Image de Une: pendant les expériences, en Bretagne © Erwan AMICE – CNRS
Avez-vous déjà entendu le chant des langoustes? Pour ma part, ce n’est pas le cas, d’autant que j’ai surtout fréquenté la Mer du Nord, où je n’ai rencontré que des homards ces dernières décennies (1).
Ce son, le voici, enregistré par Youenn Jezequel, doctorant à l’Université de Bretagne occidentale.
Les langoustes européennes Palinurus elephas émettent de curieux sons en frottant leurs antennes. Selon les trois auteurs français d’une étude publiée dans Scientific Reports le 21 mai (en anglais, accès libre), ces signaux ressemblent à certains sons d’insectes. Ils sont d’autant plus intenses que les animaux sont grands. A courte distance, la pression «crête à crête» des signaux peut atteindre 170 décibels!
Une étude japonaise a montré que les langoustes sont particulièrement bruyantes les nuits en période de fortes marées (et donc de puissants courants). Mais elle ne permettait pas d’estimer à quelle distance ces bruits sont susceptibles d’être détectés. Pour y parvenir, les trois acolytes ont aligné huit hydrophones dans la baie de Saint Anne de Portzic, près de Brest (Finistère), avec une profondeur qui varie de 9 à 15 mètres suivant la marée. Ils avaient préalablement accoutumé leurs 24 bestioles (longueur de carapace —hors queue— comprise entre 2,6 cm et 13,5 cm) à vivre sous l’eau dans des cages (un demi mètre-cube), en leur fournissant de larges morceaux de plastique en guise de cachette. Des conditions pas 100% naturelles, loin de là, puisque les langoustes étaient tenues pendant les mesures, pour aligner leur corps avec l’axe formé par l’alignement des micros sous-marins. Mais un environnement plus représentatif de la vie sous-marine qu’un aquarium!
Pour éviter les courants, les expériences se sont déroulées à marée basse, et par temps calme, avec des vents 0 à 2 Beaufort (moins de 11 km/h). Des enregistrements vidéos simultanés ont permis de vérifier la synchronisation entre les sons enregistrés et les frottements des antennes.
Sans surprise, le chant des langoustes est plus audible et porte plus loin quand la mer est calme et le bruit ambiant réduit. Les sons des plus grands spécimen ont été captés à 100 mètres par le micro le plus éloigné; ceux des pitchouns ne sont pas détectables au delà de 5 mètres. En introduisant leurs mesures dans des modèles, les chercheurs calculent que, dans un environnement sous-marin peu bruyant, le chant de grosses langoustes pourrait porter à plus de trois kilomètres! Est-ce à dire qu’elle peuvent ainsi communiquer sur de telles distance? Rien ne permet encore de le dire.
«Vu la similitude des sons de crustacés avec ceux des insectes et l’importance du son dans les écosystèmes terrestres, on commence vraiment à penser que les crustacés communiquent entre eux.»
Laurent Chauvaud, par téléphone.
Il faudra déterminer si ces animaux sont capable d’entendre les fréquences qu’ils produisent, et comprendre comment fonctionne leur système auditif si tant est qu’ils en aient un! «Nous y travaillons, souligne Laurent Chauvaud. Car si c’est le cas, cela signifiera aussi que le bruit que les activités humaines génèrent dans l’océan peuvent perturber les crustacés comme ils le font pour d’autres animaux.» Des bruits dont l’intensité fortement diminué pendant la période de confinement, a constaté l’écologue avec ses microphones sous-marins.
A quoi bon consacrer autant d’efforts à écouter des arthropodes sous-marins? Pour le trio de chercheurs, ce type d’outil pourrait aider à «mieux gérer ces espèces vulnérables et à haute valeur commerciale, qui se sont raréfiées dans les eaux européennes en raison de la surpêche», écrivent-ils. A moins que des pêcheurs peu scrupuleux ne détournent l’idée à leur avantage, ce qui avouez-le serait catastrophique!
Denis Delbecq
(1) Pour le homard, je vous invite à vous rendre sur le SoundCloud de Laurent Chauvaud, l’un des trois auteurs de l’étude. La tonalité et les accents d’Hommarus gammarus n’ont rien à voir, je peux en attester, avec ceux de la langouste (qui n’est pas encore disponible en accès libre, mais seulement sur le site presse de Nature). Ce poète de la vie sous-marine qu’est Laurent Chauvaud nous propose, entre autres, le tourteau, la crevette claqueuse (dont j’avais raconté les étonnantes aptitudes sonores dans les colonnes de Libé au cours d’une autre vie), la coquille Saint-Jacques (ma préférée, auditivement comme culinairement) ou l’oursin Paracentrotus (qui n’a rien à craindre de mon appétit).
Du même auteur, sur les crustacés:
• Le blues de la crevette, le soir au clair de Lune (Effets de Terre, 16 juillet 2010)
• La crevette, cette brasseuse d’océans (Le Temps, 18 avril 2018)
• L’araignée géante, terreur de l’Antarctique (Le Temps, 4 juillet 2018)
A écouter/réécouter:
• Laurent Chauvaud était invité en seconde partie de La Terre au Carré, le 10 décembre dernier (à partir de 45 minutes), pour son merveilleux livre La coquille Saint-Jacques, sentinelle de l’océan (Editions Equateur). Un pur moment de bonheur que j’avais eu le plaisir de préparer. Ecoutez-le!
• Le 23 janvier 2020, l’écologue Antoine Carlier (Ifremer) était l’invité de la Terre au Carré, sur France Inter, pour parler de l’impact des chantiers d’éoliennes offshore sur la vie sous-marine, et notamment sur les homards.
PS: je ne résiste pas à la tentation de vous faire entendre (on aime ou pas, libre à vous) ce groupe italien baptisé Palinurus elephas, du nom de la langouste européenne (Mais rien à voir avec les travaux de nos trois chercheurs français!)