Fin 2010, l’Agence fédérale allemande de l’environnement (UBA) avait publié un long rapport sur les subventions publiques «nocives pour l’environnement», qui sont versés aux consommateurs et aux entreprises d’outre-Rhin. Ne pratiquant pas la langue de Goethe, j’ai donc attendu la parution, hier, d’une version en anglais, pour m’y pencher. C’est un peu ardu, mais plein d’enseignements. De quoi éclairer les débats passionnés qui rythment la vie sur Effets de Terre.
La plupart des subventions accordées au producteurs et utilisateurs d’énergie allemands ne sont pas versées directement. L’essentiel passe par une multitude d’exemptions de taxes (certains appellent ça des niches fiscales, suivez mon regard), qui profitent aux consommateurs et aux industriels. Beaucoup ont été instaurées pour maintenir la compétitivité des entreprises allemandes, notamment dans les secteurs à consommation d’énergie intensive. Bref, ces taxes créent de la richesse, mais elles pèsent lourd sur l’environnement.
Taxée, l’énergie? Pas pour tout le monde. Dans le secteur manufacturier, l’agriculture et la foresterie, les entreprises ne paie que 60% des taxes standard qui s’appliquent à l’électricité, au chauffage au gaz (naturel ou distillat de pétrole) et 73% du taux applicable au fuel de chauffage. Avantages qui profitent à 120 000 entreprises allemandes, et dont le montant s’élève à 2,16 milliards d’euros par an (1). D’autres exemptions s’appliquent à l’éco-taxe, qui ont totalisé près de 2 milliards d’euros en 2006, auxquels il convient d’ajouter 320 millions au titre d’allègements consentis aux industries les plus consommatrices d’énergie. L’UBA recommande de supprimer ces exemptions, pour inciter les entreprises à investir dans l’efficacité énergétique.
Charbon et lignite, en finir avec l’infâme. L’Allemagne est l’un des rares pays européens qui continue à extraire du charbon de son sous-sol. Une exploitation très déficitaire, qui est maintenue à coup d’aides directes versées par l’Etat fédéral et le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie: 2,28 milliards d’euros en 2006, soit 64500 euros par salarié de l’industrie charbonnière. Il est prévu que ces subventions doivent avoir disparu à la fin de 2018 —si une réévaluation l’an prochain de l’accord entre l’Etat et les industriels ne les prolonge pas—. Il est probable que c’est la puissance publique qui devra financer ce que le rapport qualifie de «fardeau éternel»: traitement des effluents, renforcement des sols, pompage des galeries, lutte contre les émanations de gaz, etc. Des opérations à long terme, dont le coût n’est pas chiffrable. Les utilisateurs du charbon de chauffage sont eux aussi subventionnés par des exemptions fiscales de 157 millions par an. Le lignite—un combustible médiocre utilisé pour la production électrique— bénéficie de son côté d’une aide annuelle de 196 millions d’euros.
Les producteurs d’énergie favorisés. L’Allemagne dispose d’un «privilège du fabricant» qui détaxe les achats et la production de combustible des entreprises qui produisent de l’énergie, notamment les raffineries et les centrales à charbon ou gaz. Et hop! 400 millions d’euros annuels. Sans oublier les 1,6 milliards accordés aux entreprises qui achètent des combustibles fossiles pour des applications non énergétiques (production de plastique, peinture, engrais, etc.). Des aides dont il sera difficile de se passer, se dit-on, puisqu’elles visent à armer l’économie allemande en leur offrant une énergie moins chère, et freiner ainsi les délocalisations.
Pourquoi les quotas de CO2 sont ils gratuits? La gratuité des crédits de carbone accordés aux industries les plus émissives concerne aujourd’hui l’ensemble des pays de l’UE. Chaque année, les pays de l’UE disposent d’une «enveloppe» de gaz carbonique —négociée avec la Commission européenne— qui est répartie entre les industriels qui sont de gros émetteurs, notamment pour la production d’énergie, de ciment, verre, acier, etc. Ces quotas de gaz carbonique sont gratuits (tant qu’ils ne sont pas dépassés), ce qui —à 5 euros la tonne, un prix cadeau— revient à 2,5 milliards de subventions supplémentaires pour les énergies fossiles et polluantes.
Le nucléaire, des aides visibles et invisibles. J’en vois qui trépignent depuis le début de ce long papier: quid des subventions versées à l’industrie nucléaire? Sujet très polémique s’il en est, même s’il est avéré que ce mode de production d’électricité rejette peu de pollution et de gaz à effet de serre… quand tout va bien. L’agence fédérale allemande —qui n’a jamais caché son peu d’attrait pour le nucléaire— avance un montant total de 40 milliards de subventions publiques versées à la recherche sur le nucléaire depuis 1956. Par comparaison, les recherches sur les énergies renouvelables n’ont reçu que 6 milliards d’argent public depuis leur démarrage en 1974. S’ajoutent aussi, pour les producteurs d’électricité nucléaire, une subvention indirecte pour les futures opérations de démantèlement des réacteurs en fin de vie: les entreprises provisionnent chaque année des charges à cet effet, qui réduisent leurs bénéfices et font donc baisser leur impôt. L’avantage représenterait 175 millions d’euros par an.
