La malédiction des engrais

Après l’explosion de Texas City, le 16 avril 1947 © Moore Memorial Public Library

D’après une chaîne de télévision locale de Waco, KTWX, qui cite un témoin, l’explosion aurait été précédée d’un incendie dans un hangar contenant du nitrate d’ammonium. Il semble que ce dernier était combattu par des pompiers quand le drame est survenu. L’usine comporte également des réservoirs d’ammoniaque, une substance explosive et toxique.

Cette explosion rappellera de bien mauvais souvenirs aux toulousains, dont les plaies liées à l’explosion d’AZF ne sont pas refermées. Comme à Toulouse, il pourrait bien s’agir de nitrate d’ammonium, un engrais pourtant réputé être un mauvais explosif dans des conditions normales.

En septembre 2001, j’avais creusé pour Libération le sujet du nitrate d’ammonium après l’explosion d’AZF. Et rappelé quelques caractéristiques de cet engrais très courant: pur, il n’explose qu’après avoir été chauffé (sous l’effet d’un incendie) à plus de 200°C. Le mélange d’eau et de nitrate d’ammonium est endothermique et ne peut donc provoquer d’explosion (1). En revanche, s’il a été mélangé à certains produits chimiques, le nitrate d’ammonium devient explosif —le mélange avec du gazole sert depuis longtemps aux agriculteurs à retirer les souches d’arbres—. Avec du chlore, par exemple, l’engrais se transforme en trichlorure d’azote, un composé très sensible aux chocs et qui explose dès 60°C. C’est ce mélange qui serait à l’origine de l’explosion de l’usine AZF dix jours après les attentats du World Trade Center à New York. On relèvera 31 morts et 2500 blessés dans l’usine et les quartiers dévastés par l’usine.

Pur et à température ordinaire, le nitrate d’ammonium est considéré comme un mauvais explosif. Au point qu’il était courant, au début du XXe siècle, de fracturer les montagnes d’engrais avec un peu d’explosif. Une pratique qui a dégénéré en septembre 1921 à Oppau, en Allemagne: un mélange de sulfate et de nitrate d’ammonium explose alors au cours d’une fracturation à l’explosif. Les 4500 tonnes (15 fois plus qu’à l’usine AZF) ont tué 500 personnes, blessé 1900 autres et détruit en grande partie la localité d’Oppau. L’information n’a pas vite circulé, car en avril 1942, 150 tonnes d’engrais contenus dans un silo de Tessenderloo (Belgique) ont explosé, après une fracturation à la dynamite, tuant 189 personnes.

Aux Etats-Unis également, le nitrate d’ammonium réveillera de douloureux souvenirs: plus de 500 personnes ont péri à Texas City, au cours d’une double explosion liée au nitrate d’ammonium en avril 1947 . Dans un cargo français en cours de chargement, un ouvrier avait remarqué un début d’incendie. Pour ne pas endommager la cargaison, le capitaine avait stoppé l’aspersion d’eau et ordonné de fermer la cale et le système d’aération pour priver le feu d’oxygène. Le feu a couvé et s’est poursuivi au point que les pompiers sont arrivés. Alors qu’ils étaient en train d’arroser les cales, le nitrate d’ammonium a explosé (il y en avait 2200 tonnes), provoquant de lourds dégâts dans le port et dans la ville. Par chance, un entrepôt du même engrais, situé à 500 mètres du navire, s’est contenté de brûler sans exploser, et un autre navire en feu a pu être remorqué au large avant d’exploser à son tour. Le port de Brest connaîtra un accident similaire le 6 août 1947, faisant 33 morts et mille blessés graves.

Plus près de nous, l’attentat d’Oklahoma City est lui aussi associé à cet engrais décidément meurtrier. Le 19 avril 1995, un groupe de fanatiques américains conduit par Timothy Mc Veigh et des complices ont fait exploser un camion bourré de 2,2 tonnes d’un mélange de nitrate d’ammonium, de nitrométhane et de gasoil. On relèvera 189 morts et 680 blessés.

Au Texas hier, l’explosion s’est produite par chance en soirée. Mais à l’heure où je publie ces lignes, le bilan s’élève déjà à deux morts —des sauveteurs— et au moins cent cinquante de blessés. Les autorités craignaient que ce bilan ne s’alourdisse. On espère qu’ils se trompent.

(1) Ce mélange est utilisé dans des poches pour traiter les hématomes des sportifs. Une firme travaille même à intégrer du nitrate d’ammonium et de l’eau dans un casque moto, pour refroidir la tête et le cerveau en cas d’accident.

6 commentaires

  1. DDq, merci de nous rafraichir la mémoire, car ce genre d’information ne traîne pas longtemps dans les journaux, tout comme les accidents dans les mines de charbon, ou un incendie dans une raffinerie. Ah, bien sûr, si un ouvrier s’était laissé tombé une clef à molette sur le pied dans une centrale nucléaire, ce ne serait pas pareil!

      1. Le Point, Paris Match, Europe 1, Lci, Mediapart, Atlantico, c’est personne ?

        Effectivement ça a fait beaucoup moins de bruit que d’habitude, car ça n’était pas à Fessenheim, en plus il y a eu immédiatement une déclaration comme quoi ça n’avait aucun lien avec le risque nucléaire, et vu que c’était une nacelle pendant que la centrale était à l’arrêt, il était difficile d’affirmer le contraire.

        Il n’empêche bien sûr qu’on souhaiterait qu’il y ait un meilleur encadrement des sous-traitants pendant la maintenance pour éviter ce genre de fausse manœuvre.

        Évidemment on souhaite la même chose pour ceux qui travaillent sur les éoliennes :
        http://www.europe1.fr/Faits-divers/Un-salarie-meurt-coince-entre-deux-eoliennes-407693/

      2. jmdesp

        En titre ? En première page ? Personne juste un encart dans les faits divers. On est à des lieues du scandale prétendu par BMD.

        De temps en temps, il faut savoir raison garder….. et ne pas sauter sur tout ce qui bouge pour placer son petit couplet pronuke et anti écolo…

        BMD confine au ridicule (et pas que lui d’ailleurs).

      3. Disons qu’on est vacciné par l’histoire de l’eau oxygénée à Fessenheim qui pour le coup avait vraiment fait les gros titres pour 2 ouvriers qui s’était légèrement brulés les mains avec un produit pas plus dangereux que ceux qu’une ménagère a sous son évier.

        Et puis il y a avait eu l’an dernier, la fermeture pendant plusieurs mois de Penly à cause d’un joint qui surchauffe, qui projette un flaque d’huile de graissage brulante, qui prend feu, et du débit de fuite de ce même joint qui a augmenté mais est resté bien en dessous de la marge de sécurité prévue pour le débit maximale de collecte de la fuite.

        Bref les critère suivant lesquelles un cas fait la une sont mystérieux, des incidents sans conséquences ayant été beaucoup plus repris que celui qui a fait 2 morts.
        Apparemment, il semble bien que le critère soit que 2 morts, c’est sans intérêt si la centrale est à l’arrêt et qu’on ne va pas pouvoir faire mousser le truc.

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