Les grandes installations de production d’électricité renouvelable (barrages, éoliennes et centrales solaires d’une capacité supérieure à 10MW) doivent éviter les régions importantes pour la préservation de la biodiversité. C’est l’avertissement lancé aujourd’hui par une équipe internationale dans la revue Global Change Biology. Elle calcule que 17% de ces grandes installations empiètent déjà sur les espaces sauvages, même quand ils sont protégés.
Selon cet inventaire, pas moins de 2,8 millions de kilomètres carrés de nature sauvage du globe sont directement ou indirectement affectés à ce jour des sites de production d’électricité renouvelable, dont plus de 1 million dans des zones protégées. Ce sont de loin les barrages qui tiennent le haut du pavé, qui concernent plus de 1,2 millions de kilomètres carrés de terres sauvages, de sites importants pour la biodiversité et d’aires protégées, devant le solaire (960 000 km2) et l’éolien (677 000 km2). Des chiffres de superficies vertigineux qui doivent être pris avec beaucoup de prudence. «Il ne s’agit pas des données d’occupation réelle, car il n’existe pas de base de données globale [à l’échelle de la planète] sur la superficie des installations, reconnait José Rehbein (Université du Queensland, Australie), le principal auteur de l’étude. Si une installation se trouve dans un parc national de 120 000 km2, c’est cette surface que l’on prend en compte.» Effectivement, la nuance est d’importance, et ces chiffres de superficies ne sont pas très réalistes: l’étude calcule que 5 centrales photovoltaïques affectent à elles seules 600 000 km2 d’espaces sauvages «classiques», autrement dit non identifiés comme réserves ou comme régions clés de biodiversité. Mais l’une d’elles, à Bendan en Egypte, n’occupera une fois achevée qu’un peu plus de 37 km2. Il n’en reste pas moins que le constat fait dans ces travaux est important: mal maîtrisé, l’essor des énergies renouvelables est une menace pour les écosystèmes.
Au total, les scientifiques ont constaté que 2206 des 12658 sites importants que compte la planète en matière de production d’énergies renouvelables (barrages, fermes éoliennes, centrales solaires) se trouvent d’ores et déjà dans des zones de conservation de la nature et 922 autres sont en projet dans des régions similaires.
Les barrages.
Si le nombre de retenues d’eau qui empiètent sur les espaces importants pour la vie sauvage semble relativement faible (246), la raison en est simple: «Cela m’a surpris, mais c’est logique car de nombreux barrages sont anciens et ont été construits avant 2009, l’année qui a servi de référence pour l’élaboration des cartes de régions protégées et de régions sauvages», explique José Rehbein.
Au total, ces barrages qui interagissent avec des espaces importants pour la biodiversité affichent une capacité installée de 153 GW (l’équivalent de 92 réacteurs nucléaires EPR comme celui en construction à Flamanville, dans la Manche). Les projets encore sur le papier ou en cours de développement portent sur 326 barrages (dont 163 dans des zones protégées), pour une puissance totale de 75 GW. La majeure partie des développements engagés dans l’hydroélectricité se trouve en Asie, le long de la chaîne montagneuse de l’Himalaya. «Ce qui se passe près de l’Inde et du Népal est complètement dingue, souligne José Rehbein, il y a des centaines de barrages en projet.» En Afrique, ce n’est que le début. «Ce continent se développe avec des apports financiers, notamment de Chine, souligne James Allan (universités de Queensland, Australie, et d’Amsterdam, Pays-Bas), co-auteur de ces travaux. Je soupçonne que le Nil et le Congo accueilleront de nombreux barrages supplémentaires dans un avenir proche. Il y a constamment de nouveaux projets que les conservationnistes combattent sans relâche, comme sur la rivière Mara [qui coule au Kenya et en Tanzanie, NDLR] qui est un lieu de passage important pour la migration des gnous.»
Des travaux similaires ont été publiés il y a deux ans, qui portent sur l’impact des extractions de charbon, gaz et pétrole sur les espaces naturels et la biodiversité. Les chercheurs avaient identifié, en particulier, 181 régions dans le monde sujettes à une intense activité minière et de forage qui coïncident avec des hotspots de biodiversité. En dépit de mes recherches, je n’ai pas trouvé de telle étude globale sur l’impact des mines d’uranium. Avis aux amateurs! D.Dq
Source: Michael Harfoot et al., Conservation Letters, mars 2018
Les centrales solaires
Pas moins de 352 centrales photovoltaïques débordent déjà sur des espaces protégés (146), des zones-clé de biodiversité (201), ou d’autres territoires sauvages (5). La plupart des grandes installations solaires qui empiètent sur la nature se trouvent en Europe, en Californie, en Chine et au Japon. Elles représentent une puissance installée, à ce jour de 12,4 GW.
Les fermes éoliennes
1047 sites de production solaires sont installés en pleine nature, dont 477 dans des zones protégées, pour un total de puissance installée de 35 GW. Ces installations qui mordent sur les espaces naturels devraient être rejointes par 130 autres si tous les projets connus sont menés à bien. Une grande partie de ces projets concernent l’Europe (Allemagne, Ecosse, Irlande), l’Australie, l’Afrique du sud et le nord-est des Etats-Unis.
Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain, autrement dit renoncer aux grandes installations de production d’électricité d’origine renouvelable? «Surtout pas, répond James Allan. Ces énergies sont cruciales pour la réduction des émissions de carbone, et la lutte contre ce changement climatique catastrophiques. Mais il faut veiller à choisir des sites où la biodiversité ne sera pas endommagée. Il y a de gigantesques étendues de terres dégradées qui pourraient accueillir des installations. Nous sommes en train de regarder de près s’il est possible de répondre aux besoin d’énergie de l’humanité avec des sources renouvelables situées hors des zones importantes pour la biodiversité, et nos résultats préliminaires suggèrent que c’est possible.»
“Les gouvernements se sont engagés à protéger la biodiversité et à combattre les changements climatiques, ils doivent adopter des plans de développement des énergies renouvelables qui évitent les régions importantes pour la biodiversité. Sinon, ils ne parviendront pas à atteindre ces deux objectifs. La conclusion de nos travaux, c’est qu’ils n’auront pas d’excuses s’ils ne le comprennent pas.”
James Allan, Université du Queensland, pour Effets de Terre