Rumeur entretenue jusqu’au cœur de la Maison-Blanche, l’hypothèse qui attribue l’origine de l’épidémie de Covid-19 à un virus échappé accidentellement d’un laboratoire haute sécurité de Wuhan tourne en boucle depuis plusieurs mois. Cette hypothèse est elle plausible? Comment travaillent les chercheurs sur les virus? Quelles précautions sont prises? Quelle coopération entre les scientifiques et les pays? Nous avons interrogé Bruno Canard, qui est directeur de recherches CNRS à Marseille, et qui travaille sur les coronavirus et les virus émergents depuis près de vingt ans.
Propos recueillis le 8 mai pour la préparation de l’Edito Carré et du Virus au Carré, de Mathieu Vidard du 11 mai 2020, sur France Inter.
Image de Une: vue au microscope électronique du virus Sars-CoV-2 en train d’infecter des cellules © NIAID
Pour comprendre les virus, les décoder, mettre au point des vaccins et des médicaments, il faut les manipuler. Comment fonctionnent les laboratoires de recherche sur les virus?
Tout dépend de ce que l’on étudie. Par exemple, dans notre laboratoire de Marseille, nous ne travaillons pas directement sur les virus eux-même, mais sur des morceaux de virus. Ce sont des fragments d’ADN associées à des protéines virales. On essaie par exemple de comprendre comment les virus se répliquent, et comment on pourrait bloquer cette réplication. C’est un travail fondamental. Les brins d’ADN que nous étudions sont parfaitement inoffensifs, on pourrait boire le contenu de nos éprouvettes! Nous travaillons donc avec un simple masque de protection qui suffit puisqu’il n’y a rien de dangereux.
En revanche, pour étudier les virus entiers, on prend des précautions beaucoup plus strictes?
Bien sûr! Les laboratoires qui étudient les virus passent par une procédure d’agrément, qui répond à un cahier des charges très strict. Par exemple, pour les virus les plus dangereux, qui sont très contagieux et pour lesquels il n’existe ni traitement ni vaccin, les laboratoires doivent être de niveau P4, le plus élevé, avec des contraintes de sécurité extraordinaires. C’est par exemple le cas pour des virus comme ebola, marburg et nipah.
Quelles contraintes?
Ces laboratoires sont maintenus en dépression, à une pression atmosphérique plus faible qu’à l’extérieur. Autrement dit, l’air de ces pièces ne peut s’échapper vers l’extérieur sans passer par des filtres absolus. Les gens travaillent en scaphandre pressurisé, comme des cosmonautes, et portent plusieurs paires de gants. Ils doivent passer par un sas de décontamination, dans lequel ils sont aspergés de produits chimiques pour tuer virus et bactéries. Il effectuent les même opérations pour sortir. Les déchets sont inactivés, passés en autoclave. Le seul moyen qu’un virus s’échappe d’un laboratoire P4, c’est un acte de malveillance. Ou si quelqu’un se contamine —et perce donc son scaphandre— et ne dit rien, ce qui serait absurde puisque les virus en P4 sont très dangereux. Imaginez que quelqu’un se contamine avec Ebola, pourquoi se tairait-il?
Et les laboratoires P3?
C’est là qu’on travaille sur les virus dangereux, qui n’ont pas de vaccin ou de traitement, mais qui sont peu contagieux, comme le HIV du sida qui ne se transmet pas par voie respiratoire. De ces laboratoires, il ne sort aucun déchet biologique non inactivé, il faut là aussi le faire exprès pour faire sortir un virus!
Depuis plusieurs semaines, une hypothèse revient en boucle, selon laquelle l’épidémie de Covid-19 pourrait avoir été déclenchée par un virus sorti accidentellement de l’un des deux laboratoires (P3 et P4) de Wuhan. Cette hypothèse est-elle plausible?
Il est évidemment toujours possible qu’un problème survienne dans un laboratoire de haute sécurité. Pour un P4, cela me semble très improbable car, comme je le disais, il faudrait soit un acte de malveillance très organisé, ou la contamination accidentelle d’une personne qui aurait gardé le secret sur sa propre contamination. Quand on descend le niveau de sécurité, la dangerosité ne vient pas de ce que l’on manipule, mais de ce que l’on y apporte. Si le Sars-CoV-2 s’était échappé d’un laboratoire, ce serait d’un labo un faible niveau de sécurité et donc avant qu’on ait découvert sa dangerosité.
Que voulez-vous dire?
Quand une nouvelle épidémie, liée à un virus inconnu, démarre, il arrive à un moment donné un patient à l’hôpital qui est pris en charge comme les autres, puisque l’épidémie n’est pas connue. Un personnel hospitalier insuffisamment protégé peut donc se contaminer involontairement, avant que l’on réalise que ce malade doit être mis à l’isolement. C’est ce qui s’était passé pour le SRAS dans plusieurs hôpitaux en 2003, ou de nombreux personnels ont été contaminés. Ce n’est qu’ensuite que le virus arrive dans un laboratoire pour être étudié.
Peut-on prouver que le virus d’une épidémie s’est échappé d’un laboratoire?
