En matière d’effet de serre, la France s’affiche souvent comme l’un des meilleurs élèves. Non pas qu’elle fasse des efforts particuliers pour réduire ses émissions, puisque l’évolution de ses émanations de carbone n’a rien de rassurant. La France profite juste de son parc nucléaire pour justifier qu’elle produit une électricité à faible teneur en carbone, en oubliant de rappeler que le nucléaire pèse, en gros, moins de 20% de la production d’énergie du pays.
Du Grenelle ne sortiront sans doute que des mesurettes sur le front du gaz carbonique. Un (tout) petit effort sur la vitesse des véhicules routiers, camions et automobiles, et encore… Pas sûr que la réduction applicable aux automobiles franchisse la porte de l’Assemblée nationale où tous les lobbies de soutien au moteur à explosion préparent déjà leur revanche sur le bilan «verdâtre» du Grenelle. Le rapport du Centre français d’analyse stratégique sur les scénarios énergétiques français, réalisé sous la houlette de Jean Syrota, est dévoilé partiellement par la Tribune ce mardi: il montre clairement l’impossibilité pour la France de répondre à son engagement de réduire ses rejets de carbone d’un facteur quatre en cinquante ans. Une nécessité dictée par les observations et les modélisations du climat et adoubée par le précédent Président. Selon la Tribune, le rapport Syrota conclue qu’on ne fera guère mieux qu’un facteur deux… Et en prime, on a pris l’habitude de blanchir notre carbone chez nos fournisseurs-exportateurs…
Il est devenu de bon ton de pointer la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Brésil, comme les nouveaux moutons noirs de la chasse au carbone. Forte croissance économique et moindre efficacité énergétique en font des bouffeurs d’hydrocarbures, dont les émissions de carbone seront rapidement majoritaires. Mais si on s’amusait à cumuler les rejets estimés de chaque pays depuis cinquante ans, on verrait que l’Occident restera encore le gros méchant pendant une bonne poignée d’années…
Cette croissance phénoménale des pays émergents est tirée par deux facteurs: d’une part, une demande intérieure explosive, alimentée par la fascination qu’exerce au Sud le mode de vie capitaliste. Mais aussi par de profondes mutations dans les pays occidentaux: la transformation de l’économie vers plus de services et moins de production industrielle allège sans effort l’émission de carbone. Avec des croissances d’importations spectaculaires depuis les pays émergents, les pays riches sous-traitent une part de plus en plus importante de leur pollution au sud, notamment celle du carbone réchauffant. On efface ainsi notre ardoise tout en rejetant la responsabilité sur les autres.
La semaine dernière, la New economics foundation (NEF) britannique a publié un rapport édifiant à ce sujet. Il donne un premier chiffre, ou plutôt une première date, celle du «découvert écologique»: le six octobre, trois jours plus tôt que l’an dernier, les hommes avaient consommé ce que la planète pouvait donner pour un an. Mais le plus intéressant n’est pas là: sachant que la Chine crache 30% de gaz carbonique de plus qu’un pays industrialisé pour produire le même bien, sachant qu’il faut le transporter sur des milliers de kilomètres, combien l’atmosphère a-t-elle reçu de trop? Comme le dit la NEF, la Chine est désormais la plus grosse usine de l’occident. Le think tank n’hésite pas à qualifier de blanchiment de pollution le transfert de production vers les pays émergents. Ne pourrait-on pas produire des chiffres plus vrais du carbone émis par chaque pays, corrigés de l’impact du commerce extérieur?
En matière d’absurdité, la NEF pointe aussi d’étranges inefficacités en Grande-Bretagne, mais les exemples seraient sans doute légion en France si on se donnait la peine de creuser: nos voisins importent chaque année 14 000 tonnes de chocolat et en exportent 15 000. Avec la seule Italie, la balance commerciale (en poids) pour les gommes et autres friandises est à l’équilibre: mais avec 500 tonnes échangées dans chaque sens… Idem pour le commerce de la bière avec l’Espagne…
On attend avec impatience une étude similaire sur notre pays, ou à l’échelle de l’UE. Mais il faut faire vite si on veut tenir le défi que s’est imposé la NEF: publier chaque année son rapport le jour du passage à «découvert écologique». Si chaque année, on perd trois jours de «crédit écologique», on aura vite des pages blanches dans les études.
Ca rappelle un accident récent, relaté par N. Hulot, du tunnel de fourvière.
C’était entre 2 camions, un transportait des tomates venant de Suède à destination du Portugal, l’autre transportait des tomates en provenance d’Espagne, pour la Norvège.
Il est grand de changer effectivement.