Vous, je ne sais pas, mais moi, je trouve cela attendrissant. Imaginez un peu: les thons rouges nés des deux côtés de l’Atlantique passent leur enfance ensemble, avant de repartir se reproduire dans leur eaux de naissance.
Le thon rouge, chacun le sait, il n’en reste plus beaucoup dans au moins deux régions du monde. Les occidentaux naissent dans les eaux du Golfe du Mexique. Les orientaux eux découvrent la vie en Méditerranée, et s’offrent ensuite une transat. On retrouve les deux populations à chasser le long des côtes nord de l’Amérique. Et puis, chacun reprend ses ouïes et ses nageoires et s’en retourne pondre dans son foyer. Et d’ailleurs, les vieux thons se déplacent moins que les autres: quand on pêche les thons âgés dans le Golfe du Saint-Laurent (Canada), on trouve quasi 100% d’occidentaux; idem dans les eaux méditerranéennes. (1)
L’air de rien, cette découverte est essentielle. Car la gestion des pêches affiche un certain ostracisme: on encadre chaque ressource, à l’est et à l’ouest, indépendamment l’une de l’autre, en dessinant une frontière à la longitude 45° Ouest. Et l’équipe américano-canadienne qui signe ces travaux dans Science souligne que cette séparation a plus fait souffrir le thon occidental, en laissant croire que la ressource en juvéniles est plus abondante. Un peu comme les petites PME qui rameutent stagiaires et copains le jour de la visite d’un gros client pour lui faire croire que leur activité est florissante. Accessoirement, l’étude de Science montre que les pêcheries américaines dépendent aussi de l’état des stocks de thon en Méditerranée, puisque dans le jardin d’enfant Atlantique, six thons sur dix sont orientaux.
Quarante années d’encadrement de la pêche au thon rouge n’ont pas permis de reconstituer les stocks, démontrant qu’il y a comme un bug. On tient peut-être la raison, du moins pour la région Atlantique. Il reste donc à revoir les règles de gestion de la pêche au thon. Et il faut faire vite. A l’ouest, il y a dix fois moins de thons qu’avant le début de la pêche industrielle. Il y a urgence à protéger les lieux de ponte du Golfe du Mexique. Tout comme il y a urgence à suspendre la pêche au thon dans les eaux méditerranéennes, ou au moins à chasser les fraudeurs qui dépassent les quotas.
(1) Et comment sait-on d’où vient le thon? En regardant la signature isotopique de l’oxygène dans ses ouïes