Sébastien a définitivement pris la mer

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Sébastien Panou © DR

C’était un amoureux d’océans, et c’est l’océan qui lui a pris la vie, à quelques coups de pagaie de chez lui. Je me rappelle encore ce jour de 2002 où Sébastien Panou a débarqué à la rédaction de Libé, avec une drôle de proposition: journaliste à Ouest-France, il avait la possibilité de partir deux mois en Antarctique avec l’Institut Polaire (IPEV), mais son journal avait refusé de le laisser partir.

Grand voyageur, Sébastien a donc proposé de s’y rendre sous l’étiquette de Libé, en se mettant en congé provisoire de Ouest-France. En offrant des conditions difficiles à refuser: il ne réclamait qu’un peu d’argent pour payer son équipement contre le froid, le paiement de ses articles au tarif Libé (ce n’est pas cher payé) et le prêt d’un appareil photo-numérique —dont on ne savait pas s’il résisterait aux froids extrêmes, jusque -90°C ressentis, du continent glacé.

Difficile de résister à une telle proposition, même s’il y avait de quoi faire des jaloux au sein de la rédaction. Dans un premier temps, Jacques Amalric, le directeur de la rédaction à l’époque, a refusé d’entériner mon projet. Puis, apprenant qu’un journaliste du Monde se rendrait en Antarctique un peu plus tard, mais pour une semaine seulement, Jacques à immédiatement donné son feu vert histoire de couper l’herbe sous le pied à son ancien journal. «Va pour quatre ou cinq double-pages».

Et Sébastien s’est embarqué pour le grand Sud, sous le pseudo de Sébastien Dumont pour ne pas froisser les susceptibilités de son employeur. Avec son ordinateur et un petit appareil photo —2 millions de pixels, un luxe à l’époque, il a rejoint Dumont d’Urville, au bord de l’océan Antarctique. Pour nous raconter la violence de l’océan austral, la vie quotidienne des chercheurs, l’épopée vers le chantier de la station Concordia au cœur du continent, les mœurs des manchots…

Il était là, au cœur du continent, mi-décembre 2002, quand les as du forage ont extrait une carotte de glace vieille de 700 000 ans, la célèbre carotte Epica qui a dévoilé de nombreux mystères sur le climat passé. Une carotte record, puisque le forage russe de Vostok n’avait pas dépassé 420 000 ans. Sébastien était là à tel point que les responsables de l’Institut polaire ont appris ce record en lisant Libé. Par hasard, il était tard ce 13 décembre, j’étais encore au journal, et le faisceau satellite qui capte les emails polaires est passé au bon moment, permettant d’annoncer la prouesse dès le lendemain.

Par la suite, on s’est perdu de vue. Après avoir rejoint son journal d’attache, Sébastien a sorti un magnifique livre sur son aventure polaire. Et quand j’ai quitté Libération en 2007, il a été l’un des rares à se manifester pour me dire sa tristesse, cela ne s’oublie pas. Il m’avait alors raconté que, faute de naviguer, la coque de son bateau se transformait «en élevage de moules», tout affairé qu’il était à retaper une vieille ferme. Sébastien m’avait invité à passer le voir cet été là, et c’est maintenant que je réalise mon erreur de ne pas y être allé. Aujourd’hui, c’est à mon tour d’être triste, profondément, et d’avoir une pensée pour les siens, notamment sa femme et leurs trois garçons. Ce marin là était aussi discret que doué et généreux. Un type épatant.

Un commentaire

  1. Nous avons tous hélas des amis, des collègues, des relations confraternelles, et nous ignorons souvent de partager de simples instants d’humanismes, affolés que nous sommes par la frénésie moderne du temps qui passe trop vite…

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