Image de Une (prise en proche IR): un moustique traverse le faisceau du lidar © Mikkel Brydegaard
Le 1er septembre 2016, en fin de matinée, une éclipse annulaire de Soleil a balayé le continent africain. A ce moment là, dans le village de Lupiro, en Tanzanie, les moustiques se sont rués en vol, démontrant une activité très inhabituelle en pleine journée. Car les anophèles et les culex de cette région, de redoutables vecteurs du paludisme, sont d’ordinaires discrets en plein jour. L’heure de pointe se situe en fin de journée, quand la lumière commence à baisser: c’est à ce moment là que ces sinistres insectes s’attaquent à leurs proies, et notamment aux humains. Mais au point culminant de l’éclipse, à 11h58, la lumière ambiante ne dépassait pas le niveau d’une journée ordinaire passé dix-huit heures.
On doit ces observations à une étonnante expérience conduite par un groupe de scientifiques européens (Danemark, Suède, Irlande, Grande-Bretagne, Suisse) et africains (Afrique du Sud, Tanzanie), qui est publiée dans Science Advances (1). Le groupe a installé un lidar, un radar laser pointé vers l’extérieur, dans une cabane du village de Lupiro. Objectif, étudié les signaux réfléchis par ce qui traverse un faisceau infra-rouge, pour comprendre s’il est possible d’observer des insectes en vol. Et ça marche! Au total, en cinq jours d’expériences, les chercheurs ont pu dénombrer plus de trois cent milles moustiques!
Comment des bestioles de quelques millimètres peuvent-elles être vues, avec une portée de près de six cent mètres, avec un rayon de lumière? Car en volant, les ailes des insectes battent à une certaine fréquence, caractéristique du son que l’on entend. La première démonstration de ce lien entre un son (une note) et la fréquence de vibration des ailes aurait été faite avec une mouche par le naturaliste britannique Robert Hooke, au XVII siècle.
Et ces fréquences apparaissent dans les signaux reçus par le lidar, avec des gammes spécifiques à chacun. Entre 100 Hz et 200 Hz, il s’agit d’insectes plus gros que les moustiques. Entre 340 Hz et 440 Hz, il s’agit, selon les chercheurs, de moustiques femelles, ceux qu’il faut redouter puisque ce sont les femelles qui piquent et transmettent les parasites qu’elles portent. Les mâles battent l’air plus vigoureusement, entre 510 Hz et 810 Hz.
Cette étude confirme que les espèces qui sévissent dans cette région (anophèles et culex) connaissent deux heures de pointe, deux pics d’activité. Le premier vers six heures du matin, dure de 17 minutes avant le lever du Soleil jusqu’à ce dernier. Le second —double celui-là— se produit en fin de journée: un mini-pic une demi-heure avant le coucher du Soleil, et un second, nettement plus important, 19 minutes après le coucher du Soleil, qui dure environ 21 minutes.
A quoi bon dérouler une telle débauche de moyens, me direz-vous, puisque tout le monde sait que de nombreuses espèces de moustique attaquent de préférence à l’aube et au crépuscule? Avec une exception notable, le bien nommé moustique-tigre Aedes albopictus, vecteur de maladies aussi sympa que la dengue, le zika et le chikungunya.
Bien sûr, cela permettra de prévenir les populations qu’il vaut mieux se protéger contre les moustiques quand surviennent des éclipses solaires. Celles-ci ne semble pas poser de problème de santé publique outre mesure, vu la rareté de ces événements cosmiques. Sauf à les regarder sans protection, mais c’est une autre histoire.
Pour les auteurs de ces travaux, la connaissance précise de l’agenda de sortie des moustiques pourrait permettre de mieux cibler la contre-attaque. Cela permettrait, par exemple, de réduire les quantités d’insecticides pulvérisés.
Mais les chercheurs envisagent une application autrement plus audacieuse du lidar contre les vecteurs du paludisme: des études ont montré qu’il est possible, par analyse avec un faisceau infra-rouge, de déterminer l’âge et l’état infectieux des moustiques.
L’âge est important car un moustique ne vit qu’une dizaine de jours, et il s’écoule plusieurs jours entre le moment où un moustique est contaminé par un parasite, et celui où il devient contaminant lors de sa piqûre (2). Et il existe désormais une méthode pour détecter, à distance et par rayonnement infra-rouge, si des femelles sont infectées ou pas par le plasmodium, le parasite du paludisme (3). Bref, à force de performances augmentées et de coût diminués, des radars entomologiques pourraient un jour venir compléter l’arsenal de mesures contre ces tristes moustiques!
Denis Delbecq
(1) M. Brydegaard et al., Sciences Advances, 13 mai 2020 (Accès libre, en anglais)
(2) B. Lambert et al., Scientific Reports, 27 mars 2018 (Accès libre, en anglais).
(3) M.F. Maia et al., Malaria Journal, 19 mars 2019 (Accès libre, en anglais)
Pour en savoir plus:
• Un reportage sur le site de l’expérience, à la veille de l’éclipse de 2016 (Mosaic, 2017. En anglais).
Merci d’avoir partagé toutes ces informations ! Cette technologie a beaucoup de potentiel pour nous aider à suivre et à mieux comprendre les mouvements de ces nuisibles, ce qui peut ensuite nous aider à développer des contre-mesures plus efficaces.
Il est intéressant de noter que les heures de pointe d’activité varient en fonction de l’espèce de moustique. En sachant cela, nous pouvons mieux cibler nos efforts, par exemple en réduisant la quantité d’insecticide que nous pulvérisons.
Les moustiques seront de plus en plus un problème avec le réchauffement climatique. On ne peut nier que dorénavent la population de moustique ne diminue plus suite à l’hiver, bien au contraire.