La seule preuve qui pourrait être apportée serait qu’on y découvre un virus dont la séquence génétique est identique à celle identifiée sur le premier patient retrouvé. Si on retrouve deux virus identiques, c’est qu’ils proviennent de la même source. C’est d’ailleurs comme cela qu’on a compris comment le Pr Gallo, aux Etats-Unis, n’a pas découvert le virus du sida, mais a travaillé avec le virus isolé par l’équipe de Françoise Barré-Sinoussi et du Pr Montagner. Ces derniers le lui avaient envoyé. Les séquences publiées par les deux équipes étaient parfaitement identiques, ce qui n’est pas possible quand on étudie deux souches différentes, qui présentent toujours de petites différences. Donc le Pr Gallo avait triché.
Où en est l’enquête sur l’origine du virus du Covid-19?
Le pangolin semble hors de cause, il a très probablement été contaminé en parallèle aux humains par des chauve-souris. On commence à s’approcher de la source. Les chinois ont retrouvé, dans des déjections de chauve-souris prélevées en 2009 dans le sud de la Chine, un virus dont la séquence est très proche de celle du Sars-Cov-2. Peut-être en retrouvera-t-on un dans un lieu proche du marché de Wuhan.
Cherche-t-on un virus à 100% identique, qui serait une preuve absolue?
Pas à 100% mais très très proche. Car le virus était probablement stabilisé chez la chauve-souris depuis longtemps, peut-être des centaines ou des milliers d’années, avant de passer à l’humain. Et il évoluait peu, faute de pression sélective. Le changement d’espèce, en revanche, crée une pression sélective qui conduit à des évolutions sans doute minimes. Donc le virus humain n’est pas identique mais très proche de celui de l’animal-hôte, la chauve-souris très vraisemblablement.
Le soupçon qui pèse sur les laboratoires de Wuhan, entretenu notamment par l’entourage du président américain, pourrait-il être levé?
Oui, si on retrouve la source dans la nature. En revanche, il ne faut pas compter sur la Chine pour ouvrir ses laboratoires et ses congélateurs à d’autres pays, et ainsi révéler tout ce sur quoi ils travaillent. Aucun pays ne le ferait!
Pour quelles raisons?
Parce que la recherche sur les virus représente des enjeux considérables. Commerciaux d’abord, puisque des profits considérables peuvent être faits avec par exemple des kits de dépistage. Il y a aussi des enjeux politiques et militaires: un virus peut être une arme, si vous êtes le seul à posséder un vaccin. Chaque pays développe donc des outils pour se protéger.
Quel intérêt aurait-on à garder la séquence d’un génome pour soi?
Tant que vous êtes le seul à la connaître, vous avez du temps pour mettre au point des kits de diagnostics, pour commencer à travailler sur un vaccin et sur des traitements. C’est un avantage commercial considérable!
Comment peut-on éviter cette appropriation?
Elle est plus difficile aujourd’hui qu’à l’époque du Sras, en 2003, car le séquençage d’un génome est beaucoup plus rapide. De plus quand une maladie s’étend sur le globe, de nombreux pays peuvent accéder à des échantillons sur leur propre sol. L’Union Européenne travaille beaucoup au partage des savoirs avec son initiative EvaG, l’Archive européenne de virus. Elle fédère de nombreux laboratoires virologiques européens, et organise un système d’échange de tous les virus. Et ce partage ne limite pas à l’Europe. Des échantillons du Sars-Cov-2 et de tests de dépistage ont été envoyé un peu partout dans le monde, et gratuitement: le laboratoire destinataire ne paie que les frais d’acheminement. Même des laboratoires américains se sont adressé à l’EvaG pour se procurer le virus. Cette initiative européenne est au service du bien commun, elle défend une vision désintéressée de la science.
Propos recueillis le 8 mai 2020 par Denis Delbecq
Pour en savoir plus:
• Suivre Bruno Canard sur Twitter.
• Le virus est-il sorti d’un laboratoire? (Le Monde, 17 avril 2020)
• Le nouveau coronavirus échappé d’un laboratoire, la folle rumeur sur le web (Sciences & Avenir, 18 février 2020)
• Pékin réplique aux Etats-Unis (Le Parisien, 6 mai 2020)
• Le réseau de renseignement des «Five Eyes» (*) contredit la thèse d’une épidémie échappée d’un laboratoire (en anglais, The Guardian, 4 mai 2020)
(*) Les Five Eyes sont une coopération des services de renseignement des Etats-Unis, Grande-Bretagne, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande.
• Visite dans le laboratoire P4 de Lyon (Le Parisien, 29 juillet 2018)
• Que sait-on du laboratoire P4 de Wuhan pointé du doigt par les Etats-Unis? (Sciences et Avenir/AFP, 6 mai 2020)
• Le laboratoire P4 de Wuhan, une histoire française (Cellule investigation de Radio France & Philippe Reltien, 17 avril 2020)
• La France et le P4 de Wuhan, un projet bilatéral à collaboration limitée (Sciences et Avenir/AFP, 9 mai 2020)
• L’archive européenne des virus (EVAg)
Et le laboratoire P4 de Fort Detrick aux Etats Unis ?
Il a refait sa filtration d’eau usée en août 2019, et qq cas de covid se seraient révélés avant que les militaires Américains, viennent à Wuhan lors du ‘World Military Games’.. (hypothèse surtout promue par les chinois)
Il s’agit tout autant d’une rumeur que celle propagée par la Maison-Blanche. La Chine et les Etats-Unis sont engagés dans un conflit politique sur ce sujet, qui conduit à raconter n’importe quoi pour faire porter le chapeau à l’autre (cf. La conférence de presse de D. Trump le 11 mai)