Ça vous dit pas une exploitation agricole avec une armée privée? C’est ce que propose le Pakistan, qui se propose de louer quatre cent mille hectares de terres à un état étranger en quête de sécurité alimentaire. Des discussions ont été engagées avec l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahrein et quelques autres états arabes, selon le ministre pakistanais de l’investissement, qui s’attend à des accords rapides.
Ces terres sont aujourd’hui en friches, dans cinq provinces du pays. Elles seront sécurisées par une nouvelle force de sécurité, forte de cent mille hommes, chargées de protéger les exploitations contre le terrorisme. Il y en aurait pour deux milliards de dollars par an, pour payer les salaires, la formation, et l’équipement des recrues. Le Pakistan cherche de généreuses ONG pour l’aider à financer sa milice…
Pour attirer les investisseurs, Islamabad met le paquet: pas de droits de douane sur les machines agricoles importées pour cultiver ces terres, vote prochain d’une loi pour protéger les accords des péripéties de la vie politique pakistanaise…
C’est devenu un véritable business, cette affaire de location de terres à grande échelle. Le Kazakhstan en loue à la Chine (discrètement rappelait le Monde il y a quelques jours). De nombreux pays se ruent aussi sur la Russie et surtout l’Afrique (Chine, Inde, Japon, Suède, pays du Golfe, Lybie). Et la Corée du Sud s’est offerte plus d’un million d’hectares à Madagascar -la moitié des terres arables de l’île— l’an dernier, pour des clopinettes. Le Congo Brazza a refilé dix millions d’hectares à 1300 fermiers sud-africains, deux fois la surface de terres arables d’Afrique du Sud!
C’est sans doute la flambée des prix des céréales ces dernières années qui explique cette ruée vers les terres disponibles. Et il n’y a pas que des Etats en mal de sécurité alimentaire derrière tout ça. Beaucoup d’investisseurs privés aussi, qui ont compris qu’il y a un paquet de dollars à gagner avec des graines. Comme l’investisseur américain Heilberg qui a loué l’an dernier 4000 kilomètres carrés du sud-Soudan auprès d’un chef de guerre. La Deutsche Bank se voit bien en éleveur de poulet à Shangaï. Même la Banque mondiale s’y met, par le biais d’International Finance Corporation, son bras armé dans l’investissement. (Voir aussi la liste publiée en décembre 2008 par l’ONG Grain, et le reportage au Bénin, paru dans la Vie en mars dernier).
En face de ça, qu’en pensent les uns et les autres? Dans les grandes agences internationales, comme la FAO, on y voit un moyen «gagnant-gagnant» d’accroître la production alimentaire mondiale, et de faire progresser les techniques agricoles dans les pays en développement. Mais les ONG sont beaucoup moins optimistes, car bien des accords se font sur le dos des populations locales. Au Kazakhstan, rappelait le Monde, on importe aussi la main d’œuvre chinoise. Au Nigeria, une firme britannique importera les agriculteurs et les experts du Vietnam pour ses dix mille hectares dans le delta du Niger. Et beaucoup de projets ne nourriront pas les populations locales, pourtant en difficulté: tout sera immédiatement exporté.
Derrière tout ça, il y a aussi une affaire de liquides: en délocalisant une production agricole, un pays s’offre de l’eau à bon compte, puisque 70% de l’eau potable utilisée dans le monde va à l’agriculture. Sans oublier que bien des terres recevront des palmiers à huile pour produire des agrocarburants, qui n’ont jamais nourri personne, si ce n’est les réservoirs de bagnoles et le portefeuille des industriels.