Silence dans les rangs

© Greenpeace
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Il y a quelques jours, de nombreux médias et ONG se sont fait l’écho d’un rapport des experts de la CICTA, l’organisation internationale qui tente de fixer un cadre à la pêche au thon rouge en Atlantique et dans la Méditerranée. Ou plus exactement d’un chiffre extrait de ce rapport qui a servi de chiffon rouge: il ne resterait que 15% du stock de thon (rouge!) originel dans l’Atlantique et la Méditerranée. Le rapport complet, lui, était alors secret…

Cette fuite n’a pas plus au Japon —qui dépend cruellement des thonidés de la région Atlantique—, qui l’a fait savoir à la CICTA. Car de nombreuses ONG se sont précipitées dans la brèche pour réclamer un arrêt de la pêche au thon et la fin d’un système de quotas qui brille par son inefficacité.

La Commission a fini par publier le rapport complet pour éviter, dit-elle, des «interprétations partiales», non sans rappeler que ses rapports scientifiques n’ont pas vocation à être rendus publics avant d’avoir été adoptés en séance plénière, laissant entendre que ce sont des membres de la CICTA qui ont laissé filtrer des extraits saignants du document. Silence dans les rangs!

Il faut dire que cette fois, la menace est bien réelle pour l’industrie de la pêche au thon rouge. Monaco réclame l’inscription de l’espèce à l’annexe 1 de la convention sur le commerce des espèces menacées (CITES), ce qui en interdirait tout commerce international. Les Etats-Unis ont fait savoir qu’il préfèrent un sévère durcissement du dispositif de quotas, constatant que les stocks de thon rouge ont —malgré les quotas— baissé en quarante ans de 72% dans l’est de l’Atlantique et la Méditerranée, et de 82% dans l’ouest de l’Atlantique. Mais Washington a prévenu: si la CICTA n’agit pas en ce sens cette semaine lors de son assemblée qui se tient au Brésil, les Etats-Unis profiteront de la réunion de la CITES fixée en mars prochain pour se ranger derrière Monaco et réclamer l’arrêt du commerce international de l’espèce, ce que Tokyo veut à tout prix éviter… Bref, la dream team d’Obama préfèrerait l’hypocrisie des « quotas zéro » pour éviter de prononcer le mot qui fâche: moratoire (1).

Pendant ce temps, l’Union Européenne semble s’agiter un peu, en favorisant la destruction de thoniers dans les flottes de l’UE. Selon l’Indépendant (Perpignan), quatre des six thoniers amarrés à Port-Vendres vont être retirés de la circulation. L’indépendant a interrogé l’armateur de deux de ces navires, qui nie avoir demandé à bénéficier du plan de sortie de flotte, mais reconnaît qu’il en a gros sur la patate: «Quand vous me demandez si j’ai encore envie de pêcher, j’ai envie de vomir. Sortir en mer avec un observateur à bord qu’il faut supporter et nourrir, c’est plus le métier. L’Etat a dépensé 80 millions d’euros pour nous surveiller cette saison, alors que des gosses meurent de faim. C’est une honte! L’histoire du thon rouge est une histoire politique et non scientifique. Il y a 3 fois plus de poissons qu’en 2003! Mais à Bruxelles, ce sont les écolos qui commandent aujourd’hui ; on se sert juste des scientifiques comme caution. Vous pouvez l’écrire : nous sommes condamnés!»

A vrai dire, il est fort probable que la CICTA se contentera d’abaisser un peu les quotas pour l’année 2010. Soit loin, une fois de plus, des recommandations de ses propres experts scientifiques qui montrent que seules des réductions drastiques pourraient permettre un retour à l’abondance de thons rouges. Mais les quotas ne suffiront probablement pas, et pour cause, ils sont régulièrement détournés. Par des pays souvent cités comme les méchants, notamment la Lybie, mais aussi par des armements bien de chez nous: dix-neufs personnes ont été jugées fin octobre aux Sables-d’Olonne, racontait Ouest-France. Un petit trafic de thon —rebaptisé chinchard à queue jaune pour l’occasion— a permis d’écouler il y a deux ans 170 tonnes de thon, pour un quota fixé à 57 tonnes… Des amendes ont été requises (1000 à 3500 euros); le jugement a été mis en délibéré au 30 novembre.

Finalement, c’est peut-être le consommateur qui détient une des clefs de la survie du thon rouge de l’Atlantique: de grandes enseignes de la distribution l’ont retiré de leurs étals. Et la chaîne Sushi Bâ a annoncé qu’elle ne vendrait plus de thon rouge dans ses restaurants dès le 1er janvier prochain. Reste à convaincre le consommateur japonais, mais ça c’est une autre paire de manches.

(1) Sur les quotas, lire aussi l’interview publiée par Terra Eco.

Un commentaire

  1. La citation du marin est très éclairante: les marins pêcheurs ne veulent visiblement pas comprendre malgré toutes les évidences. J’ai aussi pu en parlé avec un pêcheur. C’est toujours la même histoire: « mais y a PLEIN de poissons, il est là, qu’on nous foute la paix!…(et payez-nous notre carburant aussi) « . Des gens très sympathiques au demeurant.

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