Les ours polaires doivent avoir du mal à se retrouver dans cet imbroglio juridique. Après la décision du gouvernement fédéral américain de classer l’animal dans la liste des espèces menacées d’extinction, l’état d’Alaska contre-attaque en saisissant la justice. Le gouverneur demandera à une cour de Washington de casser le texte du secrétaire d’Etat à l’intérieur. Ecologistes et autorités fédérales devraient, pour une fois, se retrouver dans le même camp…
Pour appuyer sa demande, l’Alaska tentera de démontrer que l’ours n’est pas menacé sur son territoire, et que le réchauffement s’appuie sur des «modèles climatiques incertains». L’Etat le plus nordique des Etats-Unis considère que le classement de l’ours polaire freinera son développement économique, et notamment la manne pétrolière. L’Alaska avait mandaté des experts scientifiques, qui ont conclu, mi-avril, que les rapports fédéraux sur la population d’ours s’appuyaient sur des méthodes de prévision qui n’ont pas été validées.
Mercredi, la revue Nature a tenté de faire le point sur les populations d’ours blancs, et y consacre même son éditorial. Elle explique qu’il existe dix-neuf populations distinctes sur le pourtour de l’océan Arctique, et que leur état reste difficile à évaluer. Une étude américaine soulignait que le recul de la banquise —qui ne sort pas d’un modèle mais se mesure sur le terrain— pourrait entraîner la disparition de deux tiers des ours polaires en cinquante ans.
D’autres scientifiques estiment que, dans les régions les plus touchées par le recul de la glace de mer, l’ours pourrait s’adapter en fréquentant la terre ferme de manière plus assidue. De quoi multiplier les face à face avec l’homme, qui s’obstine à chasser l’animal… Avant, c’était pour se défendre, comme l’a raconté Gerrit de Veer, dans sa relation des expéditions de William Barentsz (1594-1597): «L’ours mordit ce malheureux en divers endroits de la tête, et la lui ayant toute fracassée, il en suça le sang. Le reste des gens, qui étaient à terre au nombre de vingt, accoururent aussitôt avec leurs arquebuses et leurs piques, et trouvèrent l’ours qui dévorait le corps, et qui en les voyant courut a leur rencontre avec une fureur incroyable, se jeta sur l’un d’entre eux, l’emporta et le déchira en pièces, de quoi ils furent si effrayés qu’ils prirent tous la fuite.» (1) Aujourd’hui, la chasse à l’ours reste une partie intégrante de la culture Inuit. Mais l’animal reste aussi menacé par des millionaires amateur de sensations fortes qui font la fortune d’organisateurs de parties de chasse dans le grand Nord, et par des chasseurs en quête de richesses: au Groenland, une peau se négocie autour de 5000 euros, tandis que l’animal entier se vend parfois le triple…
La grandeur humaine, ne serait-ce pas d’absoudre les crimes historiques de ces féroces animaux pour les laisser en paix, histoire que nos petits-enfants puissent en voir autrement que dans les livres?
(1) Prisonniers des glaces, Ed. Chandeigne, 2000. Un admirable bouquin et de formidables gravures d’époque.
Image: Une ourse et ses deux petits dans le Parc national de Wapusk (Manitoba, Canada). © vmselde (licence Creative Commons)