dans l’environnement. De même, il évite que l’on se touche le visage après avoir touché un objet potentiellement contaminé. Mais dès qu’un masque, quel qu’il soit, devient humide, il faut le remplacer, car il ne joue plus correctement son rôle de barrière. 

Propos recueillis le 13 avril 2020 par Denis Delbecq

(1) Co-auteur du passionnant Les Virus émergents, dans la collection Que sais-je? (Presses universitaires de France).

(2) Réécouter l’Edito Carré de Mathieu Vidard, consacré le 14 février 2018 à ce sujet

Publications scientifiques

Etude dans Nature Medicine (3 avril 2020), sur l’efficacité du masque chirurgical pour prévenir l’émission d’aérosols et gouttelettes chargées en virus (rhume, grippe, coronavirus).

Etude intéressante qui compare l’efficacité des masques artisanaux à celle du masque chirurgical dans Disaster Medicine and Public Health Preparedness (2013)

Un avis du Haut Comité de Santé Publique qui évoque la transmission aérienne du virus. Extrait: (…) Il n’existe pas d’études prouvant une transmission interhumaine du virus par des aérosols sur de longues distances. Néanmoins, s’il existe, ce mode de transmission n’est pas le mode de transmission majoritaire (…)

Communication de la Société Italienne de Médecine Environnementale
Il suggère que les particules fines pourraient être un vecteur pour la pénétration du virus dans les poumons.

Dans la presse

A propos de l’étude américaine qui fait un lien entre taux de particules fines et létalité du Covid-19 (Journal de l’Environnement)

Le Covid-19 transmis par les particules fines ? L’étude italienne « n’est pas une démonstration scientifique » (Marianne)

La pollution de l’air joue-t-elle un rôle dans la mortalité? (Sciences & Avenir)

La pollution aggrave-t-elle la maladie chez les patients atteints de Covid-19? (FranceInfo)

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