Que faire pour les poissons, ou plus exactement que faire des pêcheurs? Alors que l’Union européenne réfléchit à une totale refonte de sa politique des pêches, des travaux américains publiés dans la revue Science confirment que le système des quotas individualisés peut être efficace pour préserver les ressources.
Cette idée de quotas « personnels » est déjà appliquée dans quelques pays, notamment en Australie et en Nouvelle-Zélande. Plutôt que d’imposer un quota global, il distribué individuellement à un pêcheur ou a une coopérative. Comme cette allocation revient à lui garantir un revenu pour l’année, le titulaire aura tout intérêt à ne pas la dépasser pour préserver la ressource. S’il pêche trop, il peut acheter des quotas à un collègue, et s’il n’a pas assez pêché, il peut en vendre. De fait, cela revient à privatiser les stocks de pêche en considérant les allocations comme des actions.
Selon les américains Costello, Gaines et Lynham, qui ont passé en revue les données de 11000 pêcheries sur la période 1950-2003, moins d’une sur cent utilise ce système. Et pourtant, elles ne sont que 14% à avoir connu un effondrement du stock, contre 28% pour les pêcheries gérées globalement. Mieux, plus l’activité est gérée avec ce système d' »actions » depuis longtemps, et moins la ressource halieutique est endommagée. Et, calcule le trio, si toutes les pêcheries du monde avaient adopté ce principe depuis 1970, seules 9% feraient face à un effondrement de leur ressource.
En Europe, comme dans la plupart des pays, des quotas fixés pour l’année pour chaque espèce sont alloués à chaque pays, qui se débrouille avec. Ce qui conduit les professionnels à capturer le plus de poisson possible avant la fermeture de la pêche pour dépassement de quota. Et les Etats à réduire la durée de la saison pour préserver les stocks.
Dans un commentaire publié par Science, le journaliste Erik Stokstad décrit l’aberration des allocations globales en citant l’exemple de la pêche au flétan en Alaska. “Les compétiteurs se ruaient pour remplir leur filets avant que l’industrie n’atteigne son quota. Il était souvent dépassé, et les régulateurs réduisaient la saison de pêche à seulement quelques jours, poussant les bateaux à sortir par n’importe quel temps.”(1) Ce qui se pêchait en une année avant l’apparition de quotas devait être écoulé en quelques jours, faisant chuter les cours. Stokstad raconte ensuite qu’en 1995, un système individualisé a permis aux pêcheurs de planifier leur activité au cours de l’année, en tenant compte des conditions météo. Et le prix du flétan est remonté.
Tout cela me rappelle une polémique qui avait éclaté il y a quelques mois après la fixation des quotas européens de pêche pour 2008. Des experts soulignaient que la contraction des période d’autorisation de la pêche n’empêche pas la destruction des stocks: car en dehors des période d’ouverture, le poisson interdit de séjour dans les cales est rejeté à la mer, souvent mort ou blessé.
Alors que faire. Généraliser les « actions de pêche »? Sans doute faut-il y réfléchir, sans crier victoire. Le scientifique américain, Daniel Pauly, que j’ai eu plusieurs fois l’occasion d’interroger ces dernières années, expliquait vendredi à la BBC que ce système favorise les gros industriels, au détriment des petits. Quid aussi des pays du tiers-monde, dont les artisans-pêcheurs affrontent la concurrence des armada de pêche des pays riches?
(1)Inutile de rappeler que la pêche est une activité particulièrement dangereuse, notamment dans les eaux glacées de l’Alaska.
Ce que vous appelez privatisation je vois plutot ça comme un renforcement de la planification du prélevement de poissons. Exit la liberté de faire ce que l’on veut ou on veut et tout ça dans l’interet commun. Ca ressemble fortement à ce qu’on vient de faire pour la finance. Et pourtant nos dirigeants en France, en Europe et dans le monde continuent à tenter de nous imposer au forceps leur systéme libéral cupide qui finalement ne sert qu’eux memes.