Et ce n’est pas tout: l’UBA a tenté d’évaluer l’avantage économique accordé aux producteurs d’électricité nucléaire, en vertu des accords internationaux qui limitent leur responsabilité financière en cas d’accident. En Allemagne, elle s’élève à 256 millions pour l’industriel concerné, auxquels s’ajoute une garantie collective, financée par le secteur nucléaire dans son ensemble, qui peut engager 2,2 milliards en cas d’accident sur le sol allemand. Partant du principe qu’un accident nucléaire majeur peut provoquer jusqu’à 5000 milliards d’euros de dégâts (estimation faite par des chercheurs de l’Institut Wuppertal pour le climat en 2007), le coût d’assurance évité par les producteurs allemands d’électricité nucléaire serait compris entre 5 et 184 centimes d’euros par kilowatt-heure produit (le prix de détail de l’électricité allemande est voisin de 20 centimes le kWh). Une fourchette bien large qui montre bien la difficulté d’évaluer ce soutien indirect au nucléaire. La Cour des comptes s’y risquera-t-elle en France, elle qui a été saisie par le gouvernement pour évaluer les coûts de la filière nucléaire? On lui souhaite bien du plaisir.
Les transports, rois de la détaxe. L’Agence critique l’avantage fiscal consenti au gazole, par rapport à l’essence. La «subvention» s’élève à 6,15 milliards d’euros par an, auxquels il faut ajouter 4,35 milliards accordés aux contribuables au titre des trajets effectués pour aller travailler. L’absence de taxation du kérosène (2) représenterait un manque à gagner de 6,9 milliards par an pour les finances publiques allemandes. Ajoutez un zeste de détaxation pour le carburant des transports fluviaux (129 millions), l’exemption de TVA pour les vols internationaux (1,56 milliards), la faible taxe perçue au titre d’avantage en nature, pour les véhicules de fonction utilisés à des fins personnelles (500 millions), et la question des transports est réglée: pas loin de 19,6 milliards de cadeau fiscal chaque année.
Les nouveaux logements, empiètent sur les territoires. L’aide fiscale pour l’accession à la propriété a été abandonnée. Mais elle continue de s’appliquer jusque 2013, au moins, pour les achats de logement réalisés avant le 1er janvier 2006. Cette année là, les finances publiques ont consenti un effort de 9,2 milliards. L’UBA prend aussi en compte les incitations à l’épargne-logement, qui représentent 500 millions par an. De même, l’Agence comptabilise les subventions au développement du logement social (588 million), tout en reconnaissant leur utilité, mais en soulignant qu’elles contribuent à plus de 10% des mise en chantier de logement, au prix d’une emprise accrue sur les territoires: l’Allemagne s’est fixé un objectif de réduire la captation de terres pour la construction et les infrastructures de transport à 30 hectares par jour d’ici 2020. Elle devrait être aidée par une démographie déclinante.
Couper le cordon qui relie subventions agricoles et production. L’Agence fédérale de l’environnement réaffirme la nécessité de rediriger les aides agricoles vers des pratiques durables. Une manière de payer les services écologiques rendus par les agriculteurs. L’essentiel des subventions agricoles provient de l’Union européenne, via la Politique agricole commune, avec ses deux volets: le soutien aux marchés (qui a favorisé l’émergence de l’agriculture intensive avec les effets que l’on sait), et le développement rural. Depuis 2005, le lien direct entre le montant des aides de l’UE et la production a été en partie supprimé, et l’Allemagne s’achemine progressivement vers des aides liées à la surface agricole, indépendamment de ce qui en est fait. En 2006, les agriculteurs allemands ont reçu 5,6 milliards au titre de la production, et 1,5 milliards au titre du développement rural. Ces chiffres ne sont pas pris en compte dans l’évaluation globale de 42 milliards: pas facile de déterminer ce qui, dans une aide agricole, est néfaste pour l’environnement ou ne l’est pas. Pour l’UBA, les subventions agricoles gagnent peu à peu en vertu, et finiront bien par cesser de financer la dégradation de l’environnement provoquée par la course à la productivité. A noter que les agriculteurs allemands bénéficient d’un rabais annuel de 180 millions d’euros sur les taxes qui frappent le gazole, de 55 millions d’exemption des taxes d’usage des voies de communication, et de 86 millions comme aide aux distilleries d’alcool que l’Agence considère aussi comme une incitation à l’agriculture intensive.
Après cet inventaire à la Prévert, le rapport propose des pistes pour rediriger les subventions vers des activités moins néfastes pour l’environnement. Et notamment de passer au crible des impacts écologiques toute aide ou subvention qui serait créée, sans oublier ensuite de réévaluer son efficacité. Ces aides devraient aussi être progressivement diminuées, pour éviter d’instaurer une dépendance. L’Agence propose aussi de récompenser les bénéficiaires d’une aide qui ne l’auraient pas dépensé en totalité. Sur la nature des aides, le rapport préconise de renforcer les aides directes, plus transparentes, au détriment des exonérations fiscales… Et si nos huiles se retroussaient les manches?
