Dans l’abondante littérature évoquant le climat de ces derniers mois, il est un ouvrage qui est malheureusement passé inaperçu. Quelle erreur! D’Emmanuel Garnier dans les médias, à la radio et à la télévision, il n’est point question, et c’est fort dommage. Cet historien basé à Caen s’est lancé dans une épatante aventure, marchant, quarante ans après, sur les traces d’Emmanuel Le Roy Ladurie. Dans Les dérangements du temps, Garnier apporte en effet d’utiles éclairages sur «500 ans de chaud et de froid en Europe» (1).
Garnier s’est formé à la science climatique dans le giron du LSCE, le laboratoire de climatologie du CEA. Et surtout, l’historien s’est plongé dans un volumineux paquet d’archives historiques les plus variées: délibérations de conseils municipaux, registres d’amirauté, recensement des chablis (2), ou journaux de passionnés de météorologie —comme celui du libraire parisien Hardy, qui a scrupuleusement consigné ses observations entre 1764 et 1789—, pour apporter sa contribution à notre connaissance du climat passé, et notamment des événements extrêmes.
Salutaire, cet ouvrage l’est à plus d’un titre. Il rappelle en effet à ceux d’entre nous qui en douteraient, qu’on peut vivre des moments de grands froids dans une période climatique chaude, et de terribles canicules et/ou sécheresses pendant les époques frisquettes, comme au beau milieu du «petit âge glaciaire». Que dans nos latitudes, la force et le nombre des tempêtes dépendent finalement peu de l’époque climatique, et bien plus des écarts de température dans l’Atlantique Nord. Il montre aussi que cette tendance à croire que l’Etat-Providence, celui qu’on appelle au secours quand les éléments dévastent nos contrées, n’est pas une invention récente. En 1784, par exemple, quand de terribles inondations ont noyé la moitié de la France (et une grande partie de l’Europe), après un hiver congelé provoqué —ou renforcé— par l’éruption de 1783 du Laki en Islande. L’Etat avait déboursé près d’un pour cent de son budget pour venir au secours des victimes, ce qui n’est pas si loin du 3% qu’aura dépensé la France après les tempêtes de 1999.
On pourrait lire cet ouvrage avec une arrière pensée «carbocentriste» ou «climato-sceptique», fouillant désespérément à la recherche du fait qui renforcera nos convictions. On aurait tort. Il faut prendre ce document tel qu’il est: un recensement fouillé des conditions météorologiques qui ont régné depuis cinq siècles à nos latitudes, qui démonte bien des idées reçues. Aux climatologues ensuite de s’emparer de ces précieux résultats, pour mieux comprendre comment le ciel tombe ou pas sur nos têtes, dépose inondations ou glaces, plie les arbres à les rompre ou les laisse grandir tranquille, quand il ne brûle pas les récoltes sous une canicule écrasante et meurtrière.
Garnier nous montre aussi —et c’est qui ce place le livre au cœur d’une douloureuse actualité— combien les hommes ont perdu la mémoire de leurs tourments atmosphériques. Comme il me l’expliquait au téléphone il y a quelques jours, les repères de crues ont été effacés il y belle lurette. On ne crée plus d’ex-voto aux effets pédagogiques sur les caprices de la machine climatique. Et on construit là où, malgré des digues, aucun ancêtre n’aurait été assez fou pour vivre si près des rivages tourmentés par les tempêtes océaniques.
Les dérangements du temps marque à n’en pas douter, le retour d’une précieuse quête de savoir, en espérant qu’Emmanuel Garnier fasse des émules: il est aujourd’hui le seul historien français, semble-t-il, à se pencher sur le climat. Que les obscurs, les silencieux qui auraient échappé à ma sagacité lèvent le doigt! Quant aux élus et responsables politiques, il seraient bien avisés de se plonger dans l’ouvrage.
NB: l’image d’illustration en tête d’article a été empruntée au papier sur les travaux d’Emmanuel Garnier, signé en 2007 par mon confrère Yves Miserey.
(1) Les dérangements du temps. 500 ans de chaud et de froid en Europe, par Emmanuel Garnier, Editions Plon, 2010. 22 euros.
(2) Rien à voir avec le vin, il s’agit des arbres cassés ou tombés pendant les orages et les tempêtes
Félicitations à Monsieur Garnier pour le fastideux travail de compilation et d’analyse des documents historiques. Je regrette comme vous que les médias n’invitent pas plus des personnes de sa qualité au lieu des sempiternelles « grandes gueules » qui nous fatiguent les tympans.