Bonjour Denis,
Bravo pour ton blog. Je suis très sensible à ton article, et très inquiet pour ne pas dire pessimiste sur l’avenir des éco-systèmes marins. On fait en effet face à un phénomène classique de « théorie des communs » pour lequel les solutions ne sont pas évidentes, notamment en dehors des zones exclusives où les contrôles sont virtuellement impossibles. Et ce sans parler des pirates et des illégaux.
Je viens d’ailleurs de terminer le livre de Philippe Cury que j’ai trouvé très intéressant. Je ne sais pas si tu l’as lu et quel est ton avis sur le sujet ?
Un aspect qui m’a marqué est celui des rejets à la mer, que tu évoques ici également. Que parfois près de 50% des prises soient rejetées à la mer est choquant, mais que faire, alors que les actions mises en place pour accroître la sélectivité des filets n’arrivent que peu à être adoptées ? Peut-être faudrait-il donner de une certaine valeur à cette prise « annexe » pour qu’au moins les poissons morts servent à quelque chose, mais sans l’encourager ?
A bientôt
Thomas
Bonjour,
Je viens de lire avec le plus grand intérêt votre article de septembre 2008.
Il est actuellement plus que d’actualité avec la publication du « Livre vert » de la Commission Européenne qui s’interroge – entre autres – sur l’amélioration du système de gestion des ressources halieutiques de l’Europe.
Plusieurs remarques sur les systèmes existants :
D’abord, l’évaluation de la « biomasse » : terme bien mal adapté à une réalité vivante : on parle de tonnes de poisson comme on parlerait de tonnes de céréales et on attribue des « quotas » à pêcher sans recommander de mesures de restriction de captures en termes de zones ou de périodes, alors que l’on pourrait essayer – au minimum – de protéger les poissons en train de frayer.
Au contraire, depuis plusieurs décennies, les scientifiques préconisent en priorité absolue une mesure relevant du « dogme » et qui n’est ni justifiée ni réaliste : la protection des juvéniles » tant qu’ils ne se sont pas reproduits »…tout le monde connaissant le secteur de la pêche vous dira qu’il est totalement farfelu de vouloir protéger les 40 000 juvéniles issus d’une ponte de femelle cabillaud jusqu’à leur âge de reproduction. Il n’y aurait pas assez de nourriture dans la mer pour les mener tous à l’âge adulte et que ferait-on de tous ces reproducteurs alors que deux seulement suffisaient à entretenir le stock ? N’est-ce pas un « principe de précaution » conduit jusqu’à l’absurde ?
Les Islandais qui ont la chance exceptionnelle d’être maîtres chez eux depuis plus de trente ans auraient pu être un bon exemple.
Ils ont instauré les premiers quotas en 1983.
Ils ont complété le système avec la mise en place de QIT en 1991.
La production de cabillaud atteignait 450 000 tonnes par an juste avant l’instauration des quotas.
Elle était de 370 000 tonnes en 1987, après la mise en place des premiers quotas et avant les QIT
Elle est tombée depuis, progressivement, jusqu’à un niveau moyen de 200 000 tonnes.
La protection « doctrinale » des juvéniles, avec des quotas quantitatifs non sélectifs a poussé les armateurs qui devaient financer leurs QIT à cibler la pêche des gros poissons (reproducteurs) qui se vendent mieux.
Le stock de cabillauds reproducteurs, estimé à 169 000 tonnes en 1971/75 est tombé à 38 000 tonnes en 1996 / 2000…
L’Europe qui n’a pas encore réagi à la réalité de ces faits – communiqués par les Islandais eux-mêmes – est pourtant en train de proposer de s’engager sur la même voie…
Il est peut-être temps de se poser des questions sur des quotas uniquement quantitatifs et la préservation obsessionnelle des juvéniles immatures au détriment de celle des géniteurs.
