Vingt trois pages, pour des années de travail. Le résumé du quatrième rapport du groupe des experts du climat de l’ONU (GIEC) est destiné aux décideurs politiques. Rendu public vendredi dernier, il reprend l’essentiel des travaux du GIEC entre 2001 et 2007, qui tentent d’évaluer l’état du climat terrestre, des conséquences de son réchauffement et des mesures à prendre pour freiner le coup de chaleur. Un rapport qui est autant le fruit du labeur des milliers d’experts —récompensés cette année par le Nobel de la Paix— que d’âpres discussions de marchands de tapis des représentants des gouvernements qui ont siégé la semaine dernière à Valence (Espagne) avant de rendre leur copie.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je me permettrai de rappeler deux choses. La première, c’est que ce «résumé pour décideurs», s’il s’appuie sur le travail des scientifiques, est le fruit d’âpres négociations entre les représentants des Etats réunis à Valence en Espagne, la semaine dernière. J’ajouterai aussi que, par définition, ce rapport ne peut être qu’en retard vis à vis de la connaissance qu’ont les chercheurs du climat, puisque de nombreux travaux ont été publiés récemment dans les grandes revues scientifiques qui n’ont pu être intégrés dans la réflexion des experts. Et ces travaux récents, justement, font penser à un nombre grandissant de scientifiques que ce rapport du Giec est en deçà de la réalité, puisque les mauvaises nouvelles s’accumulent, et notamment un ralentissement constaté de l’aptitude des océans à pomper le carbone dans l’atmosphère, l’accélération de la fonte des calottes glaciaires au Groenland, et j’en passe.
Cela dit, je décerne très volontiers la médaille «Effets de Terre», spécialement créée pour l’occasion, aux deux mille et quelques chercheurs venus de dizaines de disciplines pour évaluer l’ensemble de la production scientifique mondiale. Les travaux du Giec sont sans aucun doute le plus important effort de coopération internationale pour comprendre les grands défis que devront affronter les sociétés humaines. Comme quoi, tout ne va pas si mal dans ce mondes de brutes.
Je concède que ce préambule est un peu long. Mais il était indispensable, alors que de nombreuses voix s’élèveront sans doute pour décrédibiliser ce monument de savoir. Pour simplifier les choses, je suivrai le même plan que celui retenu dans le document final du GIEC. Toutes les expression en italiques marquent le degré de confiance affiché par le Giec dans les assertions qu’il imprime dans son rapport. J’ai ajouté quelques images pour vous ménager des pauses, car je vous préviens, c’est long.
Sur le constat du réchauffement climatique et de son effet.
Le réchauffement est sans équivoque, comme on le constate par l’augmentation global de la température de l’air et des océans, la généralisation de la fonte de neiges et de glaces, et l’élévation de niveau des océans.
Quelques chiffres, pour rafraîchir la mémoire aux sceptiques et autres négationnistes (1). Dans le classement des douze années les plus chaudes de mémoire d’instrument, on trouve onze des douze dernières années. La température moyenne a cru de 0,74°C entre 1906 et 2005. C’est plus que ce qu’affichait le rapport précédent du Giec, il y a six ans: 0,6°C pour 1901-2000. Dans cette fourchette, on sait que la température croît plus vite encore près des pôles, et sur les terres émergées que dans l’océan.
Les océans grimpent de 1,8 mm par an en moyenne (1961-2005) et même 3,1 mm/an (1993-2005). Sans qu’on sache si cette dernière valeur s’inscrit dans le cadre de la variabilité naturelle du climat, ou dans la tendance à l’accélération du réchauffement. Et attention, ce ne sont que des variations locales. J’en parlais pas plus tard qu’aujourd’hui avec un spécialiste français, qui me faisait remarquer que, localement, on constate des élévations qui peuvent atteindre le centimètre par an…
En moyenne, la glace Arctique a reculé de 2,7% tous les dix ans depuis 1978 (7,4% l’été). Les glaciers reculent partout. Et le nombre de lacs glaciaires augmente.
La machine à eau planétaire subit aussi les effets du réchauffement: il pleut plus à l’est de l’Amérique du nord et de l’Amérique du sud, dans le nord de l’Europe et en Asie centrale. Il pleut moins dans le sahel, en Méditerrannée, dans le sud de l’Afrique et dans une partie de l’Asie du sud.
Il est très probable que depuis 50 ans, il y a eu moins de jours froids, moins de nuits froides et de gel sur la plupart des terres émergées. A l’inverse très probable aussi qu’il y a eu plus de jours et de nuits chauds. Très probable car le GIEC signe tous ses constats d’une description probabiliste.
De même, on constate que les cyclones de l’Atlantique nord sont plus intenses depuis 1970, même si on ne sait pas grand chose dans les autres régions. En revanche, aucun «signal», aucune conclusion à tirer, sur la fréquence des cyclones.
Enfin, la température des nuits entre 1950-2000 a très probablement été plus élevée qu’aucune autre période de 50 ans au cours des 500 dernières années, et probablement au cours des derniers 1300 ans.
D’autres effets sont encore incertains. Sur le front des changements forestiers dans les hautes latitudes de l’hémisphère nord, de l’impact sur la santé et les modifications des zones où sévissent les vecteurs de maladie, et sur les activités de loisirs hivernaux dans le grand nord et dans les régions alpines, le GIEC reconnaît qu’il n’existe qu’une confiance moyenne dans les tendances constatées par les scientifiques.
