On ne juge pas un être vivant sur ses origines, et l’adage est valable aussi pour les plantes et les animaux. C’est tout le sens de l’appel lancé par dix-neuf spécialistes américains de la biodiversité, dans les colonnes de la revue Nature [1]: il faut cesser la discrimination primaire entre espèces natives et aliens. Une pratique qui, pour eux, n’est plus en phase avec les connaissances écologiques du XXIe siècle. Ils proposent de mettre l’accent sur l’impact environnemental des espèces, et d’abandonner les a-priori sur les origines.
La moule rayée est l’emblème de la plaie d’importation. Importée accidentellement de Russie il y a une vingtaine d’années, elle s’est si bien adapté dans les rivières et grands lacs nord-américains qu’elle obstrue les systèmes de pompage d’eau, pour la distribution d’eau potable et le refroidissement des centrales électriques, obligeant à dépenser des fortunes pour les remettre en état. Aux Etats-Unis, cette «auto-stoppeuse» est une véritable calamité. De même, à Hawaii, l’arrivée d’oiseaux d’ornement apportés dans les années 1900 a apporté un paludisme aviaire qui a éradiqué la moitié des espèces d’oiseaux natives de l’archipel. Mais pour quelques espèces comme celles-là, nous disent les 19 écologues dans Nature, beaucoup d’autres ont fait l’objet d’efforts et des dépenses considérables et inutiles, car elles ne posaient pas de menace particulière pour la biodiversité ou les activités humaines.
Les scientifiques expliquent en substance que la littérature scientifique sur les espèces aliens ne se base pas toujours sur des données, mais souvent sur des on-dit. Et soulignent —chiffres à l’appui— que les espèces considérées comme envahissantes ne représentent souvent aucune menace. Tandis que des espèces natives deviennent parfois une véritable peste, en raison de conditions environnementales changeantes. C’est ainsi que la pire menace pour les arbres aux Etats-Unis est un coléoptère local qui s’attaque aux pins.
A l’inverse, la présence de plante invasive joue parfois un rôle positif pour la biodiversité. Les chercheurs s’appuient sur l’exemple de variétés de chèvrefeuilles qui avaient été utilisé dans des projets de réhabilitation écologique dans les années 1960 à 1980. Dix ans plus tard, ces mêmes espèces ont été déclarées néfastes et interdites à la vente dans 25 Etats américains. Or, il semble avéré que la présence de ces chèvrefeuilles enrichit les populations d’oiseaux natives, qui à leur tour dispersent mieux les graines de plantes à baies, améliorant la biodiversité végétale.
En résumé, il serait temps, pour ces chercheurs, de mettre l’accent sur le rôle de chaque espèce, sans se soucier de son origine. D’ailleurs, disent-ils, de nombreuses espèces sont si communes sur le sol américain, que tout le monde les croit natives. Comme le faisan qui sert d’emblème du Sud Dakota. C’est un vulgaire alien introduit d’Asie au milieu du XIXe siècle…
[1] Edition du 9 juin 2011.