Un stratège si peu ambitieux

Mon ami Tristan m’a conseillé de pointer mon Firefox sur le site de l’Usine nouvelle. Je n’ai pas été déçu. L’hebdomadaire propose une interview de Jean Syrota, le patron de la Commission énergie du Centre d’analyse stratégique, et responsable d’un rapport sur l’avenir de l’énergie en France, que j’avais évoqué au début de l’automne. En bon représentant de la politique française telle qu’elle est appliquée depuis au moins trente ans, Syrota confirme sa passion pour l’électricité nucléaire.

Les méchants gaspilleurs d’énergie, ce ne sont évidemment pas les politiques, ou les grands capitaines d’industrie. Les méchants, c’est vous, c’est moi, dont «les comportements individuels se sont relâchés». Il faut inciter la population à investir, nous dit le grand prêtre de l’énergie. Qui oublie peut-être qu’une bonne partie de la population n’a pas la main, par exemple sur l’isolation d’un logement loué, ou tout simplement les moyens pour bon nombre de propriétaires individuels… (Je ne vous parle pas des « gros » qui se comportent de manière honteuse).

Bon, il y a quelques idées intéressantes dans ce que dit Syrota, notamment en terme d’automobile. Il propose une vignette (annuelle, donc) plutôt que le malus de Sarkozy. Il propose une limite maximale valable dans toute l’Europe pour contraindre les constructeurs à réduire la vitesse de leurs voitures. Deux réflexions tout de même: rien n’empêche l’Europe d’obliger les constructeurs à le faire, sans même toucher aux vitesses autorisées. Et surtout, pourquoi 130 km/h et pas 110 km/h? L’écart de consommation est considérable, et celui du nombre de cadavres déposés aux bords des routes aussi…

Syrota n’aime pas la proposition de Blair, qui avait évoqué l’idée d’un quota individuel de CO2. Et il le dit haut et fort: «c’est le retour à l’économie de guerre: les tickets de rationnement et le marché noir». Et pourtant, ne faut-il pas trouver un moyen de réduire, là aussi, les inégalités entre les différentes couches de population: ceux qui s’envolent tous les week-end en avion low-cost, et ceux qui ont à peine de quoi nourrir leurs gosses?

Syrota n’aime pas non plus les “transports propres“: voies navigables et fret ferroviaire ne sont pas une solution. Et il regrette la course aux agrocarburants à base de matière première alimentaire. Là, on ne peut que suivre, et espérer que la seconde génération trouvera vite sa rentabilité. Pour info, je rappelle à certains esprits chagrins qu’il ne s’agit pas forcément de changer de plante et de pratiquer un autre type de monoculture industrielle qui dévaste les forêts humides, mais de convertir la cellulose en carburant, autrement dit en utilisant 100% de la matière végétale (des déchets de bois par exemple).

Syrota ne crois pas aux miracles technologiques. Il considère que les technologies de production d’énergie ne connaîssent pas de ruptures et n’évoluent que lentement. Ça a été en partie vrai pour le passé, mais en partie: le nucléaire n’est-il pas en quelque sorte une rupture technologique dans la manière de produire de l’électricité? Il en va de même de la pompe à chaleur, qui est quand même bien plus efficace pour transformer de l’électricité en chaleur qu’un radiateur électrique. Ce n’est pas mon copain navigateur, qui a profité d’une longue escale à terre pour forer dans le granit sous sa maison, qui me contredira!

Pour reprendre le parallèle que fait Syrota avec l’électronique, il existe bien des ruptures dans l’utilisation et la production de l’énergie, justement en raison du rôle croissant des semiconducteurs dans ce domaine. Je ne citerai que deux choses: les ampoules à led (consommation divisée par dix par rapport à une ampoule) et les panneaux solaires électriques: si les progrès ont été lents dans ce domaine, il seront spectaculaires en raison de la révolution en cours dans l’électronique: le silicum —cher à produire— va laisser de plus en plus de place à des composants de plastiques. Qui seront imprimés comme de vulgaires brochures et non gravés dans des cuves sous ultra-vide… Avec aussi des rendements de production qui frôlent désormais les 50% en laboratoire, contre 5%-10% pour beaucoup de panneaux.

Enfin, bien évidemment, Syrota revient sur le facteur quatre (1), qu’il réfute, proposant un « 2,6 ». Là encore, on ne va pas se fouler puisque les méchants sont ailleurs, en Allemagne, cette fois. «Il n’y a aucune raison pour que chaque français dépense énormément d’argent afin que chaque allemand puisse continuer d’émettre deux fois plus de CO2 que lui en 2050.» Il ne sait peut-être pas, mais l’Allemagne et d’autres voisins bossent dur pour ne plus être des mauvais élèves… A raisonner comme Monsieur Syrota, il risque d’y avoir des bouleversements dans les classements d’ici quinze ans…

(1) L’idée, implicitement reconnue dans les textes français, qu’il faut réduire d’un facteur quatre nos rejets de gaz à effet de serre d’ici cinquante ans. Ce qui ne veut pas dire diviser par quatre sa consommation d’énergie…

4 commentaires

  1. >Syrota n’aime pas non plus les “transports propres“: voies navigables et fret ferroviaire

    Il devrait militer chez les verts, c’est eux qui ont bloqué le canal Rhin-Rhône 🙂

    > des rendements de production qui frôlent désormais les 50% en laboratoire

    …avec des plastiques semi-conducteurs?? Auriez-vous un lien SVP?

  2. Author

    Effectivement, j’avais bien suivi l’histoire du canal, sans doute une erreur historique de la part des écologistes, mais si vous me lisez depuis longtemps, vous saurez que je suis pas toujours tendre avec les partis écologistes. Sur le PV, j’ai écrit trop vite: 43% pour les dernières génération minérales à surface sélective (Université du Delaware, 2007), 6,5% pour le plastique (Gatech, 2007). Les cellules en plastiques semblent suivre une sorte de loi de Moore, autour de 2% en 2004, 8% à 10% attendus dès l’an prochain.

  3. >Sur le PV, j’ai écrit trop vite: 43% pour les dernières génération minérales

    Ok, la juxtaposition des performances d’une technique (minéral) juste après vanter les mérite d’une autre technique (polymère) m’a surpris. C’est un peu comme si quelqu’un disait « pour produire de l’énergie j’ai un système peu cher (nucléaire) sans problème de stockage (hydraulique) renouvelable (éolienne) et avec une grande puissance exploitable (solaire) ». So où est le problème? 😉

    Cela dit si je devais miser un gros 10 sur une renouvelable, ce serait effectivement sur le photovoltaïque souple. Merci pour le lien.

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