TrésoRouge, une enquête nécessaire sur le thon rouge

Dans une cage de thons rouges © Philippe Henry / Océan 71
Dans une cage de thons rouges © Philippe Henry / Océan 71

Avis aux thons rouges, dimanche c’est l’ouverture de la pêche. Pendant un mois (ou moins, suivant la durée nécessaire à remplir les quotas), les thoniers-senneurs vont donc parcourir la Méditerranée, en quête des zones de reproduction du célèbre Tunnus thynus, plus connu sous le vocable de thon rouge de l’Atlantique.

Dans une cage de thons rouges © Philippe Henry / Océan 71
Dans une cage de thons rouges © Philippe Henry / Océan 71

L’ouverture de cette saison des thonidés (voir encadré) était évidemment le meilleur moment pour la parution de «TrésoRouge», un formidable livre-enquête réalisé par mon confrère Julien Pfyffer, fondateur de l’agence de presse Océan 71. Une plongée dans cet univers saignant de la capture de la Rolls des poissons, avec un souci d’objectivité rare dans un domaine où pêcheurs et écologistes pratiquent, chacun à leur manière, l’exagération et la désinformation.

J’ai enquêté plusieurs semaines sur le thon rouge, cet hiver, pour le compte du mensuel La Recherche. Une enquête bien moins fouillée que celle de mon confrère —qui y a consacré plusieurs années— qui concluait à l’impossibilité de savoir si oui ou non le thon rouge est menacé. Julien Pfyffer ne dit pas autre chose, en nourrissant son enquête de nombreux témoignages et du récit de la campagne de pêche 2010, vécu à bord d’un voilier patrouillant en Méditerranée. Mais il dévoile surtout les dessous pas toujours ragoûtants d’une industrie lucrative.

La saison 2011 sous surveillance

La pêche au thon rouge de l’Atlantique est autorisée cette année du 15 mai au 15 juin, aux navires agréés par la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA). Mais elle s’arrêtera, pour chaque navire, sitôt le quota rempli. Ainsi, le Jean-Marie Christian VI, est autorisé à pêcher 100 tonnes, une quantité qui peut tout à fait être réalisée en un seul coup de senne.

Alors que les dix senneurs sous pavillon libyens devraient rester à quai dans le port de Sète, parce que l’ICCAT n’a pas agréé le plan de pêche 2011 du pays, certains s’inquiètent des risques de pillage des eaux terrotoriales que pourrait favoriser la situation politico-militaire libyennes. Neuf thoniers-senneurs sous pavillon tricolore se partageront un quota de 632 tonnes, tandis que l’essentiel de cette flotte. Les senneurs capturent les thons vivants, qui sont ensuite engraissés dans des élevages en mer, avant d’être expédiés, pour l’essentiel au Japon. La France a également réparti un quota de 166 tonnes pour la pêche classique (canneurs, ligneurs, palangriers), destinée à alimenter le marché.
D.Dq

«TrésoRouge» se lirait presque comme un roman, construit autour de plusieurs personnages. L’espagnol Roberto Mielgo Bregazzi, qui a dirigé pendant sept ans les opérations de l’une des plus importantes fermes d’engraissement de thons en Espagne, avant de se consacrer à la protection du grand prédateur. Généreux Avallone, armateur et pêcheur, une légende vivante en Méditerranée. Ou encore Ebrahim Thior, un marin syndiqué qui a choisi de parler, après avoir passé 12 années à traquer le thon rouge sur des navires français. Il évoque les salaires faramineux de la belle époque, avant que l’ICCAT ne se décide à mettre un peu d’ordre, mais aussi les troubles pratiques des armateurs, qui gonflent leur frais, pour réduire la part versée à leurs marins. Il faut le savoir… Il y a beaucoup d’argent dans le business du thon rouge: Julien Pfyffer raconte ainsi comment le 4 juin 2010, le Jean-Marie Christian VI de Généreux Avallone a capturé pas moins de 250 tonnes de thon d’un coup de senne. Valeur: 1,5 millions d’euros. De quoi, pour les marins, gagner leur salaire annuel en seulement 30 minutes! Et argument pour ceux qui prétendent que l’espèce ne s’est jamais aussi bien portée.

Dans une cage de thons rouges © Philippe Henry / Océan 71
Dans une cage de thons rouges © Philippe Henry / Océan 71

Dans TrésoRouge, on découvre aussi l’indifférence des autorités des pays riverains pendant des années, tout comme celle de l’Union Européenne qui versait des subventions sans même demander le type de pêche pratiqué par le navire financé. Les documents de traçabilité qui se trafiquent comme un rien pour masquer la pêche clandestine. La capacité de pêche qui, loin de décroitre, profite du progrès technologique pour s’affirmer en dépit d’une réduction des flottes.

Les avions qui, décollant de discrets aérodromes, ont continué à survoler la Grande bleue pour guider les senneurs, alors même que le survol aérien des bancs a été interdite. Les poissons en surplus qui rejoignent discrètement les fermes, «blanchis» par les «éleveurs» qui proclament des taux d’engraissement fantaisistes pour justifier du gouffre entre le tonnage officiel acheté, et ce qui est revendu. Et bien évidemment le rôle trouble d’un Japon avide de sushis, et de ses majors du thon qui manipulent les cours… Tandis que les caméras du monde entier se braquent sur le marché aux poissons de Tsukiji, à Tokyo, tout se joue en coulisses, à coup de télex et de fax qui gèrent les entrées et sorties de gigantesques congélateurs capables de stocker plusieurs années de consommation japonaise de thon rouge.

La pêche est décidément un univers trouble, ou finalement seuls peut-être les artisans sont les bergers, face aux loups de la pêche industrielle. Des artisans, dont la voix manque un pau, dans le formidable concert de témoignages de mon confrère. Mais après tout, avec les tonnages qu’on daigne leur accorder, eux au moins ne risquent pas de vider la Grande Bleue.

(1) Editions Dialogues, 202 pages, 19,90 euros.
(2) La Recherche n°449, février 2011.

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