(1) Tous les montants sont calculés pour l’année 2006, qui a servi de référence à cette étude.
(2) Le carburant avion n’est frappé d’aucune taxe, en Allemagne comme dans le reste du monde. L’UE autorise depuis 2003 une taxation pour les vols intérieurs à l’Union, mais la plupart des Etats ne l’ont pas instaurée.
Très bon article, merci!
Une transparence que l’on aimerait voir pour tous les pays.
Intéressant, mais peu homogène. Est-ce un hasard si les aides accordées aux ENR via les tarifs de rachat sont oubliées?
Un grave accident nucléaire provoquerait jusqu’ 5000 milliards d’Euros de dégâts? C’est vraiment de la bouillie pour les chats. je me régalerais à vois comment cette valeur a été calculée.çà oit encore être un de ces morceaux d’anthologie que produisent à tour de bras les miliçeux antinucléaires. Pour l’insatnt, même Tchernobyl est très loin d’atteindre ce chiffre. TMI, c’est environ 1 milliard de dollars. Fukushima, c’est encore difficile à dire, mais l’ordre de grandeur sera de 50 à 100 milliards de dollars, essentiellement en compensation pour les personnes déplacées! Et pour être homogène avec le reste, encore faudrait-il diviser ces 5000 milliards à la période moyenne séparant deux accidents!
En face des subventions, il faut mettre les taxes. Pour les carburants, je doute que les subvetions dépassent les taxes. Par contre pour le charbon, c’est probable.
« » » » Pour l’insatnt, même Tchernobyl est très loin d’atteindre ce chiffre » » » »
oui mais Tchernobyl, ça n’est pas fini. Quant à Fukushima c’est suffisamment grave pour mettre TEPCO à genoux et on n’en est qu’au début. Essentiellement en compensation pour les personnes déplacées ? Vous êtes ignorant à ce point ?
D’ailleurs, pour poursuivre dans la critique (qui, comme chacun sait, est aisée… Merci Denis pour le travail que vous avez fait encore une fois ici) : pour le nucléaire, on compte dans les charges le coût que provoquerait un accident d’exploitation, notamment sur la santé des populations. Par contre, pour le charbon, on ne compte pas dans les charges le coût pour la société, non pas probable mais *réel*, des conséquences de son exploitation au quotidien sur la santé des populations (particules fines des fumées, libération de radon dans l’atmosphère, infiltration dans les nappes phréatiques des métaux lourds contenus dans les cendres, …). Or il faut rappeler que l’Allemagne produit à peu près la moitié de son électricité en brûlant du charbon. Je n’ose me demander s’il n’y aurait pas ici deux poids, deux mesures, de peur de ne pas être dans la ligne…
Un autre élément présenté ici que je trouve assez comique (mais Denis a lui-même pris un peu de distance avec celui-ci), c’est le décompte des subventions pour le nucléaire versus celui des subventions pour les renouvelables. A partir de 1956 pour le nucléaire, à partir de 1974 pour les renouvelables. Dois-je conclure que l’hydroélectricité n’est pas classée comme source d’énergie renouvelable ? Car clairement l’Allemagne s’est intéressée à cette forme de production d’énergie bien avant 1974, et même avant que qui que ce soit ait l’idée de produire de l’énergie à partir du cœur de la matière : par exemple, le barrage sur l’Eder (Edertalsperre), dans le Land de Hesse, a été construit entre 1908 et 1914. Et il est très clair qu’une partie des barrages allemands (si ce n’est tous) ont été construits sur fonds publics. Y compris après 1956.
mais on ne peut pas râler contre les poussières du charbon et rester immobile devant les 400 000 morts prématurés (au niveau européen) provoqués par les poussières du gasoil.
Tout à fait d’accord, mais il n’y a pas que les poussières du gasoil : de manière plus générale (oxydes d’azote, autres polluants locaux émis par les moteurs essence et diesel), les transports individuels génèrent une quantité de maladies respiratoires absolument colossale qui n’est absolument pas prise en compte ici. Sans compter la construction et la maintenance des routes (ou les installations aéroportuaires pour les avions), qui sont financées par les contribuables, alors que d’autres modes de transport, comme le train, doivent payer eux-mêmes leurs infrastructures.
Et puis d’ailleurs, même du côté poussières en suspension, il n’y a pas que les transports : le chauffage au bois se révèle lui aussi très émetteur de particules fines, en hiver (nettement plus que les moteurs diesel lors des quelques semaines les plus froides de l’année). Particules qui ont des effets sur les poumons tout à fait comparables à ceux des particules fines émises par les moteurs diesel.
Les fumées de bois contiennent également du carbone 13 et du potassium 40. Tous aux abris!