La première fois que je l’ai rencontré, c’était dans les locaux de l’Agence Spatiale Européenne à Paris en octobre 2008. Alexander Choucker (1) parle un anglais et un français impeccables. Son léger accent et ses quelques hésitations ne sont pas suffisants trahir son origine allemande. Alexander est coordinateur scientifique et le principal chercheur du projet CHOI2CE, dont nous allons être les cobayes: « Conséquences du confinement et de l’hypoxie sur le système immunitaire en Antarctique à la station Concordia ». En effet, ici, il n’y a pas plus d’animaux, que de plantes. Ce que les biologistes étudient donc ici: c’est nous, puisque nous sommes la seule trace de vie à des milliers de kilomètres à la ronde (2).
Alexander sait très bien s’adapter à son interlocuteur. Il est à l’écoute, ce qui en fait un personnage très attachant. De plus, son air jovial et bon vivant le rend encore plus sympathique. Pour avoir discuté de nombreuses fois avec lui, on remarque de suite qu’il est passionné par l’espace et tout ce qui s’en approche de près ou de loin. C’est sans doute ce qui l’a conduit jusqu’ici, en Antarctique. Des frères Montgolfier aux premiers astronautes dans l’espace: Youri Gagarine et Alan Shepard en passant par le premier décollage en avion réussi par les frères Wright, il nous rappelle tout d’abord que l’homme a toujours voulu se surpasser, aller toujours plus loin, voir au-delà de l’horizon.
Alexander enchaîne ensuite ses explications sur le stress du à ces conditions de vie hors du commun. Stress à la fois physiologique et psychologique. Dans l’espace, ce sont: maux de tête, vomissements, perte du sens de l’orientation en absence de gravité (pas de haut ni de bas), mauvaise répartition su sang dans les organes, perte de la masse osseuse et musculaire, radiations (en une seule journée journée dans l’espace, on reçoit autant que pendant une année sur Terre), l’isolation, le confinement, la nourriture, les conflits sociaux…
Il nous dit : «40% des astronautes sont malades dans l’espace ou au retour, et plus de 40% des astronautes ont leur système immunitaire qui s’affaiblit durant les vols de longues durées.» Le chercheur s’intéresse à notre double système immunitaire. Le premier est inné, il agit ou non quelque soit l’élément pathogène. Le second est adaptatif et réagit de manière spécifique à un élément pathogène précis; c’est notamment celui-ci que nous sollicitions par la vaccination. Il existe bien sûr des interactions entre les deux.
Tous les facteurs de stress agissent sur le système immunitaire, qui s’en trouve déréglé. Parfois la réponse est trop forte, (ce qui suit cette phase est donc un système affaibli, durant lequel l’individu peut tomber malade) ou trop faible. Ce genre de dérèglement immunitaire n’intervient que dans les vols spatiaux de longue durée. L’intérêt d’une telle étude sur le système immunitaire à Concordia, dont les missions des hivernants sont d’une année, est de pouvoir faire l’analogie avec des vols d’une durée identique, comme vers Mars par exemple.
CONCORDIA – Le 16 janvier 2009 à 07:45
Température: -35.3°C
Température ressentie: -43°C
Humidité relative: 66%
Pression atmosphérique=644.8hPa
Vent de Sud-Ouest à 2.0m/s (7,2 km/h)
Ici, sur notre base, certaines conditions de stress sont similaires à celles vécues dans l’espace: le confinement, l’isolement, les conflits sociaux. D’autres facteurs sont bien sûr absents, et d’autres nouveaux, comme le manque d’oxygène du à l’altitude (l’hypoxie). C’est comme si à des latitudes tempérées, nos poumons n’étaient remplis qu’avec 11,5% d’oxygène, contre les 20% règlementaire, c’est-à-dire presque deux fois moins. Cela est d’autant plus intéressant, puisqu’une base lunaire aurait une pression inférieure à la normale afin d’économiser de l’énergie, des moyens de transport et de diminuer les risques d’incendie.
Puisque nous n’avons plus d’échanges avec de nouvelles personnes et vivons sur nous-mêmes, le système immunitaire des hivernants de Concordia s’en trouve affaibli. On sait aussi que l’hypoxie baisse l’efficacité du système immunitaire. Dans quelles mesures notre système immunitaire évolue et répond tout au long de l’année? Voici une première étude destinée à le mesurer.
Le protocole consiste à collecter des urines, en mesurer le volume quotidien, prélever des échantillons de salive et d’air, et, enfin, de sang. C’est un collègue hivernant qui prendra en charge ces travaux durant l’hiver… Nous sommes six volontaires sur la station à participer. Les femmes (3) et les fumeurs sont exclus. Ce protocole est appliqué de manière identique sur les passagers de la navette spatiale américaine. Alexander, qui vient de rentrer à Munich retrouver sa femme et ses jeunes enfants après un mois d’absence, reviendra nous voir à la fin de notre hivernage.??En tout cas, après avoir passé un mois ici, vu l’infiniment blanc, l’infime subtilité des couleurs changeantes d’une journée à l’autre (un jour un peu nuageux, l’autre un peu plus brumeux), et vécu dans la station, avoir vu notre petite équipe d’hivernage au complet sur le terrain, il est convaincu que le meilleur modèle de confinement sur Terre pour les futurs vols spatiaux est sans aucun doute la station Concordia.
(1) Département d’anesthésiologie à l’hôpital Ludwig-Maximilians-University de Munich en Allemagne.
(2) Les partenaires financiesr sont l’agence spatiale européenne, les instituts polaires français et italiens et des laboratoires de six nations impliquées dans ce projet (Allemagne, Belgique, France, Italie, USA, Autriche).
(3) Le cycle menstruel féminin fausse les échantillons.