Si l’asthme ne semble pas être une pathologie fréquente chez les personnes qui décèdent du Covid-19, il n’en reste pas moins que les inflammations qu’il provoque peuvent aggraver la maladie virale.
Nous avons interrogé Nhân Pham-Thi est allergologue, ancien chef de service Allergologie à l’Institut Pasteur et chercheur associé à l’Ecole Polytechnique.
Image: pollens de fleurs courantes agrandis 500 fois et colorisées © Dartmouth Electron Microscope Facility.
Entretien réalisé les 17 et 20 avril pour la préparation de l’Edito Carré et du Virus au carré de Mathieu Vidard, le 21 avril sur France Inter.
Sur le site pollens.fr du réseau national de surveillance aérobiologique, la majeure partie du territoire est en rouge, avec un risque maximum d’allergies aux pollen. Depuis quand la saison a-t-elle commencé?
Cela dépend des pollens. Pour la famille des bétulacées (bouleau, aulne, noisetier, etc.) la libération des pollens démarre souvent en février-mars. Elle commence tout juste à décroitre et ces pollens devraient avoir disparu courant mai. Pour les graminées, qui sont les plantes les plus nombreuses et les mieux réparties sur l’ensemble du globe, le pic est en mai-juin et les pollens disparaissent généralement en juillet-août, même s’ils peuvent durer plus longtemps, notamment dans les régions de montagne. Ces pollens de graminées sont les plus puissants et c’est un véritable problème de santé publique, qui peut provoquer des crises d’asthme très sévères, lesquelles peuvent parfois conduire les patients en réanimation. Le pic de pollens va se produire au moment où le déconfinement va démarrer en France, et ce n’est pas une bonne nouvelle.
Pour quelle raison?
La situation est totalement inédite, puisque généralement les pollens arrivent après la saison des virus respiratoires, les rhumes, les grippes etc. Mais cette année, le pic de pollens se produit en pleine épidémie de Covid-19. Or l’inflammation allergique des voies respiratoires est un facteur aggravant face aux maladies virales qui touchent les voies respiratoires. Les virus surfent sur les inflammations : c’est ce que l’on constate pour les allergiques aux acariens. Ce n’est encore qu’une hypothèse, car en ce moment nous n’avons que des hypothèses, mais il est donc fort probable et imaginable que l’inflammation provoquée par une allergie favorise la multiplication du virus dans l’organisme et conduise à des cas sévères de Covid-19. Chez certains patients, l’asthme allonge la durée de des symptômes de cette maladie. De plus, comme l’allergie provoque des éternuements, de la toux et des larmoiements, elle peut faciliter la contamination d’autres personnes par les personnes allergiques qui sont porteuses du virus du Covid-19. Et cela va compliquer la gestion du déconfinement, parce que cela mettra des gens dans la rue, dans les transports, les bureaux qui auront des symptômes proches de ceux qu’on rencontre pour le Covid-19, et qui ne sont pas forcément porteurs de cette maladie. N’oublions pas que les allergies concernent environ 30% de la population française! Bien traiter ses allergies va devenir un geste civique.
Pourtant, il semblerait, au moins en Europe et outre-Atlantique, que l’asthme ne soit pas un facteur aggravant pour le Covid-19…
C’est une hypothèse qu’il est très difficile de vérifier. Car quand l’épidémie est arrivée en Europe et aux Etats-Unis, nous avions déjà un retour sur ce qui s’est passé en Chine. Et il a très vite été conseillé aux personnes asthmatiques de s’isoler. Les médecins ont informé leurs patients, le ministre de la Santé en a parlé publiquement et la Société Française de Pneumologie avait demandé aux professionnels de prévenir leurs patients. Cela a probablement introduit un biais dans les statistiques qui, effectivement, montrent une proportion plus faible d’asthmatiques chez les patients qui décèdent du covid-19 que ce à quoi on pouvait s’attendre. Des protocoles sont en cours, pour tester une autre hypothèse qui émerge, selon laquelle les corticoïdes inhalés pourraient freiner l’attaque du virus. Mais ce n’est encore qu’une hypothèse.
Pourtant, on a beaucoup entendu qu’utiliser des corticoïdes dans le traitement des personnes gravement touchées par la maladie risquait d’accélérer la dégradation de leur état de santé?