Les causes du réchauffement
Vous avez un doute? Lisez ceci: depuis 1970, les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines ont encore cru de 70%. Pire, la tendance à la réduction de l’intensité en carbone de la production d’énergie s’est inversée après 2000, signe de l’entrée en croissance effrénée des pays du sud qui recourent massivement au charbon. Il y a aujourd’hui plus de gaz carbonique et de méthane dans l’atmosphère qu’il n’y en a eu depuis 650 000 ans. Le Giec ajoute que sa confiance est très élevée sur l’impact réchauffant de l’homme depuis 1750. La hausse de température de la planète depuis 1950 est très probablement liée aux activités humaines.
Sur le rôle des humains, il a très probablement contribué à l’élévation des océans, probablement contribué à modifier le régime des vents, probablement accru la température des extrêmes relevés le jour (froid) et la nuit (chaud, froid). Et enfin, plus probablement que pas accru le risque de vagues de chaleur, la surface de zones touchées par des sécheresses depuis 1970 et la fréquence des événements graves de précipitations. Vous aurez noté la subtilité du langage probabilisé par la politique, que ne manqueront pas de dénoncer les Claude Allègre et consorts.
Et l’avenir, alors?
Il y a un accord élevé (entre les scientifiques) et beaucoup de preuves pour dire qu’au rythme actuel adouci par des pratiques de développement durable, les émissions de gaz à effet de serre vont continuer au cours des prochaines décennies. Une manière policée de rappeler ce que les scientifiques savent depuis longtemps: il faudra réduire de 75% nos émissions de carbone (et de ses copains radiateurs) pour espérer stabiliser à terme la température de la planète.
D’ailleurs, le Giec de signaler que très probablement, le réchauffement sera plus important au XXIe siècle qu’il ne l’a été au XXe. (voir à ce sujet, le rapport GEO-4 du Programme des nations-Unies pour l’environnement, que j’avais chroniqué. Il montrait que le scénario le plus durable permettait au passage de réduire la pauvreté bien au delà du rythme d’escargot imposé par l’économie de marché globalisée).
Bien évidemment, ce réchauffement poursuivi (et probablement amplifié, mais c’est moi et non le Giec qui l’affirme) aura de nombreuses conséquences. Juste quelques exemples: circulation accrue des eaux en surface aux hautes latitudes (confiance élevée), baisse des ressources en eau dans les zones arides (confiance élevée, 75 à 250 millions d’africains touchés, qui subiront aussi une baisse des rendements agricoles de 50%), augmentation (très probable) de la fréquence des sécheresses et des précipitations extrêmes, augmentation (probable) de l’intensité des cyclones, déplacement vers les pôles des tempêtes extra-tropicales entraînant un changement de régime des vents et des précipitations, etc.
Au passage, il reste une grande inconnue: quel sera l’impact de l’acidification des océans par le carbone absorbé? Le pH de l’eau (plus il est petit, plus le milieu est acide) pourrait baisser de 0,14 à 0,35 au cours de ce siècle. personne n’a idée de ce que cela produira, mais on peut s’attendre à d’importantes perturbations pour les récifs coralliens, entre autres victimes possibles.
Evidemment, le rapport du Giec recèle quelques bonnes nouvelles: le climat réchauffé devrait entraîner sur la plupart des terres émergées une baisse de la mortalité humaine liée à l’exposition au froid (mais une hausse par ailleurs en raison des canicules). Une baisse des factures de chauffage, une diminution des blocages de voies de communication liés à la neige. Mais c’est franchement maigre au regard des conséquences néfastes: dégradation des terres (zones arides ou soumises à de fortes précipitations), mortalité due aux cyclones en hausse, salinisation des nappes d’eau côtières en raison d’un niveau de la mer en hausse, inondations gigantesques dans les zones de mousson, érosion des sols. J’arrête parce que cela en devient déprimant. La suite au prochain numéro!
(1) On me reproche souvent ce terme, mais je persiste, considérant que l’inaction provoquera un génocide humanitaire, du moins dans certains pays fragiles. On constate déjà l’existence de réfugiés climatique qui fuient les catastrophes.
Petite question : on ne parle pas dans ce rapport, que le réchauffement global peut aussi signifier refroissement local. J’avais lu, j’ai oublié où, que pour la France, le réchauffement climatique pourrait signifier un ralentissement du Gulf-Stream et donc un refroidissement notable des températures du pays.
T’as des infos là dessus ?
La connaissance locale des effets du réchauffement global n’est pas encore très bien définie, j’aurai l’occasion d’y revenir. Les modèles ont une « maille de calcul » trop grande, et on manque de données à l’échelle régionale. Sur cette fameuse question du Gulf Stream, il est vrai qu’une telle évolution est possible, mais extraordinairement lentement, probablement sur un ou plusieurs millénaires. On en a beaucoup entendu parler à cause d’un film-catastrophe («le jour d’après») et surtout d’un scénario élaboré par un spécialiste de stratégie pour le compte de la CIA (ou d’une autre agence américaine). Mais ce rapport postulait que ce refroidissement s’est produit, et imaginait ce qui se passe ensuite (déplacements de population, etc.). De la SF, donc. Un peu comme si je m’amusais à imaginer une planète avec 60°C de température moyenne. Je n’en aurai pas pour autant démontré que cet événement est possible!