Des mesures techniques – avec limitation de l’effort de pêche (nombre de bateaux), arrêts de pêche localisés en fonction des périodes et des zones de frai – en liaison étroite avec les pêcheurs et non pas sur la base de modèles de gestion mathématiques qui n’ont toujours rien démontré – paraissent plus réalistes et préférables.
Les affirmations de certains gourous américains ou autres… sur la fin de la pêche alors que les systèmes qu’ils ont préconisés montrent leurs carences en Islande ou en Europe continentale, n’ont pas de valeur scientifique.
D’ailleurs, aux Etats-Unis (riche en universités diverses…), au Canada et dans d’autres pays, de nombreux chercheurs et professionnels commencent à faire les mêmes constatations que celles que je viens de vous soumettre.
Pour finir – momentanément – sur ce sujet brûlant, le système des QIT a failli faire disparaître la pêche artisanale islandaise au début des années 2000 et il a fallu une vraie mobilisation politique dans ce pays heureusement démocratique pour éviter l’irréparable.
On peut imaginer les catastrophes socio-économiques que pourrait causer le système des QIT dans les pays en développement où la pêche artisanale est avant tout une activité de survie des polpulations côtières.
Avant de discuter des « mesures » à mettre en oeuvre (quotas individuels transférables, boycott d’espèces, conseil de restriction de notre consommation de poissons, implantation forcée et à grande échelle d’aires marines protégées) – dont on remarque on passage qu’elles sont toutes favorables à la pêche et l’aquaculture industrielles et non à la pêche artisanale et à la conchyliculture – pourquoi ne pas réfléchir en amont sur « nos choix de production » dans la pêche comme dans l’aquaculture, et sur l’impact de nos activités terrestres et maritimes sur la productivité biologique maritime, dont le plancton qui est à l’origine de toute la chaîne alimentaire ?
Pourquoi ne pas proposer un vrai débat sur ces questions qui intègrerait enfin les choix politiques, économiques et sociaux (un authentique livre vert sur la pêche !) plutôt que de discuter sur des mesures sorties par hasard d’un chapeau, sur la base d’un rapprochement entre des estimations biologiques par stocks (généralement ceux qui intéressent la pêche industrielle) et notre consommation ? Un rapprochement qui occulte au passage toute la dimension humaine, celle de la biodiversité et celle encore en amont du plancton.
Pour oser un parallèle, l’on a longtemps justifié le choix industriel du nucléaire (et son monopole d’ailleurs) par l’importance de notre consommation, ce qui occultait toute autre forme d’émergence et de développement dans le domaine de l’énergie.
Il nous faut penser autrement nos formes de pêche et de conchyliculture, et nos modes de consommation au profit d’espèces locales saisonnières exploitées artisanalement (dont le cabillaud par exemple !) plutôt que de donner les moyens à l’industrie d’évincer des zones de pêche les flottilles artisanales.
Il nous faut prendre la mesure de la productivité de nos zones côtières et lagunaires (et donc de leur aménagement), de laquelle dépendent les populations maritimes du large (et donc la pêche industrielle).
Il nous faut réfléchir sérieusement au choix de l’aquaculture industrielle d’espèces carnivores (y compris du saumon « biologique ») qui consomme, en farine et huile de poissons sauvages, plus de 1/10ème des captures mondiales (15 Mt sur 140 Mt) sans parler des impacts environnementaux (désorganisation de la chaîne alimentaire par la surpêche d’espèces fourrages, pollutions, maladies, croisements génétiques en milieu naturel…), sociaux, éthiques et humains (destructuration des pêcheries artisanales dans les pays du sud, pillage d’espèces consommées par ces populations…), et de qualité des produits (concentration des dioxines et métaux lourds dans les farines de poissons, usage d’antibiotiques et autres, développement de graisses peu digestes dans les espèces d’élevage….) Notons au passage qu’un autre 1/10ème des captures mondiales, réduites en huile et farine, est destiné aux poulets, porcs, chats et chiens…. Un coût protéinique non négligeable pour des espèces pas toujours carnivores…