C’est vrai qu’une étude réalisée en Chine, pendant l’épidémie, laissait penser que les corticoïdes utilisés à haute dose pouvaient aggraver l’évolution de la maladie. Mais on se rend compte que c’est plus vraisemblablement une coïncidence, c’est d’abord ce qu’on appelle un orage de cytokines, une sur-réaction du système immunitaire, qui rend la maladie si grave chez certains patients. D’ailleurs, il y a des protocoles en cours, dans les hôpitaux, pour déterminer si les corticoïdes peuvent aider à lutter contre le Covid-19.
Il reste que les doses et le mode d’administration pour l’asthme sont très différents: ce sont des substances micro-dosées qui sont inhalées et se déposent donc directement dans les voies respiratoires. Le message est clair, si vous vous savez asthmatique, soignez vous, c’est encore plus important aujourd’hui que d’ordinaire! Il faut soigner l’inflammation provoquée par les crises d’asthme!
On peut être allergique sans le savoir?
Oui, notamment parce qu’avec le réchauffement climatique, la saison des pollens dure de plus en plus longtemps, et les quantités de pollens diffusés augmentent d’année en année. C’est particulièrement flagrant avec le pollen d’ambroisie. Je reçois en ce moment en téléconsultation des gens qui avaient des symptômes légers l’an dernier, et qui ont de vraies crises d’asthme cette année. De plus, quand on ne se sait pas allergique et qu’on l’est devenu, on peut confondre ses symptômes avec ceux du Covid-19 et se croire infecté alors qu’on ne l’est pas. Mais il manque la fièvre, les courbatures…
On parle beaucoup des pollens, mais il existe aussi des allergies aux acariens, qui peuvent être exacerbées par le confinement…
Oui, et il est important de les soigner car il a été démontré depuis longtemps que ces allergies augmentent le risque d’infection virale des rhinovirus et d’autres virus respiratoires, et que ce risque est réduit quand on soigne l’allergie. Ce n’est qu’une hypothèse, bien sûr, pour le coronavirus, mais il semblerait possible que les allergies aux acariens, comme celles aux pollens, puissent favoriser ce virus. Seul l’avenir le dira.
Quels sont les meilleurs moments de la journée pour sortir en période de pollens?
Il vaut mieux sortir tôt le matin ou tard le soir, car il y a moins de pollen dans l’air. C’est aussi à ces moments-là qu’il faut aérer chez soi. Il est très important d’aérer son logement, et d’autant plus en période de confinement, puisqu’on est exposé plus longtemps que d’habitude à la pollution intérieure. Celle-ci s’ajoute au stress et à la fatigue du confinement qui fragilisent l’organisme face aux virus.
Sortir quand il pleut ou juste après une averse est donc une bonne idée?
Oui car la pluie réduit fortement la quantité de pollen qui circule dans l’air. En revanche, il vaut mieux éviter de sortir juste après un orage, car ces phénomènes météorologiques tendent à faire éclater les grains de pollen et à libérer les protéines allergisantes qu’ils contiennent. Une étude australienne a établi une forte corrélation entre des orages et une augmentation des consultations hospitalières pour des allergies sévères ainsi qu’une sur-mortalité.
Propos recueillis les 17 et 20 avril par Denis Delbecq
A lire et écouter
• Différencier asthme et Covid-19 (France Bleu)
• Ne pas confondre asthme et Covid-19 (France Inter)
• Une communication de chercheurs britanniques du NHS (The Lancet)
• Il n’y aurait que 5% d’asthmatiques chez les malades du virus à New York (New York Times)
• Une très modeste étude dans la région de Seattle repère 3 cas (14%) dans un échantillon de 24 malades en état critique (New England Journal of Medicine)
• Asthmatiques ou allergiques, n’arrêtez-pas votre traitement! (60 millions de consommateurs)
• Le Réseau National de Surveillance Aérobiologique (pollens)
• Le Dr Pham-Thi était invité le 22 janvier dans la Terre au carré, pour parler de substances chimiques et de pollution intérieure, dans une séquence consacrée à l’arrivée d’un enfant à la maison (en fin d’émission).