C’est ce qui s’appelle courir tous les lièvres à la fois. Alors que le Guardian a révélé la semaine dernière qu’Exxon Mobil continue à financer des lobbies du négationnisme climatique (1), le géant pétrolier américain va investir un gros paquet de billets verts dans une startup qui entend nous délivrer de notre intoxication au pétrole avec des algues.
Le chèque se monterait à 300 millions de dollars (extensible au double) sur 5 ans, ce qui est beaucoup pour une startup. Mais relativement peu pour le fondateur de Synthetic Genomics (SGI), qui aime les grosses dépenses. Car derrière cette quête du Graal marin se trouve l’inoxydable et sulfureux Craig Venter. Une recrue de choix pour une entreprise qui passe son temps à retirer le soufre de ses produits.
Venter, les environnementalistes le connaissent peu. C’est un serial-breveteur incontesté en biologie moléculaire. Il avait découvert une flopée de gènes humains avant de quitter précipitamment la recherche publique américaine devant le tollé provoqué par le brevetage de ces molécules du vivant. Il avait ensuite fondé un institut de génomique privé, le TIGR, avant de créer Celera Genomics pour tenter de battre de vitesse le Human Genome Project, un gigantesque effort public international de décryptage de notre code génétique. Comme il est talentueux, Venter avait annoncé en 2000 avoir séquencé le génome humain, en même temps que le HGP. Et comme il est mégalo, c’est son propre génome qui avait été étudié.
Depuis 2002, Venter s’était imaginé en créateur de vie artificielle. Il avait d’ailleurs prétendu il y a deux ans avoir créé le premier chromosome artificiel. Mais surtout, après avoir séquencé des génomes de micro-organismes aquatiques en série, Venter s’est lancé tête baissée dans la chasse aux algo-carburants. SGI cherche à mettre au point des algues génétiquement modifiées pour optimiser la production de molécules apparentées aux hydrocarbures. SGI teste aussi plusieurs modes de production, du bassin ouvert au réacteur photochimique. La firme espère obtenir une productivité de 20000 litres de carburant à l’hectare par an! Pour le moment, les nombreuses startup du domaine ont échoué à produire un carburant abondant et capable de rivaliser à moyen terme avec le pétrole. Venter, lui, a au moins amorcé une pompe, à fric s’entend. Et Exxon, en se rapprochant du sulfureux homme d’affaires/scientifique (2), s’assure une publicité pour effacer cette image négationniste qui reste accrochée à ses basques.
(1) La firme a réaffirmé qu’elle défend une position « d’un réchauffement d’origine anthropique » au Guardian, mais de manière fort peu convaincante.
(2) On ne biffe pas la mention inutile
« précipitamment » plutôt, non ?
Toujours aussi attentif, Romu! Merci.
A propos des financements « négationnistes » d’Exxon :
« Company records show that ExxonMobil handed over hundreds of thousands of pounds to such lobby groups in 2008. These include the National Center for Policy Analysis (NCPA) in Dallas, Texas, which received $75,000 (£45,500), and the Heritage Foundation in Washington DC, which received $50,000. »
Ces pourboires représentent quoi ? le budget déplacement et com de Hansen d’une année…
Le groupe canadien ETC a publié un rapport sur les agrocarburants et les nanotechnologies dont la biologie synthétique de Venter est une application.
Voici une traduction en français de ce rapport sur le site des Amis de la Terre : http://www.amisdelaterre.org/Biocarburants-et-nanotechnologies.html
Exxon n’est pas cité mais on en trouve d’autres :
• BP s’associe avec Mendel Biotechnologies pour développer des herbacées vivaces modifiées génétiquement afin d’en tirer des carburants.
• ConocoPhillips et Archer Daniels Midland ont conclu une alliance pour la production d’agrocarburants cellulosiques.
• BP a une joint venture avec DuPont pour développer de l’agro-butanol.
• Shell a investi des capitaux dans le producteur d’éthanol cellulosique Iogen.
• General Motors et Marathon Oil ont investi des capitaux dans Mascoma, une compagnie qui manipule les micro-organismes afin de décomposer la biomasse et digérer les sucres.
MH
« (1) La firme a réaffirmé qu’elle défend une position « d’un réchauffement d’origine anthropique» au Guardian, mais de manière fort peu convaincante. »
Evidemment, si vous n’avez aucune envie d’être convaincu. On a toujours besoin de se garder un ennemi identifier pour continuer à se masturber le militantisme…
L’effet Exxon tient surtout du marronnier, de la piqûre de rappel à bon compte pour des médias un peu aux abois face à l’évolution récente du climat pas tout à fait en phase avec leurs prophéties…
La récurrence du « sceptiques=Exxon=vilains lobbies anti-science » aurait même tendance à caractériser la pauvreté de leur argumentaire.
Pourquoi donc toujours ne parler que d’Exxon ? Tiens, prenons le cas français, et montrons une magnifique illustration du principe paille et poutre:
L’essentiel de la recherche en France sur le climat est dévolu au LSCE (laboratoire des sciences du climat et l’environnement), une unité mixte de recherche entre le CNRS, du CEA et de l’Université de Versailles Saint-Quentin, et qui fait partie de l’Institut Pierre Simon Laplace (IPSL). Là où l’on trouve de très bons clients des médias, vous savez ceux qu’on aime bien entendre sussurer les risques de belles catastrophes…
Le CEA est par ailleurs actionnaire majoritaire (>80%) d’AREVA, N°1 mondial du nucléaire civil, en étant aussi l’une de ses filiales (c’est une structure un peu compliquée, passons…) Et Areva a construit depuis quelques années l’essentiel de sa communication sur le thème « Nucléaire = pas de CO2 », après avoir un peu épuisé celui de « l’indépendance énergétique de la France », devenu passablement ridicule…
Non seulement l’Etat français chapeaute tout ça (et il n’y a qu’à voir nos premiers ministres en voyage, de véritables VRP d’Areva) mais il tient aussi des agences comme l’ADEME et surtout l’essentiel des médias: des titres de la presse comme Libération, France Soir ou même le Monde sont sous perfusion financière, et l’on voit difficilement comment ils pourraient ne pas filer droit vis-à-vis d’un état qui éponge souvent plus de la moitié de leurs pertes…
…Sans même parler des puissants annonceurs que sont EDF ou Areva, en particulier dans les magazines « scientifiques » comme La Recherche, Science&Avenir, Science&Vie, etc.
Mais ce mélange des genres ne dérange pas beaucoup les « chevaliers blancs » de la cause anthroporéchauffiste, bien moins que l’odieux complot Exxonien…Les horribles lobbies manipulateurs de l’opinion sont forcément tous dans le pétrole ou le charbon. Tandis que la recherche est tellement pure, le nucléaire tellement gentil, l’Etat si probe, les agences si intègres et les médias si authentiques qu’on ne saurait les soupçonner de telles pratiques…