Cela m’a beaucoup surpris de rencontrer un bactériologue ici-même, moi qui avait l’habitude de dire au cours de mes conférences qu’au coeur de l’Antarctique, aucune forme de vie ne survit… Mais alors, que vient-il faire perdu au milieu du grand continent blanc? Je me suis de suite lié d’amitié avec lui, car tout comme moi, c’est un franco-italien. Enfin, moi je suis plutôt franco-italien, et lui il est plutôt italo-français. Il vie en Sicile et travaille à l’Université de Messine. Il s’appelle Luigi. Luigi Michaud. Son père français s’est marié avec une Sicilienne (le veinard 😉 ).
Je ne connais pas Messine, j’y suis souvent passé pour aller rejoindre ma famille qui vit plus au sud de l’île italienne, sans jamais m’y arrêter. Sur place à Concordia et ailleurs en Antarctique, Luigi chasse les bactéries dans la neige. Il nous a invité à une conférence, organisée dans la salle vidéo de la station, pour nous expliquer à nous, techniciens, cuisiniers, ingénieurs, et chercheurs d’autres disciplines, l’intérêt de ses travaux sur les bactéries. Il aime répéter une phrase du chercheur italien S. Genovese: «Sans [les bactéries], la vie n’est pas possible, et la mort ne serait pas complète.» Il y en a partout, dans notre intestin, sur notre peau, dans l’air… et même dans les milieux froids.
En fait, une très infime partie des bactéries est pathogène. Certaines tirent leur énergie de la lumière (via la photosynthèse) et vivent de carbone, de composés chimiques comme l’ammoniac… bref, les bactéries mangent presque tout. Il en existe de toute formes: en spirale, ronde, en hélice, en spaghetti… Elles sont capables également de vivre dans des milieux très hostiles, comme dans les profondeurs des océans, avec des températures très élevées dans des régions volcaniques (+80°C autour des îles Eoliennes par exemple, bactéries que Luigi connaît bien), et aussi dans des milieux très froids.
«Psychrophiles». C’est ainsi qu’on nomme les bactéries capables de vivre à des températures inférieures à 15°C. En principe, les bactéries pouvant résister aux plus froides températures supportent au mieux -17°C ! Ouf, ça va, jusque là, je n’ai pas raconté de bêtise lors de mes conférences… avec des températures moyennes annuelles de -50°C à Dôme C, qu’espère donc trouver Luigi ?
Boite de Petri. Si les bactéries ne supportent certainement pas l’hiver (ou peut-être pourrions-nous envisager un éventuel état d’hibernation) celles trouvées à Concordia sont apportés par le vent depuis les côtes, distantes de mille kilomètres. Les bactéries mesurent entre 0,1 et 10 micromètres (1). Sur plusieurs points autour de la station, depuis quelques mètres de la base jusqu’à sept kilomètres, Luigi effectue des prélèvements de neige qu’il va filtrer pour ne conserver que ses fameuses petites bestioles. Il se déplace tantôt à pied tantôt en « FlexMobil », sorte de petit bus à chenilles. Les bactéries, stockées dans des «boites de Pétri», seront ensuite ramenées au laboratoire de Messine où il les analysera. Pourquoi tout ça? On pourrait d’abord penser à des applications industrielles. Par exemple une lessive efficace à base température pour économiser de l’énergie. Mais il existe aussi des motivations plus profondes à ces recherches. La vie a-t-elle commencé dans une boule de glace? des zones volcaniques? des zones humides?
Pour le moment, l’un des espoirs de Luigi serait de pouvoir découvrir des bactéries mangeuses d’hydrocarbures en milieu froid! En particulier, la neige au voisinage de la centrale électrique, souillée par les fumées, est un excellent terrain de chasse. En attendant, Luigi est parti avec l’avion de la semaine dernière. Il devait rejoindre la péninsule Antarctique pour y faire d’autres prélèvements.
Bulletin météorologique à Concordia
24 décembre 2008 @13:48 (heure locale)
Température= —26.8°C
Température ressentie = —39°C
Humidité relative: 63%
Pression atmosphérique: 655.6hPa
Vent SSW de 5,9 m/s (21 km/h)
Staphylocoque. Il existe d’autres bactéries en Antarctique dont je ne vous ai pas encore parlé. Tout simplement celles que nous amenons avec nous en arrivant ici et qui se retrouvent condamnées à vivre ici, enfermées dans les bâtiments. Dans la station, leur population augmente durant l’hiver austral! Logique puisque les sorties sont moins fréquentes. La base est aussi moins aérée en raison du froid intense durant l’hiver polaire (-70°C). Les échanges d’air avec l’extérieur sont donc moins fréquents et les bactéries peuvent se développer. Le microbe majoritaire est le staphylocoque. On ne sait pas encore pourquoi, mais cette bactérie (non pathogène, à ne pas confondre avec sa cousine staphylocoque doré) se retrouve souvent dominante dans tous les milieux confinés, comme dans les stations spatiales.
Ce soir, même si nous sommes le 24 décembre et que le cuisinier travaillera plus que d’habitude pour nous préparer un repas de réveillon, ce sera un jour comme les autres. Pas plus de repos ou travail que d’habitude, loin de nos familles… Un jour comme les autres.
Bonnes fêtes,
Jonathan.
(1) Un micromètre, ou micron, est un millième de millimètre.
Pour en savoir plus sur Luigi
http://www.sitemicro.it
Dip.to di Biologia Animale ed Ecologia Marina
Università degli Studi di Messina
Salita Sperone, 31 – 98166 Messina, (ITALY)
Department of Animal Biology and Marine Ecology
University of Messina
Salita Sperone, 31 – 98166 Messina, (ITALY)
Le moral a pas l’air fort fort… bonnes fêtes à l’équipe 🙂
Joyeux Noël…
Sinon question bête, ils sont gérés comment les déchets là bas ?
Beaucoup de tri sélectif, un peu d’incinération à Dumont d’Urville et le retour en Tasmanie pour beaucoup. Vous en avez un explicatif dans cette vidéo sur le site de Daily Motion.
http://www.dailymotion.com/video/x75g1h_gestion-des-dechets-a-concordia_tech
Bonjour ! Ton blog est très intéressant, et bien écrit !
Je te souhaite une année aussi riche et passionnante que tu l’espères. C’est vraiment génial d’aller au bout de ses rêves comme ça !
Laetitia