C’est fou ce qu’on se fait parfois des idées fausses sur ce qui se passe sous nos pieds. Prenons les séismes, par exemple. Beaucoup d’entre nous ont quelques vagues notions de la tectonique. A peu de choses près, on imagine de grandes plaques rigides qui se déplacent et s’entrechoquent pour créer des séismes. Mais le sous-sol est finalement bien plus plastique qu’on pourrait le croire. Un vrai chamallow qu’un peu d’eau peut déformer.
Vendredi, le New York Times a consacré un long papier depuis la Chine à la recherche des causes du terrible tremblement de terre du 12 mai dernier qui a tué plus de 80 000 personnes en Chine. Un séisme particulièrement odieux tant le nombre de gosses écrasés sous les décombres de leurs écoles mal construites est élevé (plus de dix mille). Le NYT rebondit sur un papier publié mi-janvier dans la revue Science qui évoque la possibilité d’un rôle humain dans le déclenchement du séisme (1).
Plusieurs sismologues américains et chinois s’interrogent sur le rôle qu’a pu jouer le barrage de Zipingpu, un réservoir de 320 millions de mètres cubes, situé à seulement… cinq cent mètres d’une faille sismique majeure. Et si le poids de l’eau avait tout à coup déclenché la secousse de magnitude 7,9 qui a rompu trois cent kilomètres de faille? Ce ne serait pas la première fois que cela se produit, rappelait Science, puisqu’il a été prouvé que des réservoirs de barrages ont provoqué des dizaines de séismes dans le monde, le plus souvent de magnitude comprise entre 3 et 6.
Le réservoir de Zipingpu a été mis en eau en décembre 2004, et s’est rempli en deux ans pour atteindre la cote 120 mètres. Pour Christian Klose (Columbia University), ces centaines de millions de tonnes ont exercé une forte contrainte dans le sous-sol et modifié les données sismologiques de la faille. Selon ses calculs, la masse d’eau produisait sur elle les mêmes pressions que 25 années d’activité tectonique.
Paradoxalement, ce n’est pas la montée des eaux dans le barrage qui pourrait expliquer le séisme. Mais au contraire l’allégement des contraintes provoqué par la baisse rapide du niveau des eaux une semaine avant la catastrophe. Il faut finalement peu de chose pour perturber l’équilibre instable des failles. La thèse de Klose est appuyée par les travaux d’un autre sismologue, chinois cette fois, Lei Xinglin, qui a publié en janvier, avec des collègues, une analyse des cause possibles du séisme dans une revue scientifique chinoise. Sans porter de conclusion, Xinglin estime que le barrage a effectivement pu jouer le rôle de détonateur d’un séisme qui, de toutes les façons, se serait produit à cet endroit (2). Ironie de l’histoire, le barrage lui-même a été endommagé, au point d’être mis à l’arrêt, mais n’a pas été totalement détruit.
Cette plasticité du sous-sol s’illustre d’ailleurs en Scandinavie où le niveau relatif de la mer baisse, parfois de manière importante en dépit de la montée globale des océans. D’un mètre par siècle dans le golfe de Bothnie (Finlande) par exemple. Car le socle rocheux, lourdement comprimé par le poids des glace de la dernière époque froide, se dilate depuis la déglaciation. Plus vite que le niveau des océans ne s’élève… D’ailleurs, si l’Antarctique devait un jour perdre toute sa glace, le niveau du continent pourrait bien remonter de plusieurs centaines de mètres, libéré du poids de la couche de glace qui atteint par endroits trois kilomètres d’épaisseur… (Tout ça à des échelles de plusieurs milliers d’années, pas d’inquiétude)
Puisqu’on en est à parler de ces drôles de phénomènes (tragiques, s’il est confirmé que le barrage de Zipingpu a provoqué le séisme de mai dernier), rappelons que le phénomène de marées provoqué par la lune et le soleil déforme aussi l’écorce terrestre. A Genève, qui héberge le CERN, l’amplitude atteint 25 cm par grandes marées (autour de la pleine lune et de la nouvelle lune) au point de faire varier d’un millimètre la circonférence de l’anneau de collisions de particules (LEP) de 26,6 km…
(1) Edition du 16 janvier 2009.
(2) J’ai retrouvé le papier, mais il est hélas en Chinois, donc il me faut faire confiance à l’article de Science.
Humm, très intéressant.
Je pensais qu’on faisait des études du sol avant de mettre des barrages de ce type, visiblement elles ne sont pas assez complètes. Et puis n’est-ce pas un peu osé de mettre un barrage à 500m d’une faille majeure connue? O_o
Sinon, j’aimerais bien savoir, si oui ou non, le fait que le LEP ait une variation de circonférence de 1mm affecte les expériences qui s’y mène?
Effectivement, dans les premières années du CERN, les chercheurs ne s’expliquaient pas certains résultats d’expérience. Jusqu’à ce qu’ils apprennent à tenir compte des marées, ou plus exactement des positions du soleil et de la lune) dans leurs calculs. Et depuis, à ma connaissance, tout est rentré dans l’ordre.
Pour revenir à la première partie de votre question, @gor. Jusqu’à présent, les barrages n’avaient jamais créé de séismes d’une telle intensité. De plus, la Chine a tellement besoin d’énergie qu’il n’est pas exclu que les études préalables soient un peu baclées pour gagner du temps. Mais attention, le plus probable, si le barrage a joué un rôle, est qu’il a avancé la date d’un séisme qui se serait produit de toutes les façons…
D’accord! Merci pour la réponse 🙂
@Ddq, jusqu’à présent, on ne s’est véritablement préoccupé de géologie qu’après les accidents et sous la forme suivante: « on aurait dû faire des études géologiques ».
@ Je cpmlète, il y a un grand nombre de séismes activés par des barrages, mais à ma connaissance, le plus fort était d’à peu près 7 sur l’échelle de Richter, ce qui n’est pas si mal.